Title: Écrits spirituels de Charles de Foucauld
Author: Charles de Foucauld
Editor: René Bazin
Release date: July 8, 2025 [eBook #76465]
Language: French
Original publication: Paris: J. de Gigord, 1923
Credits: Laurent Vogel and the Online Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by the Polona digital library)
ERMITE AU SAHARA
APOTRE DES TOUAREGS
PRÉFACE DE M. RENÉ BAZIN
de l’Académie française
13e MILLE
PARIS
J. DE GIGORD, ÉDITEUR
15, RUE CASSETTE, 15
1924
Il a été tiré de cet ouvrage
100 exemplaires sur papier pur fil des Papeteries Lafuma, à Voiron
numérotés de 1 à 100
LE PÈRE CHARLES DE FOUCAULD
avec un petit esclave qu’il vient de racheter
(Première année du séjour à Béni-Abbès)
Nihil obstat
Lutetiæ Parisiorum
Die IV Maii Anno MCMXXIII
Y. de la Brière
Cens. dep.
Imprimatur
Parisiis, die Ia Junii 1923
E. Thomas
vic. gen.
Copyright 1923 by J. de Gigord.
Droits de reproduction et de traduction
réservés pour tous pays.
Avant de raconter l’histoire mouvementée de Charles de Foucauld, je puis dire que j’avais suivi, jour par jour, l’explorateur du Maroc, le novice de Notre-Dame des Neiges, le trappiste d’Akbès, le serviteur des Clarisses de Nazareth et de Jérusalem, l’ermite de Béni-Abbès, celui des montagnes du Hoggar, et que je l’avais vu mourir, tant étaient nombreux et sûrs les documents mis à ma disposition[1]. Aujourd’hui que Charles de Foucauld a beaucoup d’amis par le monde, ceux-ci voudraient connaître quelques-uns des écrits légués par lui aux Pères Blancs. Ils m’écrivent de tous côtés : « Pourquoi, dit l’un, ne pas éditer les quatre cahiers de la retraite faite à Nazareth en 1897 ? Est-ce que l’Essai pour tenir compagnie à Notre-Seigneur Jésus est déjà imprimé ? » Un autre demande les Méditations sur l’Évangile. Beaucoup souhaiteraient de connaître le recueil dont le titre évoque toute la lumière du sud, toute sa misère, et la douceur du Christ : l’Évangile présenté aux pauvres du Sahara.
[1] Charles de Foucauld, explorateur du Maroc, ermite au Sahara, avec un portrait, un fac-simile d’autographe et une carte-itinéraire, par René Bazin, de l’Académie française, un volume petit in-8o de 478 pages, Paris, Plon-Nourrit, éditeurs.
Non, aucun de ces documents, aucun de ceux qui ont pu être cités aux dernières pages de la biographie, dans l’index des sources consultées, ne saurait faire l’objet d’une publication intégrale. Rien n’a été composé pour être connu du monde. Rien ne forme traité. Dans la paix nocturne de la terre sainte ou des déserts de l’Afrique, lorsque Frère Charles, dans sa cabane ou sous un toit de roseaux, approchait, de la fenêtre unique, la caisse de bois qui lui servait de table, et, pour ménager l’huile, écrivait à la lueur des étoiles, il se reprenait souvent à méditer un thème ancien, dont il avait parcouru déjà les routes et les sentiers, et connu la grandeur aux jours lointains de la Trappe. Bien souvent, par une pente naturelle, la méditation devenait colloque. Nourri de la lecture des saints, particulièrement des œuvres de St Jean Chrysostôme, de Ste Thérèse et de St Jean de la Croix, il s’efforçait d’appliquer, à son état particulier, ce qu’il trouvait là, en abondance, de doctrine et de conseils. Le nom de théologien ne lui convient pas, mais, dans l’intelligence et l’amour de la croix, dans la recherche de la volonté de Dieu et de l’oubli de soi-même, il a été, sans doute, l’égal de plusieurs maîtres de ces sciences difficiles, comme il fut le premier, théoricien et praticien tout ensemble, à enseigner aussi parfaitement l’art d’apprivoiser nos frères musulmans, de vaincre par la charité leurs préjugés séculaires, de faire bénir le nom chrétien par ceux qu’il effarouche, de les amener peu à peu, avec une tendresse infinie, à cette vérité dont Frère Charles était, parmi les tribus nomades, le témoin unique et l’unique voix.
A peine un ou deux recueils ont-ils été destinés aux successeurs inconnus qu’il a, toute sa vie, inutilement appelés, et qui ne vinrent jamais vivre avec lui, sur une route de caravane, à proximité d’un de ces puits dont il notait, dans son diaire, la profondeur et la qualité de l’eau, ne manquant guère d’ajouter, si la nappe était pure et constante : « Une fraternité pourrait avantageusement être établie ici. »
On imagine aisément ce qu’aurait pu être cet Évangile présenté aux pauvres du Sahara, si l’ermite voyageur, le « grand semeur dont nul n’a pu compter les pas », avait été, le moins du monde, un « auteur ». Nous aurions une suite de récits évangéliques contés à la manière orientale, où la personne du conteur ne serait pas oubliée, non plus que le paysage, ni la physionomie des auditeurs, nomades ignorants, ardents et cauteleux, écoutant une histoire. Mais Frère Charles ! L’idée même d’une semblable composition ne lui serait jamais venue ! Il ne pensait ni à la librairie, ni à la gloire. Il lui a suffi de mesurer, d’après son expérience, la dose de vérité que les « pauvres du Sahara » peuvent supporter, ce que ces âmes enténébrées peuvent recevoir de lumière, sans se contracter et se fermer comme des prunelles violentées par l’éclat subit du jour, et de mettre en ordre les enseignements du Christianisme, pour les mieux présenter au monde musulman. A la première page de ces vingt et une conférences, qui furent écrites en 1903, à Béni-Abbès, il a mis lui-même, au-dessous du titre : « Petite introduction au catéchisme ». C’est cela même. Tout l’intérêt de l’ouvrage consiste dans l’ordre des sujets traités. La première leçon est consacrée à Dieu. En prononçant le nom de Dieu, entendu comme Toute Puissance spirituelle, on ne heurtera pas la foi coranique, et ainsi les hommes de l’Islam comprendront d’abord qu’il y a, entre le catholicisme et leur religion, ce commun dogme de Dieu unique. Plus tard, à la huitième leçon, sera exposé le dogme de la Trinité, qui heurte l’esprit musulman ; à la neuvième, celui de l’Incarnation ; plus tard encore viendront les commandements de Dieu, les commandements de l’Église, l’explication de la Croix, et tout à la fin, devant des esprits qu’on suppose gagnés à la foi ou tentés par elle, le mystère des mystères sera révélé, et le désert entendra parler de la sainte Eucharistie. Là, je le répète, est l’originalité de l’Évangile présenté aux pauvres du Sahara. La forme est toute simple, toute semblable à celle d’un catéchisme élémentaire, si ce n’est en un point, où se retrouve la haute coutume de l’Orient : toutes les fois que le nom de Dieu est prononcé, l’auteur, libre du mouvement de son cœur et sûr d’être compris, ajoute : « Qu’Il soit exalté ! Il n’y a de Dieu que Lui ! » Et c’est pourquoi, dans la neuvième leçon évangélique, ayant raconté la venue en ce monde du Fils de Dieu fait homme, il répétera, affirmant cette fois, tout ensemble, le dogme de l’Unité, celui des Trois Personnes, celui de l’Incarnation, celui de la Rédemption : « Qu’il soit glorifié ! Il n’y a de Dieu que Lui ! » Ces acclamations, toutes belles qu’elles sont, ne suffisaient pas à l’âme miséricordieuse de Charles de Foucauld. Craignant que les gens du désert ne comprissent pas tout le sens qu’elles enferment, il en ajoutait une autre, et commençait chacune des vingt et une leçons de catéchisme par cette formule : « Mon Dieu, faites que tous les hommes aillent au ciel ! » Indéniables beautés de détail : mais l’ouvrage, on le voit, ne peut faire l’objet d’une publication, en France, et de notre temps.
Il en va de même des cinq cahiers qui portent pour titre : Essai pour tenir compagnie à Notre-Seigneur Jésus. Depuis sa conversion, Charles de Foucauld n’avait cessé de méditer les Évangiles ; il les connaissait à merveille ; à Nazareth, dans sa cabane de bois, il entreprit de copier, pour lui-même, les textes qui peuvent plus particulièrement convenir à chaque jour de l’année, en commençant par le premier dimanche de l’Avent. Souvent, il les reliait l’un à l’autre, par de courtes phrases. La campagne de Galilée était devant ses yeux ; il l’avait plus d’une fois parcourue, et la connaissance qu’il avait de la géographie de la Terre Sainte apparaît dans la notation des itinéraires divins. Je lis ces mots, par exemple, à la date du 21 décembre : « La Sainte Vierge et Saint Joseph quittent, ce matin, Nazareth, pour aller à Bethléem. Ils traversent la plaine d’Esdrelon, et reçoivent probablement, le soir, l’hospitalité dans la région d’Engannim, vers Djenin ou Zebabda… Comme ils contemplent et adorent Jésus, tout le temps, et en marche et au gîte, et le jour et la nuit ! »
On ne s’étonnera donc pas de ne voir ni l’Évangile présenté aux pauvres du Sahara, ni l’Essai parmi les sources du présent recueil. Le volume que nous publions, sous le titre d’Écrits spirituels, est composé de fragments principalement empruntés aux Méditations sur l’Évangile, à la correspondance, aux cahiers de retraites. Les retraites furent un des grands moyens de persévérance et d’avancement dans la vie spirituelle auxquels eut recours Charles de Foucauld. Il en fit quatre avant de se décider à quitter le monde et à obéir à la voix qui l’appelait au service plus étroit du Christ ; il en fit à Nazareth, à Jérusalem, à Ephrem, à Béni-Abbès, à In-Salah, à Tamanrasset, autant dire chaque année. Moments qu’il désirait et qu’il aimait, étant un passionné de la solitude, — les cahiers sont remplis des témoignages de la jubilation de l’ermite « enfin seul » ; — temps nécessaire aussi de l’examen et de la résolution. Songez qu’il n’avait aucun conseil ou secours moral à attendre des hommes ; qu’autour de lui le désordre des mœurs, l’ignorance, l’orgueil, étaient universels ; que, pour lui-même et pour le bien de ses ouailles, il avait toujours quelque décision grave à prendre, et qu’en aucun cas la paix ne devait être troublée, la paix, toute sa force, le bien suprême acheté au prix de l’abandon de tous les autres. Alors, il se retirait à l’écart, il fermait aux visiteurs son ermitage, et, pendant huit ou dix jours, tenait devant Dieu son âme attentive et fervente. Comme il goûte l’absence de ses semblables et la présence de Dieu ! On lira les notations poétiques dont sont parsemées ses méditations, quand il entend la pluie tomber sur la Judée ou que les étoiles voyagent au-dessus des routes où passèrent les bergers, les Mages, le Baptiste et les foules acclamant le Fils de l’homme.
Ces notes poétiques ne sont cependant pas communes dans les Écrits spirituels. Elles eussent été abondantes, sans nul doute, s’il avait eu l’intention de composer un ouvrage pour le public ; elles étaient dans sa manière, et je n’en veux pour preuve que les paysages sobres, mais d’une jolie couleur et d’un relief juste, qu’il a multipliés dans le livre de sa jeunesse, Reconnaissance au Maroc. Mais ce ne sont pas des paysages, des harmonies précieuses à l’oreille, des images, des périodes enchaînées rigoureusement et qui forment un filet où les âmes sont prises, en un mot ce n’est pas l’émotion d’un grand style qu’on viendra chercher dans ces pages, qui ne sont, au vrai, que la prière habituelle et familière d’une âme adoratrice. L’ermite n’écrivait que pour lui-même, n’hésitant pas à se répéter, à citer de nouveau les textes, les thèmes qui lui plaisaient le plus, et à faire là-dessus les réflexions et examens dont il avait l’habitude. J’ai dû choisir les pages, remplacer par des points les passages ou les mots supprimés, faire, en somme, la mise au point dont il ne se souciait guère.
Si l’on veut définir, à présent, le mérite des Écrits spirituels, je ferai observer, tout d’abord, que nulle part, dans ces cahiers intimes, ou ces lettres, on ne rencontre un mot douteux, ou simplement un certain goût de s’étendre sur les désordres du passé, sur les dangers du monde abandonné, sur le remords même, par quoi se serait révélée une certaine complaisance. J’ai parcouru un nombre immense de feuillets, écrits par Charles de Foucauld dans l’intervalle qui sépara la conversion de la mort, et je n’ai rien trouvé que de parfaitement pur. Tous les brandons de l’ancien feu étaient morts. Phénomène singulier, qui porte à croire que l’officier de chasseurs d’Afrique, le jour où il entra, inopinément, dans le confessionnal de l’abbé Huvelin, à Saint Augustin, fut l’objet d’une grâce extraordinaire. Je n’ai pas l’autorité qu’il faudrait pour en juger, mais je suis sûr que beaucoup de lecteurs ont eu la pensée que j’indique ici.
Les autres caractères de ces écrits me paraissent être : une foi entière, invincible, romaine comme il dit ; une piété tendre et pareille, en vérité, à celle des enfants qui accourent, les bras levés, les mains levées, vers ceux qu’ils aiment ; une humilité totale, fondée, au contraire, sur l’expérience de la vie ; enfin les mots de bravoure, d’un ton très personnel, et qui sont nombreux chez lui, et magnifiques.
La diversité des saints est l’un des signes visibles de l’extrême richesse spirituelle de l’Église. Dans l’exercice des vertus recommandées à tous les chrétiens, ils mettent quelque chose de leur tempérament, de leur sang, de leur métier ou vocation, et, il faut l’ajouter, de la grâce divine d’où le monde est sorti, avec ses nuances infinies. Il n’y a pas deux feuilles d’arbre qui se ressemblent, il n’y a pas de saint qui soit tout pareil à un autre. Charles de Foucauld a dit deux sortes de paroles qui valent d’être conservées dans les greniers publics où les hommes vont chercher le blé pur, vanné et bon pour la semence. Il a eu des mots de dilection tout à fait délicieux, pour saluer les anges, les saints, la Vierge Marie, et avant tous le Maître dont il était le converti, l’ami, le chevalier. Chevalier, il l’était, comme tous, par le baptême, mais la race parlait en lui, et le soutenait aussi. Plusieurs de ses parents, de ses camarades, de ses amis, m’ont raconté que jamais l’enfant, l’officier, le trappiste, l’ermite n’eut peur. De là, jetées dans le texte des méditations, des retraites ou des lettres, bien des phrases dignes de mémoire, relevantes, héroïques, vraies devises pour de moins fortes âmes, qui s’efforceront d’imiter celle-là. J’en veux citer plusieurs. Elles furent écrites en des temps différents : mais quelle unité !
« Il faut que je me cramponne à la vie de foi. »
« Cela, (aller, au nom du Christ, parmi les infidèles) devrait tenter bien des âmes, car c’est presque la gloire qui leur est offerte, les dangers étant grands… »
« Ne pas plus s’occuper de la santé, ou de la vie, que l’arbre d’une feuille qui tombe. »
« Réserver toutes mes forces pour Dieu. »
« La faiblesse des moyens humains est une cause de force. »
« Jésus est le maître de l’impossible. »
« C’est une des choses que nous devons absolument à Notre-Seigneur de n’avoir jamais peur de rien. »
On peut, hélas, lire bien des livres sans rencontrer une ligne qui approche de celles-là !
René BAZIN.
ÉCRITS SPIRITUELS
DE
Charles de FOUCAULD
Trois ans après sa conversion, le 16 janvier 1890, le vicomte Charles de Foucauld entrait à la Trappe de Notre-Dame des Neiges, en Ardèche. Il avait demandé qu’après six mois de noviciat, on l’envoyât dans le plus pauvre et lointain monastère d’Asie Mineure, et partit pour la trappe d’Akbès, en Syrie, le 17 juin 1890. Il y demeura jusqu’en février 1897.
Les lettres qui vont suivre sont empruntées à la correspondance de Charles de Foucauld, devenu Frère Marie Albéric. Elles sont datées de l’une ou l’autre Trappe.
Trappe de N.-D. du Sacré-Cœur (Syrie), 18 août 1891.
A un Trappiste.
« Peut-on plaindre celui qui fait la volonté de Notre-Seigneur ? Y a-t-il quelque chose de plus doux au monde que de faire la volonté de Celui qu’on aime ? Et si, dans l’exécution, on trouve quelque peine, alors la douceur est double !… »
7 février 1891.
A un Trappiste.
« Notre repos, c’est de nous réjouir du bonheur infini de Dieu et, en regardant un peu plus bas, de nous réjouir de nos croix et d’en désirer toujours davantage, car, par là, nous avons le bonheur de L’imiter et de Lui prouver notre amour, choses si chères à un cœur qui aime ! Ni le bonheur, ni Dieu, ni les croix, ne nous manqueront jamais… »
15 août 1891.
A un ami (à propos de l’anniversaire de sa naissance).
« Toutes les dates semblent dire au revoir et parler de l’éternel retour, toutes semblent crier que Notre-Seigneur Jésus ne sera pas éternellement caché à ses pauvres enfants, et celle-là parle du ciel avec plus de force que les autres. Il est si bon de se dire, quand on est, comme je le suis si souvent, si horriblement froid, tiède et distrait devant le Tabernacle, que le jour viendra enfin où ce Seigneur que nous voudrions tant aimer nous apparaîtra dans sa Beauté, et que nous L’aimerons enfin… Il fait bon sentir passer les jours ! Qui sait ce qui nous reste à vivre ? Que ce soit peu ou beaucoup, puisse Notre-Seigneur agir Lui-même en nous, afin que ce reste de vie soit tout à Lui, tout pour Lui, tout pour la consolation de Son Cœur !… »
29 novembre 1896.
« Quand on aime, on voudrait parler sans cesse à l’être qu’on aime, ou au moins le regarder sans cesse ; la prière n’est pas autre chose : l’entretien familier avec notre Bien-Aimé. On Le regarde, on Lui dit qu’on L’aime, on jouit d’être à Ses pieds, on Lui dit qu’on veut y vivre et y mourir… »
Les Méditations dont nous donnons ici quelques extraits, se rapportent toutes à deux sujets : la prière et la foi. Charles de Foucauld les écrivit pendant le temps qu’il vécut à la Trappe, plus particulièrement, croyons-nous, pendant qu’il séjourna en Asie Mineure, dans la Trappe d’Akbès. On remarquera qu’il prend, dans chaque évangéliste, d’abord dans saint Mathieu, puis dans saint Marc, puis dans saint Luc et dans saint Jean, les textes qui se rapportent à l’entretien de l’âme avec Dieu ; il fera de même en ce qui concerne la foi.
Évangile selon St Mathieu, Ch. 4, v. 10.
« Tu adoreras le Seigneur ton Dieu. » C’est Vous qui nous le dites, mon Seigneur et mon Dieu ; c’est la première parole sortie de Votre bouche touchant la prière, qu’on trouve dans l’Évangile ; c’est aussi le principal, le fond de nos prières : adorer, se mettre à Vos pieds, sous Vos pieds, comme un néant, comme une poussière bonne seulement à être sous Vos pieds, mais une poussière pensante, une poussière aimante, une poussière qui Vous admire, qui Vous vénère, qui Vous aime passionnément, qui baise et embrasse Vos pieds en étant foulée par eux, se fond en amour et en vénération devant Vous…
Voilà mon premier devoir envers Vous, mon Seigneur et mon Dieu, mon Maître, mon Créateur, mon Sauveur, mon Dieu Bien-Aimé !…
C’est pour me perfectionner et perfectionner mon prochain que je fais ces petites méditations. Et ce double perfectionnement, je ne le veux que parce qu’il est le plus que je puisse faire pour Votre gloire. Daignez donc bénir, mon Dieu, ce petit travail, ce doux travail, entrepris uniquement pour Votre gloire, pour la consolation de Votre Cœur. Cœur Sacré de Jésus, je dépose en Vous ce travail fait pour Vous, répandez sur lui Vos grâces et qu’il soit ce que Vous voulez. Notre-Dame du Perpétuel-Secours, accordez-moi en ceci comme en toutes mes pensées, mes paroles et mes actions, votre secours tout puissant et la grâce de vous le demander sans cesse.
Ma Mère Sainte Magdeleine, Saint Joseph, Saint Jean-Baptiste, Saint Pierre, Saint Paul, mon bon Ange, Saintes Femmes qui avez broyé des parfums pour embaumer Notre Seigneur, broyez ce travail et broyez-moi surtout moi-même et répandez-moi comme un parfum d’agréable odeur sur les pieds de Notre-Seigneur…
St Mathieu, ch. 5, v. 44. « Mais moi je vous dis : Aimez vos ennemis, etc… »
Prier pour nos persécuteurs et nos ennemis. Mettons soigneusement, avec le soin scrupuleux de l’amour, cet ordre à exécution. Et, pour être bien sûr de ne pas l’omettre, fixons-nous telle ou telle prière à dire chaque jour pour nos persécuteurs et nos ennemis. Quand notre Bien-Aimé laisse tomber un commandement de ses lèvres, n’est-ce pas bien le moins que nous le recueillions et que nous l’exécutions avec tout l’empressement, tout l’amour et toute la perfection possibles ?
St Mathieu, ch. 6, v. 6. « Lorsque vous prierez, entrez dans votre chambre, et, la porte en étant fermée, priez votre Père dans le secret. »
Notre-Seigneur nous donne, ici, le précepte de la prière solitaire : nous enfermer dans notre chambre et y prier dans la solitude notre Père qui nous voit dans le secret. Donc, à côté de la prière bien-aimée devant le Saint-Sacrement, à côté de la prière en commun où Notre-Seigneur est au milieu de ceux qui se réunissent pour Le prier, aimons et pratiquons chaque jour la prière solitaire et secrète, cette prière où nul ne nous voit que notre Père Céleste, où nous sommes absolument seuls avec Lui, où nul ne sait que nous Le prions ; tête à tête, secret délicieux, où nous répandons notre cœur en liberté, loin de tous les yeux, aux genoux de notre Père…
St Mathieu, ch. 7, v. 8. « Qui demande reçoit, qui cherche trouve. »
Combien nous devons demander la glorification de Dieu, notre sainteté et celle du prochain, puisque nous sommes absolument sûrs de l’obtenir !… Et, en effet, n’est-il pas naturel que Celui qui nous a aimés jusqu’à tant souffrir pour nous, nous aime assez pour nous exaucer ?… Quelle responsabilité nous avons ! Si nous ne prions pas assez, nous sommes responsables de tout le bien que nous aurions pu faire par la prière et que nous n’avons pas fait. Quelle terrible responsabilité ! Mais, quelle bonté de la part de Notre-Seigneur, de nous faire ainsi, en quelque sorte, partager Sa puissance en donnant une telle valeur à nos prières !
St Mathieu, 9, 22. « Ta foi t’a guérie », dit Notre-Seigneur à l’hémorroïsse…
Nous le voyons, ce que Notre-Seigneur recommande par-dessus tout dans la prière, c’est la foi. Il la recommande presque à chaque ligne… Pourquoi ? 1o parce que c’est ce qui nous manque le plus ; 2o parce que, quand elle nous manque, notre prière non seulement ne peut pas être agréable à Dieu, mais Lui est injurieuse… Qu’elle nous manque, je ne le vois que trop, hélas ! par ma triste expérience. Elle me manque si souvent pour deux causes : parce que je me regarde trop et je ne regarde pas assez Dieu ; j’ai les yeux sur mon indignité au lieu de les avoir sur Sa bonté, sur Son amour, sur Son Cœur ouvert pour moi ; et parce que je regarde ma demande trop humainement ; j’ai devant les yeux les difficultés que présentent les grâces que je demande, leur impossibilité à être atteintes par les hommes, les obstacles qui s’opposent à leur accomplissement, au lieu d’avoir devant les yeux la toute-puissance de Dieu à qui tout est facile !… Ayons donc sans cesse sous les regards l’amour immense de Dieu pour nous, cet amour qui Lui a fait endurer de telles souffrances pour chacun de nous, et qui Lui rend si doux, si agréable, si naturel, de nous faire les plus grandes grâces (plus les grâces sont grandes, plus Il lui est doux de nous les faire, c’est la nature de l’amour), et cette facilité infinie avec laquelle Il peut faire ce qui nous semble le plus difficile, le plus impossible.
St Mathieu, ch. 14, 23. « Il monta sur la montagne, seul, pour y prier. Et le soir venu, il était tout seul… »
— Notre-Seigneur prie seul, prie la nuit. C’est une habitude chez Lui… Bien des fois l’Évangile nous répète : « Il se retira seul pendant la nuit pour prier »… Aimons, chérissons, pratiquons à son exemple, la prière nocturne et solitaire… Quand tout sommeille sur la terre, veillons et faisons monter nos prières vers notre Créateur… S’il est doux d’être en tête-à-tête avec ce qu’on aime au milieu du silence, du repos universel et de l’ombre qui couvre la terre, combien est-il doux d’aller, en ces heures, jouir du tête-à-tête avec Dieu !… Heures d’incomparable félicité, heures bénies qui faisaient trouver à saint Antoine les nuits trop courtes… heures où, pendant que tout se tait, tout dort, tout est noyé dans l’ombre, je vis aux pieds de mon Dieu, épanchant mon cœur dans Son amour, Lui disant que je L’aime, et Lui me répondant que je ne L’aimerai jamais, si grand que soit mon amour, autant qu’Il me chérit… Nuits fortunées que mon Dieu me permet de passer en tête-à-tête avec Lui… O mon Seigneur et mon Dieu, faites-moi sentir comme je le dois le prix de pareils moments ! Faites-moi « delectare in Domino »… Faites-moi, à Votre exemple, n’avoir pas de plus chers moments, pas de plus vrai repos, pas d’heures plus suaves et plus enviées que ces heures de prières nocturnes et solitaires !
Apprenez-moi, de plus, à prolonger ces heures où, pendant que tout sommeille, je veille seul à Vos pieds, où, sans que personne sache ni partage mon bonheur, je jouis, dans la solitude de la nuit, de la présence de mon Dieu ! O mon Dieu, si ces veilles solitaires et fortunées pouvaient dévorer de plus en plus toutes mes nuits, que je serais heureux !… Combien de saints ont eu ce bonheur : je sais bien que je ne le mérite pas, mais je ne mérite aucune faveur et Vous m’en avez tant fait, et je sais si bien que Vous m’aimez ! Mon Dieu, si cela est, comme je le pense, conforme à Votre volonté, faites-moi cette grâce, je Vous le demande, par toutes les grâces que Vous m’avez déjà faites et par Votre Cœur ! Amen…
Notre-Dame du Perpétuel-Secours, vous que je n’ai jamais invoquée en vain, obtenez-moi ce bienfait et ayez la main sur moi, pour m’empêcher de dormir, comme je le fais si souvent, hélas ! lorsque je suis aux pieds de Notre-Seigneur et qu’Il m’invite à Le prier, à prier avec Lui, à passer une heure en tête-à-tête avec Lui !…
St Mathieu, ch. 17, v. 19. « Si vous aviez de la foi gros comme un grain de sénevé, rien ne vous serait impossible. »
Nous pouvons tout par la prière. Si nous ne recevons pas, c’est, ou que nous avons manqué de foi, ou que nous avons trop peu prié, ou qu’il serait mauvais, pour nous, que notre demande nous soit accordée, ou que Dieu nous donne quelque chose de meilleur que ce que nous demandons… Mais jamais nous ne recevrons pas ce que nous demandons, parce que la chose est trop difficile à obtenir : rien ne nous est impossible à obtenir… N’hésitons pas à demander à Dieu même les choses les plus difficiles, telles que les conversions des grands pécheurs, de peuples entiers : demandons-les même d’autant plus qu’elles sont plus difficiles, avec la foi que Dieu nous aime passionnément…; mais demandons avec foi, avec insistance, constance, avec amour, avec bonne volonté… Et soyons sûrs que si nous demandons ainsi et avec assez de constance, nous serons exaucés en recevant la grâce demandée ou une meilleure.
… Demandons donc hardiment à Notre-Seigneur les choses les plus impossibles à obtenir, quand elles sont pour Sa gloire, et soyons sûrs que Son Cœur nous les accordera d’autant plus qu’elles semblent humainement plus impossibles, car donner l’impossible à ce qu’Il aime est doux à Son Cœur, et combien ne nous aime-t-Il pas ?
St Mathieu, ch. 17, v. 20. « Ce genre de démons ne se chasse que par la prière et le jeûne. »
Non pas par des prières ou des jeûnes spéciaux, mais par une vie de prière et de jeûne… Si donc nous voulons résister aux tentations du démon, il nous faut, pour cela, mener une vie de prière et de jeûne : ce sont les deux armes que Notre-Seigneur nous indique… Pour que notre vie soit une vie de prière, il faut deux choses : d’abord qu’elle renferme un temps suffisamment long consacré uniquement chaque jour à la prière ; ensuite, que pendant les heures consacrées à d’autres occupations, nous restions unis à Dieu, conservant la pensée de Sa présence, et tournant, par de fréquentes élévations, nos cœurs et nos regards vers Lui…
St Mathieu, ch. 18, v. 14. « Ainsi votre Père, qui est dans les cieux, ne veut pas qu’aucun de ces petits périsse. »
Notre-Seigneur est venu pour chercher ce qui est perdu… Il laisse quelques brebis qui sont au bercail pour courir après celle qui s’est égarée… Faisons comme Lui, et puisque nos prières sont une force, qu’elles sont certaines d’obtenir ce qu’elles demandent, courons, par nos prières, à la recherche des pécheurs, faisons, par elles, l’œuvre pour laquelle notre Divin Époux est venu sur la terre… Si nous ne sommes pas voués à la vie apostolique, combien nous devons prier pour la conversion des pécheurs, puisque la prière est presque le seul moyen puissant, étendu, que nous ayons de leur faire du bien, d’aider notre Époux dans son travail, de sauver Ses enfants, de tirer d’un péril mortel ceux qu’Il aime passionnément, et qu’Il nous a, par son testament, ordonné d’aimer comme Lui-même les aime !… Et si nous sommes voués à l’apostolat, notre apostolat ne sera fructueux que si nous prions pour ceux que nous voulons convertir, car Notre-Seigneur ne donne qu’à celui qui demande, n’ouvre qu’à celui qui frappe… Pour que Dieu mette de bonnes paroles sur nos lèvres, de bonnes inspirations dans nos cœurs, la bonne volonté dans les âmes de ceux à qui nous nous adressons, il faut la grâce de Dieu, et, pour la recevoir, il faut la demander… Ainsi, quel que soit notre genre de vie, prions beaucoup, beaucoup pour la conversion des pécheurs, puisque c’est pour eux surtout que Notre-Seigneur travaille, souffre et prie…
Prions chaque jour de toute notre âme pour le salut et la sanctification de ces enfants égarés mais bien-aimés de Notre-Seigneur, afin qu’ils ne périssent pas, mais soient heureux ; prions chaque jour pour eux, longuement et de toute notre âme, pour que le Cœur de Notre-Seigneur soit consolé par leur conversion et réjoui par leur salut…
St Mathieu, ch. 21, v. 13. « Ma maison est une maison de prière ; vous en avez fait une caverne de voleurs. »
Ceci nous indique le respect infini que nous devons avoir pour toute église, chapelle ; avec quel recueillement, quel respect, il faut nous y tenir ; et si ce recueillement était obligatoire jadis, combien plus il l’est maintenant que Notre-Seigneur réside dans nos Tabernacles…
La parole de Notre-Seigneur nous dit encore autre chose, elle s’applique à notre âme : notre âme, aussi, est une maison de prière ; la prière doit, sans interruption, s’élever d’elle vers le ciel, comme une fumée d’encens, et combien de fois, hélas ! les distractions, les pensées terrestres, les pensées qui ne sont pas pour la plus grande gloire de Dieu, les pensées mauvaises même, l’occupent, la remplissent de bruit, de trouble et de souillures, et en font une caverne de voleurs !… Efforçons-nous de toute notre puissance de faire que notre esprit soit toujours occupé de Dieu ou de ce qu’Il nous charge de faire pour Son service ; et même, qu’en faisant ce dont Il nous charge, nous jetions sans cesse un regard vers Lui, sans jamais détacher le cœur en aucune façon, et les yeux le moins possible, n’attachant nos yeux à nos occupations qu’autant que c’est nécessaire, et notre cœur pas du tout : que Dieu soit le Roi de nos pensées, le Seigneur de nos pensées, que Sa pensée ne nous quitte pas et que tout ce que nous disons, faisons, pensons, soit pour Lui, soit dirigé par Son amour. Rappelons-nous l’expression « dame des pensées » et qu’ainsi notre âme soit toujours une maison de prière, jamais une caverne de voleurs. Que rien d’étranger n’y ait accès ; qu’aucune chose profane n’y entre, même en passant. Qu’elle s’occupe sans cesse de son Bien-Aimé… Quand on aime, on ne perd pas de vue ce qu’on aime…
St Mathieu, 21, 16 « … et les enfants… criaient dans le temple : Hosanna au Fils de David. »
Notre-Seigneur approuve les enfants qui chantent : « Hosanna au Fils de David ». Il approuve donc, Il veut qu’on Le loue… Il ne Lui suffit pas qu’on Le remercie, qu’on Lui demande pardon, qu’on Le prie d’accorder des grâces ; ces trois mots : « merci, pardon, secourez-nous », si indispensables, et qui doivent être à tout instant dans nos cœurs et sur nos lèvres, ne suffisent pas pour Le prier comme nous le devons : il faut encore Le louer. Louer, c’est exprimer son admiration et, en même temps, son amour, car l’amour est inséparablement uni à une admiration sans réserve. Donc, louer Dieu, c’est se fondre à Ses pieds en paroles d’admiration et d’amour, c’est Lui répéter sous toutes les formes qu’Il est infiniment parfait, infiniment aimable, infiniment aimé, que Sa beauté, notre admiration et notre amour sont sans mesure ; c’est Lui dire sans fin, Lui dire sans pouvoir mettre de terme à une si douce déclaration, qu’Il est beau et que nous L’aimons.
Combien la louange fait partie essentielle de l’amour ; combien, par conséquent, elle fait indispensablement partie de nos devoirs envers Dieu : c’est facile à voir… Mais il est une deuxième cause pour laquelle nous devons à Dieu la louange : c’est que, nous permettre de la Lui adresser, c’est de Sa part une incomparable faveur : permettre à quelqu’un de nous dire, de nous répéter sous toutes les formes qu’il nous aime, n’est-ce pas la plus grande faveur que nous puissions lui faire ? N’est-ce pas lui dire que son amour nous plaît, nous est agréable, n’est-ce pas lui dire presque que nous l’aimons aussi ?… Dieu nous permet de nous tenir à Ses pieds, murmurant sans fin des paroles d’admiration et d’amour : quelle grâce ! quelle bonté, quel bonheur !… Mais, quelle ingratitude si nous méprisions une telle faveur ! Ce serait la mépriser que de n’en pas profiter, et non seulement Dieu nous permet ce bonheur des bonheurs, mais Il nous l’ordonne : Il nous ordonne de Lui dire que nous L’admirons et que nous L’aimons, et nous ne répondons pas à une invitation si précieuse et si douce ? quelle ingratitude ! quelle indignité ! quelle grossièreté, quelle monstruosité ! Mon Seigneur et mon Dieu, apprenez-moi à trouver toute ma joie à Vous louer, c’est-à-dire à Vous répéter sans fin que Vous êtes infiniment parfait et que je Vous aime infiniment : « Delectare in Domino et dabit tibi petitiones tuas » avez-Vous dit. Apprenez-moi à me délecter en Vous, dans la vue de Vos infinies beautés et le murmure amoureux et incessant, à Vos pieds, de Vos louanges !… Sainte Magdeleine, obtenez-moi la grâce de louer Notre-Seigneur, notre Maître commun, comme Il veut que je le fasse !…
St Mathieu, ch. 26, v. 36. « Asseyez-vous ici, pendant que je vais là-bas prier. »
Que fait Notre-Seigneur pendant la dernière heure qui précède Son arrestation et le commencement de Sa Passion ? Il se retire seul, pour prier… Ainsi, quand nous avons une grave épreuve à supporter, un danger, une souffrance à affronter, passons dans la prière, la prière solitaire, les derniers moments, la dernière heure qui nous en séparent[2]. Dans tout événement grave de notre vie, faisons ainsi : préparons-nous y, cherchons force, lumière, grâce pour nous y bien conduire en employant à prier, et à prier seul, la dernière heure, le dernier moment qui nous en séparent…
[2] Charles de Foucauld passa dans ce silence qu’il recommande ici, les dernières heures qui précédèrent sa mort violente.
St Mathieu, ch. 26, v. 38. « Attendez ici, et veillez avec moi. »
Est-ce seulement à ses trois Apôtres que Notre-Seigneur dit cela ?… Non, c’est à nous tous qu’Il aime et qu’il voit pendant son agonie, à nous tous, dont la compagnie fidèle et tendre, en ces moments douloureux, Lui est une consolation… Soyons donc fidèles à cette pratique « de veiller avec Lui », tous les jeudis soirs, pour Lui tenir compagnie, L’assister, Le consoler, être avec Lui de toute notre âme pendant Son agonie… Que cette veille du jeudi soir avec Notre-Seigneur agonisant soit une de nos pratiques fidèles toute notre vie : n’y manquons jamais pour l’amour du Cœur de Notre-Seigneur, Il nous le demande formellement par ces mots dits à Ses Apôtres. Le Lui refuserons-nous ?… O Sainte Vierge, ô mon Ange Gardien, aidez-moi, je vous en supplie, pour que je ne sois plus jamais assez indigne, assez détestable pour le Lui refuser. Amen.
St Mathieu, ch. 26, v. 39. « Il se prosterna, priant et disant… »
Notre-Seigneur se prosterne pour prier. Imitons-Le : aimons à prier prosternés, à genoux, dans les postures les plus pénitentes, les plus humbles, les plus suppliantes : ce sont, de toutes manières, celles qui nous conviennent le mieux, et ce sont aussi les plus douces pour nous, car ce sont les plus amoureuses. Quelle est la posture la plus amoureuse, sinon de se tenir à genoux aux pieds de ce qu’on aime ?… Tenons-nous donc ainsi aux pieds de notre Bien-Aimé… Ne craignons pas d’être assis en sa présence, comme Sainte Magdeleine, ou debout, mais préférons être à genoux et, chaque fois que nous le pouvons, que ce soit à genoux ou prosternés comme Il nous en donne ici l’exemple, comme le dictent l’humilité, la pénitence et surtout l’amour, que se fassent nos prières.
St Mathieu, ch. 26, v. 39. « Mon Père, si c’est possible, que ce Calice s’éloigne de moi, cependant, non ma volonté, mais la vôtre… »
Notre-Seigneur nous apprend à prier : il faut, d’abord, demander à Dieu ce que nous désirons, avec la simplicité de l’enfant qui parle à son père, et, après cela, ajouter : « Cependant, non ma volonté, mais la Vôtre. »
Faisons ainsi : point de recherche dans nos prières ; la simplicité absolue ; demandons ce que désire notre cœur, sans passer notre temps à chercher si nous ferions mieux de demander autre chose, sans recherche, en toute simplicité, demandons ce que nous désirons, puis ajoutons : « Cependant non ma volonté, mais la Vôtre. »
St Mathieu, ch. 26, v. 40. « Ainsi, vous n’avez pas pu veiller une heure avec moi… »
Ce n’est pas à Vos seuls Apôtres que Vous parlez, mon Dieu ! C’est à tous ceux qui, pouvant veiller avec Vous, pouvant tenir compagnie la nuit à Votre Cœur affligé, Vous consoler en priant et veillant avec Vous avec fidélité et amour, ne le font pas, se laissent aller au sommeil, manquent de courage, et, par conséquent, d’amour ; ne sentent pas tout le prix qu’a une veille avec Vous ; ne comprennent pas que veiller à Vos pieds est un incomparable bonheur, une félicité dont les Saints et les Anges même ne sont pas dignes ; ne jouissent pas de Votre présence comme on jouit de la présence d’un être passionnément aimé, et ne désirent pas avec passion Vous consoler, Vous soulager… S’ils désiraient, avec la passion qu’ils devraient avoir, Vous consoler, jamais ils ne céderaient à la tentation si basse et si brutale du sommeil : s’ils sentaient comme ils le devraient la félicité infinie qu’il y a à prier à Vos pieds, devant Vous, ne resteraient-ils pas indéfiniment à prier avec Vous, sans s’apercevoir que le temps passe, et n’ayant qu’une crainte dans une pareille jouissance, celle de la voir finir… Hélas, mon Dieu ! comme je suis de ces êtres bas, vils, grossiers qui, bien souvent, s’endorment à Vos pieds et se laissent aller au sommeil quand ils pourraient prier avec Vous !… Pardon, pardon !… Secourez-moi, mon Dieu, afin que je ne retombe plus jamais dans une aussi détestable froideur, dans une aussi indigne infidélité !… J’y suis tombé bien des fois ; je déteste ma faute, je l’ai en horreur… Pardon, mon Dieu, de toute mon âme !…
Évangile selon St Marc, ch. 1, v. 35. « En sortant de grand matin, il alla dans un lieu désert où il pria. »
Faisons comme Notre-Seigneur : levons-nous de grand matin, quand tout repose autour de nous, quand le silence, les ténèbres, le sommeil enveloppent encore la terre et les hommes et, au milieu de ce recueillement universel, de cette torpeur où tout est enseveli, levons-nous, veillons pour Dieu, élevons vers Lui nos cœurs et nos mains, répandons nos âmes à Ses pieds et, à cette heure où le tête-à-tête est si secret et si doux, jetons-nous à Ses genoux, et jouissons du tête-à-tête avec notre Créateur… Qu’Il est bon de nous permettre de venir à Ses pieds pendant que tout sommeille ; qu’Il est bon d’accorder à cette pauvre créature ce tête-à-tête avec Sa souveraine Majesté, avec son ineffable Beauté !… Jouissance de toute notre âme de moments si fortunés, d’une faveur au-dessus de toute parole, d’une faveur dont ni homme, ni saint, ni ange n’est digne !… Pendant toute notre vie, faisons chaque jour ce dont Notre-Seigneur nous donne ici l’exemple et qui est le bonheur des bonheurs, une félicité divine ; levons-nous bien avant le jour, et, de grand matin, quand tout sommeille dans l’ombre et le silence, commençons en même temps notre journée et nos prières, et passons, avant le jour et le commencement des travaux, de longues heures à prier aux pieds de Dieu… Devançons même nos saints compagnons et cherchons non seulement à prier une partie de la nuit avant le jour, mais à prier seul, ignoré de tous, dans la complète solitude, comme Notre-Seigneur… Si la prière commune nous est recommandée par Lui, Il nous recommande aussi la prière solitaire et secrète, et nous en donne l’exemple. Suivons les deux préceptes et les deux exemples…
St Marc, 7, 29… « Et elle le priait de
chasser le démon du corps de sa fille.
Jésus lui dit : « Laissez d’abord rassasier
les enfants ; car il n’est pas bon
de prendre le pain des enfants et de
le jeter aux chiens. » Elle répondit :
« C’est vrai, Seigneur ; mais les petits
chiens mangent sous la table les
miettes de pain des enfants.
— A cause de cette parole, va, le
démon est sorti de ta fille. »
Notre-Seigneur approuve hautement la prière de la Syro-phénicienne, et, par conséquent, nous la propose comme modèle des nôtres. Que voyons-nous surtout, dans cette prière ? Foi, humilité, constance, brièveté, simplicité. La foi et l’humilité sont admirables. La constance est telle qu’aucun rebut ne peut l’altérer. Faisons de même : soyons simples, brefs, d’une humilité qui trouve tout naturel de nous comparer et de nous entendre comparer à des chiens, d’une foi et d’une constance qu’aucune sécheresse, aucune difficulté, aucun refus, si répété qu’il soit, aucune lenteur à voir l’accomplissement de notre demande, n’altère ni ne décourage…
St Marc, 14, 38. « Veillez et priez pour ne pas entrer en tentation. »
Pour résister à la tentation, il nous faut deux choses : 1o de longues heures consacrées à la prière, chaque jour, avec une régularité inviolable ; 2o la prière continuelle pendant le reste du temps, c’est-à-dire que pendant les diverses occupations qui remplissent le reste de la journée, il faut avoir l’esprit sans cesse attaché à Dieu, les yeux sans cesse tournés vers Lui, soit par la simple pensée de la présence, soit par la méditation, soit par des prières vocales, peu importe le moyen, pourvu que l’âme regarde son Bien-Aimé. Quand nous travaillons à un ouvrage en présence d’un être aimé, oublions-nous un seul instant sa présence qui nous rend si heureux, nous fait trouver le temps si rapide et les moments si fortunés, ne levons-nous pas à tout instant les yeux sur lui ? Faisons de même pour Notre-Seigneur Jésus, le divin Époux de nos âmes. La prière continuelle pendant tout le jour écartera de nous les tentations, la présence de Notre-Seigneur les chassant, les empêchant de nuire…; les heures uniquement consacrées à la prière chaque jour nous donneront la force, avec la grâce de Dieu, de conserver Sa présence pendant tout le reste de la journée, et de nous livrer, pendant le reste du jour, à ce que nous appelons « la prière continuelle ».
St Marc, 15, 34. « Eloï, Eloï, lamma sabachtani !… »
Cette parole nous apprend deux choses : 1o qu’il faut adresser à Dieu, avec une simplicité absolue, toutes nos pensées, nos plaintes comme le reste ; dans la joie, nos cris de joie ; dans la reconnaissance, nos remerciements ; dans le repentir, nos « pardons » ; dans le désir, nos demandes ; dans la douleur, nos plaintes. Comme notre douleur est permise par Lui, nous devons non seulement nous plaindre à Lui, mais aussi nous plaindre de Lui, comme le fait ici Notre-Seigneur, mais cela avec le respect, l’amour, la soumission, la conformité amoureuse et illimitée à Sa volonté qu’avait pour Lui son Fils Unique et que nous Lui devons, nous, ses enfants, enfants si comblés par ce Père bien-aimé et infiniment bon. 2o Notre-Seigneur emploie, pour parler à son Père, deux mots de l’Écriture. Servons-nous de ces paroles infiniment saintes, paroles de l’Esprit-Saint, et employons-les pour nos prières d’une certaine longueur, comme faisaient les anciens Juifs, comme fait l’épouse du Christ, la sainte Église ; servons-nous-en aussi, dans nos oraisons jaculatoires comme le fait ici N.-S. ; en plusieurs endroits. Il nous donne le même exemple pour mieux nous l’inculquer et nous apprendre que c’était une habitude chez Lui et que, par conséquent, cela doit être une habitude chez nous… Non seulement Il se sert des mots de l’Écriture pour exprimer les cris de Son âme, mais Il s’en sert dans les moments les plus solennels, dans la tentation au désert et sur la Croix : deux mots d’un psaume sont Ses dernières paroles avant Sa mort… Combien nous devons suivre un exemple qu’Il nous donne si fortement… Et, d’ailleurs, n’est-il pas évident que les paroles de l’Écriture inspirée de Dieu valent mieux que nos paroles ? Nous ne pouvons rien offrir à Dieu de plus agréable, après le Corps de son Fils, que les paroles que son Cœur a versées du Ciel sur la terre, les paroles sacrées tombées de Ses propres lèvres.
Évangile selon St Luc, 10, 42. « Marie a choisi la meilleure part et elle ne lui sera pas ôtée. »
La meilleure part, c’est la vie contemplative, la vie de prière, la vie qui se détache entièrement des choses matérielles pour ne s’occuper qu’à contempler Notre-Seigneur ; la vie où l’esprit, ne s’occupant jamais de choses terrestres, est tout entier plongé dans la pensée de Dieu, Le regardant, L’écoutant, Lui parlant sans cesse par le sentiment perpétuel de Sa présence et une oraison qui peut varier aux différents moments du jour, mais qui ne s’interrompt jamais… Marie vit comme les autres, mais, quoi qu’elle fasse, ses yeux, sa pensée et son cœur sont toujours tout entiers sur Jésus : Il est toute sa vie… C’est la vie contemplative, la vie de l’amour le plus passionné, de l’amour d’admiration… C’est la meilleure part, la part de la Sainte Vierge et de saint Joseph à Nazareth, la part de la Sainte Vierge pendant toute sa vie, de saint Jean-Baptiste au désert, la part de Marie-Magdeleine à Béthanie, en Galilée, en Judée, en Provence. Que ce soit la nôtre ! Imitons notre Mère bénie, sainte Magdeleine, cette adoratrice passionnée de Jésus…
St Luc, 15, 10. « La joie sera parmi les Anges du Ciel pour un pécheur faisant pénitence. »
La joie, par conséquent aussi l’action de grâce, car tout bien vient de Dieu… L’action de grâce doit tenir une très grande place dans nos prières, car la bonté de Dieu précède tous nos actes, elle environne tous les instants de notre vie, et il n’y a pas de moments de notre existence où nous ne recevions une foule immense de bienfaits tels que toute l’éternité ne nous suffirait pas pour remercier assez de chacun d’eux… Quand nous sommes devant le Saint-Sacrement surtout, que notre premier mot soit toujours : « Merci ! Merci d’être à Vos pieds ! que je suis heureux… » Et chaque fois que nous prions, en quelque lieu que ce soit, « merci, encore une fois merci de me permettre de Vous parler, de Vous prier, de Vous regarder, de m’entretenir avec Vous, mon Seigneur et mon Dieu, mon Bien-Aimé, mon Bonheur et ma Vie ! » Non seulement remercier pour nous, mais pour tous les hommes, nos frères, Vos enfants, mon Dieu, que je dois aimer, que je veux aimer si tendrement. Merci pour toutes les âmes du purgatoire, tous les anges, tous les saints, pour ceux que Vous m’avez donnés à aimer davantage. Merci pour la Très Sainte Vierge ; merci par-dessus tout pour Vous, mon Seigneur et mon Dieu, dont la gloire et la béatitude infinie sont mon bonheur, bonheur ferme et assuré, source inépuisable de joie que rien ne peut m’enlever !…
St Luc, 19, 40. « Si ceux-ci se taisent, les pierres crieront. »
Tant il est juste qu’on Vous loue, Seigneur Jésus ! tant il est indispensable que Votre louange fasse partie de notre culte, de nos prières ! Louons donc dans nos prières, adorons, ne nous contentons pas de dire merci, pardon, secourez-nous, mais faisons précéder ces trois invocations si nécessaires de celle-ci : « Je Vous adore », c’est-à-dire : je Vous aime, je Vous loue, Vous êtes infiniment beau, infiniment aimable, je le proclame de toutes mes forces, et je voudrais pouvoir le proclamer assez pour que Vous puissiez en tirer quelque gloire, quoique je sois un néant, assez pour que ma louange fût digne de Votre beauté, quoique ce soit infiniment impossible… Vous seul pouvez Vous louer, mon Dieu… Je m’unis donc à Vous, ô Jésus, mon Seigneur, pour louer Votre Père ! je m’unis à Vous, ô Saint-Esprit, « qui poussez en moi des gémissements inénarrables », pour louer Jésus ! Je m’unis à Vous, à Père, ô Fils, pour louer l’Esprit-Saint, Votre égal et mon Dieu !… Que l’adoration, l’acte d’amour, de louange, soient donc dans toutes nos prières, et qu’ils soient au commencement, en premier lieu, comme l’acte de respect et d’amour est la première chose qui se fait en nous quand nous abordons Dieu…
St Luc, 22, 43. « Étant tombé en agonie, Il priait plus longuement. »
Mon Dieu, faites-nous, je Vous en supplie, suivre Votre exemple ! Plus nous souffrons, plus nous sommes tentés, plus il nous faut prier : dans la prière est notre seul secours, notre seule force, notre seule consolation ; que la douleur, que la force de la tentation ne la paralysent donc pas ; le démon fait tous ses efforts pour l’arrêter en nous à ces moments ; mais, loin de céder à cette tentation, loin de céder à la faiblesse de la nature qui voudrait que l’âme s’absorbât dans sa peine et ne regardât pas autre chose, regardons notre Sauveur qui est là, près de nous, et parlons-Lui… Il est devant nous, Il nous regarde avec amour, Il tend l’oreille pour nous entendre, Il nous dit de Lui parler, Il nous dit qu’Il est là, qu’Il nous aime et nous n’aurions pas un mot pour Lui, pas un regard pour Lui ! Quelle indignité !… Regardons-Le, parlons-Lui sans relâche, comme on fait quand on aime, comme fait ici N.-S. avec son Père : plus nous tombons en agonie, plus il faut nous précipiter dans le sein de notre Bien-Aimé et nous presser contre Lui par une prière non interrompue… Mon Dieu, faites-moi cette grâce, la grâce de suivre Votre exemple, en accomplissant un devoir si impérieux et si doux !…
St Luc, 23, 46. « Mon Père, je remets mon esprit entre vos mains. »
C’est là la dernière prière de notre Maître, de notre Bien-Aimé… Puisse-t-elle être la nôtre… Et qu’elle soit non seulement celle de notre dernier instant, mais celle de tous nos instants : « Mon Père, je me remets entre Vos mains ; mon Père, je m’abandonne à Vous, je me confie à Vous ; mon Père, faites de moi tout ce qu’il Vous plaira ; quoi que Vous fassiez de moi, je Vous remercie ; merci de tout, je suis prêt à tout ; j’accepte tout ; je Vous remercie de tout ; pourvu que Votre volonté se fasse en moi, mon Dieu pourvu que Votre volonté se fasse en toutes Vos Créatures, en tous Vos enfants, en tous ceux que Votre Cœur aime, je ne désire rien d’autre, mon Dieu ; je remets mon âme entre Vos mains ; je vous la donne, mon Dieu, avec tout l’amour de mon cœur, parce que je Vous aime, et que ce m’est un besoin d’amour de me donner, de me remettre en Vos mains sans mesure ; je me remets entre Vos mains avec une infinie confiance, car Vous êtes mon Père… »
Évangile selon St Jean, 3, 29. « L’ami de l’Époux, qui est là et l’écoute, jubile de joie en entendant la voix de l’Époux. »
Ne dois-je pas dire ces paroles, mon Dieu, mon Seigneur Jésus, chaque fois que j’entends quelque texte inspiré : Psaume, Évangile surtout, Pater, Ave, enfin tout texte des livres inspirés ? C’est bien la voix de l’Esprit Saint qui parle, chaque fois que je les lis, que je les entends. Je dois donc dire ces paroles de saint Jean, et ajouter avec lui : « Donc, en ce moment, mon bonheur est parfait… » C’est dans cette jubilation que je dois être, chaque fois que j’entends, que je lis, que je récite quelque texte, si court qu’il soit, de la parole de Dieu, de la parole du Bien-Aimé, de la parole de l’Époux si passionnément chéri !… C’est dans cette jubilation, dans ce transport d’amour où doit me jeter la voix de l’Époux, que je dois donc réciter l’office divin, dire le Saint Rosaire, lire la Sainte Écriture… Aime-t-on, respecte-t-on, vénère-t-on, admire-t-on, adore-t-on la parole écrite ou parlée de ce qu’on aime ?… Adorons donc, baisons, chérissons, adulons toute parole du Bien-Aimé de nos cœurs !…
St Jean, 12, 38. « Père, sauvez-moi de cette heure. Mais c’est pour cette heure que je suis venu. Père, glorifiez votre Nom. »
C’est, sous une autre forme à peine différente, la prière de Gethsémani, l’appel pur et simple à Dieu, la demande en toute simplicité de ce que désire la nature, la nature qui souffre et qui a besoin, et, tout de suite après, on se reprend et on dit : mais non, mon Dieu, ceci ou autre chose, peu m’importe, la seule chose qui m’importe, c’est Votre gloire. Glorifiez Votre Nom ! Donnez-moi ce qui Vous glorifiera le plus. C’est cela que je Vous demande et pas autre chose ! Ne faites pas attention à ma première demande ; je l’ai faite et j’ai dû la faire parce que Vous êtes mon Père et que c’est mon devoir de Vous exposer mes besoins… Mais, après Vous avoir dit mes besoins avec simplicité, je Vous rappelle, je Vous répète, je Vous dis et je Vous redis que j’ai un autre besoin mille fois plus grand, mille fois plus ardent, c’est celui de Vous voir glorifié ; c’est là mon vrai, mon seul besoin ! C’est celui que je Vous supplie de toute mon âme de satisfaire. Mon Père, glorifiez-Vous en moi ! Mon Père, glorifiez Votre Nom !… Mon Seigneur Jésus, permettez que Votre indigne et misérable petite créature se joigne à Vous et fasse avec Vous cette prière : Mon Dieu, je Vous dis avec mon Seigneur Jésus, en joignant ma voix à Sa voix adorable : « Non ce que je veux, mais ce que Vous voulez » : mon seul désir est que Vous soyez le plus glorifié possible, c’est ma soif. Mon Père, faites de moi ce qui Vous plaira le plus, quoi que ce soit, mon Père, glorifiez Votre Nom !
St Jean, 15, 7. « Demandez ce que vous voudrez et cela vous sera fait. »
Cela vous sera fait, ou bien, ajoutent les Pères, je vous donnerai quelque chose de meilleur encore… Notre-Seigneur promet d’exaucer toutes nos demandes (pures et exemptes du péché, bien entendu, les autres Lui seraient un outrage). Il se réserve une seule chose : de changer l’objet de notre demande en un meilleur, de nous donner plus encore que nous demandons. O réserve bénie et bien digne de Vous, ô Cœur Sacré de Jésus ! Réserve divine par laquelle Vous trouvez moyen de faire plus encore que de tout accorder, que Vous êtes bon ! que nous sommes heureux !… Et que Votre prévoyance est sage ! car nous sommes si ignorants qu’avec les meilleures intentions, nous demandons souvent des choses médiocres ou dangereuses, des choses qui feraient du mal… Mais Vous, mon Dieu, mon Père, Vous arrangez tout cela et Vous nous donnez ce qui nous vaut le mieux…
St Jean, 17, 1. « Père, voici l’heure, glorifie ton fils, pour que ton fils te glorifie. »
Voici de beaucoup la plus longue prière de N.-S. que nous ait conservée le Saint-Évangile [la prière après la Cène]… Étudions-en donc toutes les parcelles et gravons-la dans notre esprit, pour faire de cette oraison le modèle des nôtres. Considérons surtout deux choses : le caractère général de cette prière et sa substance dans ce verset. Le caractère, c’est la confiance, l’abandon ; extrême simplicité des termes, familiarité tendre : « Père », c’est un Fils qui parle avec un familier et tendre abandon à Son Père… La substance, c’est la glorification de Dieu « pour que Ton fils Te glorifie ». Remarquons que ce caractère et cette substance sont aussi ceux des premiers mots du Pater : « Notre Père, que Votre nom soit sanctifié… » Combien cette confiance, cette tendre familiarité, cette demande en premier lieu, avant tout et plus que tout, de la glorification de Dieu, doivent donc se trouver dans toutes nos prières et en former le fond, la partie principale !
St Jean, 17, 2, 3, 4, 5. « Tu lui as donné le pouvoir sur toute chair, pour que tous ceux que tu lui as donnés, il leur donne la vie éternelle. La vie éternelle, c’est de te connaître, toi le seul vrai Dieu et Celui que tu as envoyé, Jésus-Christ. Je t’ai glorifié sur la terre ; j’ai achevé l’œuvre que tu m’as donnée à faire. Maintenant glorifie-moi, Père, auprès de toi, de la gloire que j’ai eue auprès de toi avant que le monde fût. »
Le caractère de la prière continue à être le plus parfait abandon, la simplicité, la familiarité : Notre-Seigneur « pense tout haut » aux pieds de Son Père. La matière, la substance, c’est qu’Il demande la mort, Il demande le ciel : imitons-Le ; que nos oraisons aient ce caractère d’abandon filial, pensons tout haut aux pieds de Dieu et demandons-Lui souvent la fin de notre exil, cette mort qui nous approchera enfin de Lui ; demandons-la, désirons-la très ardemment, pour Le voir, jouir de Lui, Le posséder, pour L’aimer parfaitement, pour ne plus L’offenser : demandons très souvent à Dieu de nous retirer bientôt de cette terre où nous L’offensons, et L’aimons si peu et où nous sommes séparés de Lui, et de nous conduire au Ciel où nous L’aimerons, ne L’offenserons pas et serons à Ses pieds pendant l’éternité…
St Jean, 19, 30. « Consummatum est. »
C’est la dernière parole de Notre-Seigneur à son Père que cite saint Jean.
« J’ai accompli tout ce que Vous m’avez donné à faire. » Mon Dieu, puisse cette parole être la nôtre, à notre dernière heure ! non pas dans le même sens, avec la même perfection : nous sommes de pauvres hommes, mais, enfin, dans la mesure où c’est possible à notre misère !… Et, pour cela, que faut-il, mon Dieu ? Il faut que je Vous demande ce que Vous me donnez à faire, et que je Vous demande de le faire, Vous de qui seul vient toute force ! Mon Seigneur et mon Dieu, je Vous supplie, faites-moi connaître clairement Votre volonté ! Et puis, donnez-moi la force de l’accomplir, de l’accomplir fidèlement, jusqu’au bout, dans la reconnaissance et dans l’amour !… Il me semble que Vous me répondez, mon Dieu : « L’attrait que je t’ai donné, sa force, sa constance, sa beauté, te prouvent ce que je veux de toi… mais j’ai mis à cette vocation exceptionnelle une condition, c’est que tu commences à te convertir et que tu fasses les premiers pas dans le chemin de la perfection… J’attends toujours, et tu ne fais pas les premiers pas ; tu recules plutôt, jette-toi donc enfin en avant, convertis-toi, j’attends depuis longtemps, ma patience ne durera pas toujours… » Mon Dieu pardon, pardon de ma tiédeur, pardon de ma lâcheté, pardon de ma dissipation, pardon de mon orgueil, pardon de mon attachement à ma volonté propre, pardon de ma faiblesse et de mon inconstance, pardon du désordre de mes pensées, pardon de me souvenir si peu parfois que je suis en Votre présence, pardon, pardon, pardon de toutes mes fautes, de toutes les fautes de ma vie, et surtout de celles que j’ai commises depuis le commencement de ma conversion !… Merci de toutes Vos grâces, mon Dieu ! Mon Dieu, secourez-moi, secourez celui que Vous avez comblé de tant de dons afin qu’il se convertisse et puisse profiter des dons merveilleux que Vous lui offrez encore, afin qu’il fasse pleinement ce que Vous voulez de lui, ce à quoi, dans Votre bonté ineffable, Vous l’appelez, lui qui en est si indigne ! Mon Dieu, convertissez-moi, au nom de mon Seigneur Jésus-Christ ! Vous qui pouvez, « des pierres, tirer des fils à Abraham », Vous qui êtes tout-puissant sur toutes Vos créatures, Vous qui pouvez tout en moi, donnez-moi le bon esprit, la Sagesse que Vous avez promis de donner à ceux qui la demanderaient ! Convertissez-moi et faites que je Vous glorifie le plus possible jusqu’à mon dernier soupir et pendant l’éternité. Je Vous le demande, au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Amen, amen, amen…
St Mathieu, 8, 26. « Pourquoi avez-vous peur, hommes de peu de foi. »
C’est une des choses que nous devons absolument à Notre-Seigneur de n’avoir jamais peur… Avoir peur, c’est Lui faire une double injure ; c’est, 1o L’oublier, oublier qu’Il est avec nous, qu’Il nous aime, et qu’Il est tout-puissant ; 2o c’est ne pas nous conformer à Sa volonté : si nous conformons notre volonté à la Sienne, tout ce qui arrive étant voulu ou permis par Lui, nous serons joyeux de tout ce qui arrivera et nous n’aurons jamais ni inquiétude, ni peur… Ayons donc cette foi qui bannit toute peur ; nous avons à côté de nous, contre nous, dans nous, Notre-Seigneur Jésus, notre Dieu qui nous aime infiniment, qui est tout-puissant, qui sait ce qui nous est bon, qui nous a dit de chercher le royaume du Ciel et que le reste nous serait donné par surcroît. Marchons droit, en cette bénie et toute-puissante compagnie, dans le chemin du plus parfait et soyons sûrs qu’il ne nous arrivera rien dont nous ne devions tirer le plus grand bien pour Sa gloire, notre sanctification et celle des autres, que tout ce qui arrive est voulu ou permis de Lui et que, par conséquent, loin d’avoir l’ombre de crainte, nous n’avons qu’à dire « Dieu soit béni, quoi qu’il arrive », et à Le prier d’arranger toutes choses non selon nos idées, mais pour Sa plus grande gloire… N’oublions jamais ces deux principes : « Jésus est ici avec moi… Tout ce qui arrive, arrive par la volonté de Dieu. »
St Mathieu, 9, 22. « Aie confiance, ma fille, ta foi t’a guérie. »
La vertu que Notre-Seigneur récompense, la vertu qu’Il loue, c’est presque toujours la foi. Quelquefois, Il loue l’amour, comme dans Magdeleine : quelquefois l’humilité, mais ces exemples sont rares, c’est presque toujours la foi qui reçoit de Lui récompense et louanges… Pourquoi ?… Sans doute parce que la foi est la vertu, sinon la plus haute (la charité passe avant), du moins la plus importante, car elle est le fondement de toutes les autres, y compris la charité, et aussi parce qu’elle est la plus rare… Avoir vraiment la foi, la foi qui inspire toutes les actions, cette foi au surnaturel qui dépouille le monde de son masque et montre Dieu en toutes choses ; qui fait disparaître toute impossibilité ; qui fait que ces mots d’inquiétude, de péril, de crainte, n’ont plus de sens ; qui fait marcher dans la vie avec un calme, une paix, une joie profonde, comme un enfant à la main de sa mère ; qui établit l’âme dans un détachement si absolu de toutes les choses sensibles dont elle voit clairement le néant et la puérilité ; qui donne une telle confiance dans la prière, la confiance de l’enfant demandant une chose juste à son père ; cette foi qui nous montre que, « hors faire ce qui est agréable à Dieu, tout est mensonge » ; cette foi qui fait voir tout sous un autre jour ; — les hommes comme des images de Dieu, qu’il faut aimer et vénérer comme les portraits de notre Bien-Aimé et à qui il faut faire tout le bien possible ; les autres créatures comme des choses qui doivent, sans exception, nous aider à gagner le Ciel, en louant Dieu à leur sujet, en nous en servant ou en nous en privant — ; cette foi qui, faisant entrevoir la grandeur de Dieu, nous fait voir notre petitesse ; qui fait entreprendre sans hésiter, sans rougir, sans craindre, sans reculer jamais, tout ce qui est agréable à Dieu : oh ! que cette foi est rare !… Mon Dieu, donnez-la-moi ! Mon Dieu, je crois, mais augmentez ma foi ! Mon Dieu, faites que je croie et que j’aime, je Vous le demande au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Amen.
St Mathieu, 14, 31. « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? »
Combien est grande la foi que Notre-Seigneur demande de nous, et avec justice… quelle foi ne Lui devons-nous pas ?… Après la parole de Notre-Seigneur : « Viens », Pierre ne devait plus rien craindre et marcher avec confiance sur les eaux… ainsi quand Jésus nous a certainement appelés à un état, donné une vocation, nous ne devons rien craindre mais aborder sans hésiter les plus insurmontables obstacles. Jésus a dit : « Viens », nous avons grâce pour marcher sur les flots. Cela nous paraît impossible, mais Jésus est le Maître de l’impossible… Il faut donc trois choses : d’abord, faire comme Pierre, supplier Notre-Seigneur de nous appeler à Lui bien distinctement, puis, après avoir entendu distinctement le « viens » sans lequel nous n’avons pas le droit de nous jeter à l’eau (ce serait présomption, imprudence, risquer gravement sa vie, ce serait péché et souvent péché grave par conséquent, car risquer la vie de l’âme est encore plus criminel que d’aventurer la vie du corps), après l’avoir distinctement entendu (jusque-là notre devoir est de prier et d’attendre), se jeter à l’eau sans hésiter, comme S. Pierre. Enfin, il faut, confiant dans le « viens » sorti de la bouche de Dieu, marcher jusqu’à la fin sur les flots, sans l’ombre de doute, sans l’ombre d’incertitude, sans l’ombre d’inquiétude, certains que si nous marchons avec foi et fidélité, tout nous sera facile dans la voie où Jésus nous appelle et cela par la vertu de cette parole : « Viens ». Marchons donc dans la voie où Il nous appelle avec une foi absolue, car le ciel et la terre passeront, mais Sa parole ne passera pas !
St Mathieu, 15, 28. « O femme, ta foi est grande ! qu’il te soit fait comme tu veux. »
Notre-Seigneur loue la Chananéenne d’avoir continué à Le prier malgré Ses refus et d’avoir eu foi en Lui, en Sa puissance, en Sa bonté ; et, à cause de cette foi et de cette insistance, Il lui accorde sa demande… C’est ainsi que nous serons exaucés chaque fois que nous Le prierons avec foi et insistance…
Notre-Seigneur n’a pas changé depuis le temps qu’Il parcourait les confins de Tyr ; l’homme change, mais Dieu ne change pas. Il est exactement le même qu’alors : même divinité, même puissance ; même bonté, même compassion pour les hommes, même volonté d’exaucer la prière et la foi : demandons donc…
St Mathieu, 16, 8. « Pourquoi pensez-vous, gens de peu de foi, que vous n’avez pas de pains ? »
Notre-Seigneur ne permet donc pas à Ses serviteurs de douter qu’ils auront toujours le pain quotidien dans la mesure où cela est bon pour leurs âmes… Et c’est bien juste qu’Il leur défende tout doute, toute inquiétude, tout souci à cet égard ; c’est très juste pour deux raisons : d’abord, parce qu’Il leur a dit : « Cherchez mon Royaume et sa justice, et tout le reste vous sera donné par surcroît. »
Par ces paroles, Notre-Seigneur s’est engagé à donner à tous ceux qui se feraient Ses disciples, qui embrasseraient la pauvreté, la vie religieuse, pour Le suivre, à leur donner le nécessaire (dans la mesure où cela leur est bon), pourvu qu’ils cherchent à Le bien servir ; douter, après cela, si on aura le nécessaire, avoir des soucis pour des choses temporelles, c’est, pour des religieux, ne pas croire à la parole de Jésus, c’est Lui faire la plus mortelle injure…
Secondement, quand on aime, on ne songe qu’à une chose : à l’être aimé ; on ne s’inquiète que d’une chose : du bien de l’être aimé, de sa possession ; pour les autres choses, on est absolument incapable d’y attacher le moindre prix, la moindre importance… Quand on aime, une seule chose existe : l’être aimé ; le reste du monde est comme un néant, il n’existe pas… Si un cœur aime Dieu, peut-il s’y trouver place pour des inquiétudes, des soucis matériels ?
St Marc, 11, 22, 23, 24. « Ayez foi en Dieu… Tout ce que vous demanderez dans la prière, croyez que vous le recevrez et cela vous sera donné… »
Combien de fois Vous nous répétez ces paroles, mon Dieu, dans tous les Évangiles et dans les mêmes termes !… Combien il faut qu’elles soient importantes pour que Vous nous les inculquiez avec tant d’insistance ! Faites-moi donc la grâce, ô mon Dieu, de bien m’en pénétrer… Tout ce que je Vous demande, pourvu que je Vous le demande avec foi, avec confiance que je le recevrai de Vous, Vous me l’accorderez ; pourvu, toutefois, que je ne Vous demande pas une chose qui me soit nuisible, ou un bien médiocre qui paraît grand à mes yeux, et à la place duquel Vous voulez me donner un bien vraiment grand… Vous êtes un Père, et un Père tout-puissant et infiniment sage, comme infiniment bon et tendre. Vous dites à Votre petit enfant, tout petit, bégayant à peine et ne marchant qu’à l’aide de Votre main, Vous lui dites : « Tout ce que tu me demanderas, je te le donnerai, pourvu que tu le demandes avec confiance… » Et Vous le lui donnez, avec quelle facilité, cela va sans dire, avec quel empressement, quand ses demandes sont raisonnables, surtout quand elles répondent à Vos désirs, aux sentiments que Vous voulez voir en lui, quand elles sont conformes à ce que Vous désirez Vous-mêmes plus ardemment que lui ! S’il Vous demande des jouets coupants, tranchants, dangereux, Vous les lui refusez, par bonté pour lui, mais Vous l’en consolez en lui donnant à la place d’autres douceurs sans danger ; s’il Vous demande avec grande insistance d’aller dans un lieu où Vous voyez qu’il ne retirera pas grand bien, Vous ne lui donnez pas le faux bien qu’il demande, mais Vous lui accordez le vrai bien qu’il demanderait s’il voyait clair, et Vous le prenez par la main pour le conduire, non où il avait envie d’aller, mais où il est, pour lui, le meilleur qu’il aille…
Au cours des six années de sa vie à La Trappe, s’affirme la vocation la plus exceptionnelle, en nos temps, et qui devait entraîner Charles de Foucauld dans les plus dures solitudes du monde. Au début de 1897, l’heure allait venir, pour lui, de renouveler ses vœux de trappiste. Ils ne seront pas renouvelés. Le vicomte de Foucauld, avec l’approbation de ses supérieurs qui reconnaissent un appel particulier, quitte la Trappe, et s’offre comme serviteur, jardinier, commissionnaire d’un couvent de Clarisses, à Nazareth, et vit de la sorte environ trois années, de 1897 à 1900.
Charles de Foucauld habitait alors dans une cabane en planches, sorte de guérite couverte en tuiles, adossée au mur de clôture des Clarisses, et où l’on serrait, naguère, les outils de jardinage. Pendant sa retraite, Charles de Foucauld méditait, soit dans cette cellule, soit dans la chapelle du Couvent, devant le Saint-Sacrement exposé. De là des allusions, tantôt au silence de la campagne, tantôt à la présence de Notre-Seigneur dans l’Hostie.
OBJET DE LA RETRAITE
Mon Seigneur et mon Dieu, qui êtes ici présent, qui êtes en moi et autour de moi, je Vous adore de toute mon âme ; merci de Vos bienfaits infinis, pardon de mes infidélités sans nombre, secourez-moi, afin que je Vous console le plus possible pendant tous les instants de ma vie…
Tâcher de mieux connaître Votre volonté sur moi pour mieux la faire (et mieux procurer Votre bien), voilà le double but de cette petite retraite… Bénissez-la, mon Dieu, je la fais en vue de Vous seul, non pour moi, mais pour Vous ; non pour les autres, mais pour Vous… Je dois m’aimer et aimer les autres, mais en vue de Vous : c’est le secondaire, Vous êtes le principal, mon Dieu et mon Tout, Vous qui seul avez l’être… Faites, ô mon Dieu, que je la fasse le mieux possible, en Vous, par Vous et pour Vous, et qu’elle me serve à Vous connaître, Vous aimer ; connaître Votre volonté, la faire ; tout cela pour consoler le plus possible Votre Cœur, ce qui est la seule chose que je désire. Amen, amen.
DIEU. SES PERFECTIONS, SA PRÉSENCE
Mon Dieu, que Vous êtes bon ! Ce matin, j’étais dans cette chère petite cellule où il fait si doux passer à Vos pieds les heures silencieuses de la nuit, être en tête-à-tête avec Vous pendant que tout dort sur la terre, seul à Vous adorer, à me tenir à Vos genoux, vous disant que je Vous aime pendant que tout est enseveli dans l’obscurité, le silence et le sommeil !… Mais, maintenant, c’est la grâce des grâces… Je suis devant le Saint-Sacrement, et le Saint-Sacrement exposé !… Quelle félicité ! que je suis près de Vous, contre Vous, ô mon Dieu ! Faites que j’y sois comme je le dois, donnez-moi les pensées, les paroles que je dois avoir, en Vous, par Vous et pour Vous !…
Merci, mon Dieu, de commencer cette retraite un jour d’exposition du Saint Sacrement ! Vous voulez donc ne pas laisser une seule grâce sans me la faire ? Merci, merci ! ô mon Dieu, merci de vos grâces, merci parce qu’elles sont très douces, merci parce que je sens le besoin que j’en ai, et combien ma misère, ma lâcheté, ma tiédeur exceptionnelles ont besoin d’un secours exceptionnel… Vous proportionnez Vos secours, non aux mérites, mais aux besoins, bien heureusement : Vous êtes « venu pour les malades, non pour les sains », comme je le sens bien !… Comme en me sentant aimé, pressé sur Votre Cœur, mon Bien-Aimé Jésus, mon Dieu, mon Maître, Vous qui me permettez de Vous appeler mon Divin Époux, je sens le besoin que j’ai de Vos tendresses, de Vos caresses, à cause de ma faiblesse infinie !
Vous voulez que, dans cette retraite, je considère d’abord Vous, Vous Dieu et Vous Jésus, Dieu et Homme… puis, que je considère ce que Vous voulez de moi, c’est-à-dire mon devoir, c’est-à-dire ma vie, moi, puisque toute ma vie, tout moi ne doit être que l’accomplissement de mes devoirs, de Votre volonté… Faites qu’il en soit ainsi, qu’il n’y ait plus jamais de différence entre moi et l’accomplissement de Votre volonté. O mon Dieu, puissent toujours ces deux termes être identiques, en Vous, par Vous, pour Vous ! Amen.
Considérer Dieu… moi, ver de terre, porter mes yeux sur Vous, l’Infini ! Comment cela est-il possible ! Et, pourtant, cela est possible, Vous nous l’enseignez, et même c’est un devoir… Des seules choses naturelles, nous pouvons et devons nous élever à Vous : montant de la beauté matérielle à la beauté d’une belle âme, des choses spirituelles, montant de degré en degré dans l’échelle des êtres, nous devons venir à l’idée de l’Esprit parfait, ajoutant des perfections, retranchant des imperfections, étendant la beauté des perfections jusqu’à l’excellence qui surpasse tout, nous devons arriver à l’idée de Vous, mon Père…
Mon Créateur, mon Père, mon Bien-Aimé, Vous qui êtes là, à trois mètres de moi, sous l’apparence de cette Hostie, Vous êtes la Beauté suprême ; toute beauté créée, beauté de la nature, du ciel au coucher du soleil, de la mer unie comme une glace sous un ciel bleu, des forêts sombres, des jardins fleuris, des montagnes, des grands horizons des déserts, des neiges et des glaciers, beauté d’une belle âme se reflétant sur un beau visage, beauté d’une belle action, d’une belle vie, d’une grande âme, toutes ces beautés ne sont que le plus pâle reflet de la Vôtre, mon Dieu. Tout ce qui a charmé mes yeux en ce monde, n’est que le plus pauvre, le plus humble reflet de votre Beauté infinie !…
O mon Dieu, faites-moi cette grâce de ne voir que Vous, que Vous dans les créatures ; de ne jamais m’arrêter à elles, de ne jamais voir la beauté matérielle ou spirituelle qui est en elles, comme quelque chose d’elles, mais seulement comme quelque chose de Vous. Faites-moi percer les voiles, ne jamais rester à ce pauvre composé de néant et d’être si ruineux, si défaillant, si rien, mais en tout l’être que je vois en une créature, passer aussitôt au-dessus des apparences, et voir, au delà du pauvre composé, l’être par essence, à qui l’être appartient tout entier et qui en a jeté une parcelle sur cette créature qui nous plaît. Si cette parcelle nous semble si belle, combien est beau l’Être parfait qui l’a jetée comme une aumône, comme un sou donné à un pauvre ! Mon Dieu, faites-moi cette grâce que Vous fîtes à Sainte Thérèse, de ne plus jamais attribuer aux créatures les biens matériels ou spirituels qui sont en elles, de ne jamais m’y arrêter, car ils ne viennent pas d’elles, mais de l’Être Souverain… M’y arrêter serait une indélicatesse, une ingratitude, un abus de confiance, car Dieu ne donne cette beauté aux créatures et ne porte mon âme à en être ravie, que pour Se laisser entrevoir par moi, pour m’attirer à Lui, pour exciter ma reconnaissance pour Sa bonté, mon amour pour Sa beauté, et me faire monter jusqu’à Son trône, et y établir la vie de mon âme dans l’adoration, la contemplation émerveillée, la gratitude… Avoir toute ma conversation dans les cieux, puisque la vue de la terre ne fait que me laisser deviner Vos beautés et Vos tendresses…
… Et il n’est pas loin de moi, cet Être parfait, cet Être qui est tout l’Être, qui est seul l’Être véritable, qui est toute beauté, bonté, amour, sagesse, science, intelligence. Les créatures en qui j’admire quelques reflets de ses perfections, sur lesquelles tombe un petit rayon de ce soleil infini, sont hors de moi, distantes de moi, séparées de moi, mais Vous, mon Dieu, Vous la Perfection, la Beauté, la Vérité, l’Amour infini et essentiel, Vous êtes en moi, Vous êtes autour de moi… Vous me remplissez tout entier…, il n’est aucune parcelle de mon corps que Vous ne remplissiez, et, autour de moi, Vous me touchez de plus près que l’air où je me meus… Que je suis heureux ! quelle félicité ! être uni à ce point à la Perfection même ; vivre en Elle, La posséder vivante en moi !… Mon Dieu qui êtes en moi et en qui je suis, faites-moi comprendre ma félicité, et faites-moi comprendre mes devoirs !…
Mon Dieu, daignez me donner ce sentiment continuel de Votre présence, de Votre présence en moi et autour de moi… et, en même temps, cet amour craintif qu’on éprouve en présence de ce qu’on aime passionnément, et qui fait qu’on se tient devant la personne aimée, sans pouvoir détacher d’elle les yeux, avec un grand désir et une pleine volonté de faire tout ce qui lui plaît, tout ce qui est bon pour elle et une grande crainte de faire, dire ou penser quelque chose qui lui déplaise ou lui fasse du mal… En Vous, par Vous et pour Vous. Amen.
PENSÉES DE DIEU
Je dois tâcher de vous connaître, mon Dieu, afin de mieux Vous aimer ; plus je Vous connaîtrai, plus je Vous aimerai, parce que tout en Vous est parfait, admirable, aimable : Vous connaître un peu plus, c’est voir beauté plus étincelante, plus transparente, c’est être plus ravi d’amour… Vous êtes pensées, paroles et action, mon Dieu. — Vous Vous réfléchissez sans cesse Vous-même dans Votre propre esprit… Vos pensées ne varient pas… Vous Vous voyez toujours Vous-même, Vos perfections, et, en Vous, Vos œuvres, Vos œuvres présentes et à venir et toutes Vos œuvres possibles, dans tous les siècles et tous les temps. Vous Vous voyez, car Vous êtes Intelligence… Vous Vous aimez, car Vous êtes Volonté… Vous Vous aimez infiniment, et cela nécessairement, car Vous êtes juste, et étant juste, Vous aimez infiniment l’Être infiniment aimable, infiniment parfait, Vous-même…
Mon Dieu qui êtes en moi, autour de moi, mon Seigneur Jésus, mon Dieu qui êtes si près de moi dans cette Hostie exposée, voilà donc ce que sont Vos pensées : un regard et un amour… Un regard sur Vous-même, sur Vous seul : et de ce regard sur Vous seul, Vous voyez toutes Vos œuvres. Un amour souverain, infini, pour Vous-même, amour nécessaire et qui ne peut pas ne pas être, parce qu’Il est la conséquence de Votre justice infinie ; et, dans cet amour, Vous aimez Vos œuvres, d’une part à cause de Vous, parce qu’elles viennent de Vous, sont les œuvres de l’Être infiniment aimable et aimé ; de l’autre, à cause de la beauté qui est en elles, de la parcelle d’être, du reflet de beauté divine que Vous avez jeté en chacune d’elles et qui est quelque chose de bon et d’aimable ; d’autre part, enfin, par pure bonté, quoniam bonus, parce que Vous êtes bon et qu’il Vous est naturel d’aimer…
PAROLES ET ACTIONS DE DIEU
Vous parlez, mon Dieu, aux hommes, de deux manières surtout, à haute voix pourrait-on dire, et à voix basse… A haute voix par Vos livres inspirés, la Sainte Écriture ; à voix basse par tout ce qu’inspire Votre grâce, par toutes les paroles intérieures que Vous inspirez aux fidèles… Parlez-Vous aux purs esprits ? Comment ? A qui parlez-Vous encore ? Je l’ignore, mon Dieu. Vous êtes infini, je suis un point, un atome. Que sais-je de Vous ? Assez pour connaître que Vous êtes l’Infini, l’Être, la Perfection, et cela suffit pour me montrer que je dois Vous aimer sans mesure ; pourtant, je me réjouis de Vous mieux connaître dans le ciel ; en voyant mieux Vos beautés, je Vous aimerai davantage…
JÉSUS, SON INCARNATION, SA NAISSANCE
6 novembre 1897.
Mon Seigneur et mon Dieu, quelle douce journée : c’est Vous, mon Seigneur Jésus, qui serez aujourd’hui le sujet de mes méditations…
Oui, mon Dieu, Vous êtes constant, fidèle, Vous me continuez Vos grâces, Vos Saints et Vos Anges continuent à m’aider… il n’y a que moi qui ne m’aide pas ; Vous me poussez au bien et Vous me comblez de grâces, tout m’y aide au ciel et sur la terre !… Moi seul, je mets obstacle par ma lâcheté, ma faiblesse, ma tiédeur…
L’Incarnation a sa source dans la bonté de Dieu… Mais, une chose apparaît d’abord, si merveilleuse, si étincelante, si étonnante, qu’elle brille comme un signe éblouissant : c’est l’humilité infinie que contient un tel mystère… Dieu, l’Être, l’Infini, le Parfait, le Créateur, le Tout-Puissant, immense, souverain Maître de tout, se faisant homme, s’unissant à une âme et à un corps humain, et paraissant sur la terre comme un homme et le dernier des hommes…
Et l’estime du monde, qu’est-ce ? Convenait-il que Dieu la cherche ? Voyant le monde des hauteurs de la divinité, tout y est égal à Ses yeux : le grand, le petit, tout est également fourmi, ver de terre… Dédaignant toutes ces fausses grandeurs qui sont, en vérité, de si extrêmes petitesses, Dieu n’a pas voulu s’en revêtir… Et comme Il venait sur la terre et pour nous racheter et pour nous enseigner, et pour Se faire connaître et aimer, Il a tenu à nous donner, dès Son entrée dans ce monde, et pendant toute Sa vie, cette leçon du mépris des grandeurs humaines, du détachement complet de l’estime des hommes… Il est né, Il a vécu, Il est mort dans la plus profonde abjection et les derniers opprobres, ayant pris une fois pour toutes tellement la dernière place que nul n’a jamais pu être plus bas que Lui… Et s’Il a occupé avec tant de constance, tant de soin cette dernière place, c’est pour nous instruire, pour nous apprendre que les hommes et l’estime des hommes ne sont rien, ne valent rien ; qu’il ne faut pas mépriser ceux qui occupent les plus basses des plus basses conditions ; que les plus pauvres, les plus abjects ne doivent pas s’attrister de leur bassesse : ils sont près de Dieu, près du Roi des rois de ce monde ; c’est pour nous apprendre que notre conversation n’étant pas de ce monde, nous ne devons faire aucun cas de la figure de ce monde…, mais ne vivre que pour ce royaume des cieux que le Dieu-Homme voyait dès ici-bas par la vision béatifique, et que nous devons considérer sans cesse des yeux de la foi, marchant en ce monde comme si nous n’étions pas de ce monde, sans souci des choses extérieures, ne nous occupant qu’à une chose : à regarder, à aimer notre Père Céleste, et à faire Sa volonté…
Résolutions. — Dans mes pensées, mes paroles, mes actions, soit pour moi, soit pour le prochain, ne faire aucun cas de la grandeur, de l’illustration, de l’estime humaine, mais estimer autant les plus pauvres que les plus riches… Faire autant de cas du dernier ouvrier que du prince, puisque Dieu a paru comme le dernier ouvrier… Pour moi, chercher toujours la dernière des dernières places, pour être aussi petit que mon Maître, pour être avec Lui, pour marcher derrière Lui, pas à pas, en fidèle domestique, fidèle disciple, et, puisque dans Sa bonté infinie, incompréhensible, Il daigne me permettre de parler ainsi, en fidèle frère, en fidèle épouse…
En conséquence, arranger ma vie de manière à être le dernier, le plus méprisé des hommes, pour la passer avec mon Maître, mon Seigneur, mon Frère, mon Époux, qui a été l’abjection du peuple, et l’opprobre de la terre, « un ver et non un homme… »
Vivre dans la pauvreté, l’abjection, la souffrance, la solitude, le délaissement, pour être, dans la vie, avec mon Maître et mon Frère, mon Époux, mon Dieu, qui a vécu ainsi toute sa vie et m’en donne un tel exemple dès sa naissance.
JÉSUS, SA VIE CACHÉE
Mon Jésus, qui êtes si près de moi, inspirez-moi ce qu’il faut que je pense de Votre vie cachée…
« Il descendit avec eux et alla à Nazareth, et Il leur était soumis »… Il descendit, s’enfonça, s’humilia… ce fut une vie d’humilité : Dieu, vous paraissez homme ; homme, Vous Vous faites le dernier des hommes ; ce fut une vie d’abjection, jusqu’à la dernière des dernières places ; Vous descendîtes avec eux pour y vivre de leur vie, de la vie des pauvres ouvriers, vivant de leur labeur ; Votre vie fut, comme la leur, pauvreté et labeur ; ils étaient obscurs, Vous vécûtes dans l’ombre de leur obscurité ; Vous allâtes à Nazareth, petite ville perdue, cachée dans la montagne, d’où « rien de bon ne sortait », disait-on ; c’était la retraite, l’éloignement du monde et des capitales, Vous vécûtes dans cette retraite…
Vous leur étiez soumis, soumis comme un fils l’est à son père, à sa mère ; c’était une vie de soumission, de soumission filiale ; Vous obéissiez en tout ce qu’obéit un bon fils. Si un désir de Vos parents n’était pas selon la vocation divine que Vous aviez, Vous ne l’accomplissiez pas, Vous obéissiez « à Dieu plutôt qu’aux hommes », comme quand Vous restâtes trois jours à Jérusalem ; mais, sauf le cas où la vocation que Vous aviez demandait que Vous ne Vous rendiez pas à leurs désirs, Vous Vous y rendiez en tout, étant en tout le meilleur des fils, et par conséquent, non seulement obéissant à leurs moindres désirs, mais les prévenant, faisant tout ce qui pouvait leur faire plaisir, les consoler, leur rendre la vie douce et agréable, tâchant de tout votre cœur de les rendre heureux, étant le modèle des fils, et ayant toutes les attentions possibles pour Vos parents, dans la mesure, bien entendu, que permettait Votre vocation… Mais Votre vocation, c’était d’être parfait et Vous ne pouviez pas ne pas être parfait, ô Fils Éternel, ô Fils Dieu. Aussi, pendant ces trente années, fûtes-Vous le fils le plus tendre, le plus prévenant, le plus soumis, le plus aimable, le plus consolant, faisant tout le plaisir possible à Vos parents, les aidant, les soutenant, les encourageant dans le labeur quotidien, en prenant pour Vous la plus grande part possible pour les reposer, ne les contredisant jamais à moins de nécessité pour la gloire de Dieu, et, alors, avec quelle douceur, quelle bonté, quelle tendresse, qui rendait la contradiction plus douce qu’un acquiescement, et la faisait comme une rosée céleste, ayant toutes les attentions, les grâces, les délicatesses, les prévenances, les amabilités qui rendent la vie si douce quand elles sont faites par une belle âme !… n’omettant rien de ce qui pouvait consoler Vos parents et faire, de leur petite maison, ce qu’elle était : un ciel…
Voilà ce que fut Votre vie à Nazareth, ici, puisque j’ai l’infini bonheur, la grâce incomparable de vivre dans ce Nazareth chéri ! Merci ! merci !
Votre vie était celle du modèle des fils, vivant entre un père et une mère pauvres ouvriers. C’était la moitié de Votre vie, celle qui regarde la terre, tout en répandant sur le ciel un parfum céleste… C’était la partie visible. La partie invisible, c’était la vie en Dieu, la contemplation de tout instant. Vous travailliez, Vous consoliez vos parents, Vous Vous entreteniez très tendrement et saintement avec eux, Vous priiez avec eux durant le jour…, mais comme Vous priiez aussi dans la solitude et l’ombre de la nuit, comme Votre âme s’exhalait en silence !…
Toujours, toujours, Vous priiez, Vous priiez à tout instant, puisque prier, c’est être avec Dieu et que Vous êtes Dieu ; mais comme Votre âme humaine prolongeait cette contemplation pendant les nuits, comme, pendant tous les moments du jour, elle s’unissait à Votre divinité !… Comme Votre vie était un épanchement continuel en Dieu, un regard continuel vers Dieu ; contemplation continuelle de Dieu, en tous Vos instants !… Et qu’était cette prière, qui faisait la moitié de Votre vie à Nazareth ? C’était, d’abord et surtout l’adoration, c’est-à-dire la contemplation, l’adoration muette qui est la plus éloquente des louanges « Tibi silentium laus » ; cette admiration muette, qui renferme la plus passionnée des déclarations d’amour, comme l’amour d’admiration est le plus ardent des amours… Puis, secondairement, en second lieu et prenant moins de temps, l’action de grâce : action de grâce, d’abord de la gloire de Dieu, de ce que Dieu est Dieu, puis des grâces faites à la terre et à toutes les créatures ; le cri de pardon, pardon pour tous les péchés commis contre Dieu, pardon pour ceux qui ne demandent pas pardon ; acte de contrition pour le monde entier, douleur de voir Dieu offensé ; la demande, demande de la gloire de Dieu, que Dieu soit glorifié par toutes les créatures, que Son règne arrive parmi elles, que Sa volonté se fasse en elles, comme parmi les anges, et que ces pauvres créatures reçoivent, au spirituel et au temporel, tout ce dont elles ont besoin et soient enfin délivrées de tout mal, en ce monde et dans l’autre… Et que les grâces se répandent en particulier en abondance sur ceux que la volonté divine a mis auprès de Jésus, autour de Lui : Sa mère, Son père, Ses cousins, Ses amis, les âmes qui L’aiment, ceux qui s’attachent à Lui…
JÉSUS, SA VIE PUBLIQUE
Mon Seigneur Jésus, comme il sera doux de penser encore toute cette journée à Vous !… Toutes mes journées doivent y être occupées : travaillant, priant, parlant, toujours, sauf quand je dors, je prie et je dois penser à Vous, Vous regarder, puisque Vous êtes là. Je le fais bien mal, mais je désire tellement le mieux faire que j’espère y parvenir par Votre grâce : faites-moi cette grâce !… Mais, aujourd’hui, il faut non seulement faire cela, mais il ne faut faire que cela : non seulement il faut Vous regarder, mais il faut ne pas faire autre chose que Vous regarder ! Quel bonheur, que Vous êtes bon de me le donner ! Que je suis heureux !…
Mon Dieu, me voici à Vos pieds dans ma cellule ; il fait nuit, tout se tait, tout dort. Je suis le seul, peut-être, en ce moment, à Nazareth à Vos pieds… Qu’ai-je fait pour mériter ces grâces ?… Merci, merci !… Que je suis heureux ! Je Vous adore profondément, mon Dieu, je Vous adore de toute mon âme et je Vous aime de toutes les forces de mon cœur. Je suis à Vous, à Vous seul, tout mon être est à Vous, il est à Vous nécessairement, malgré moi, et il est à Vous volontairement, de tout mon cœur ; faites de moi ce qu’il Vous plaira : faites-moi faire cette retraite comme il Vous plaira. « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait », me répondez-Vous… eh bien, mon Dieu, faites-la moi faire le plus parfaitement possible, en Vous, par Vous, pour Vous. Amen.
Votre vie publique, mon Seigneur Jésus, que fut-ce ?…
— Je tâche de sauver les hommes par la parole et les œuvres de miséricorde, au lieu de me contenter de les sauver par la prière et la pénitence comme je le faisais à Nazareth… Mon zèle des âmes paraît au dehors…
« Cependant ma vie, tout en devenant très extérieure, garde une portion de vie solitaire (souvent je me retire une nuit, quelques jours entiers dans la solitude pour y prier) et reste une vie de prière, de pénitence, de recueillement intérieur. Et, en dehors du temps consacré à l’évangélisation…, une vie de solitude…
Cette vie fut une vie de fatigue ; ces courses continuelles, ces longs discours, ces retraites au désert, sans abri, n’allaient pas sans grandes fatigues… de souffrance matérielle : l’intempérie des saisons, les nuits sans abri, la nourriture prise irrégulièrement, selon le temps laissé par les travaux, amenaient des souffrances ; de souffrances morales : l’ingratitude des hommes ; leurs oreilles se fermant à ma voix, leur mauvaise volonté, leur endurcissement, toutes les misères humaines des corps et des âmes touchées du doigt chaque jour ; la vue du petit nombre des sauvés, du grand nombre des damnés ; les douleurs humaines ; les souffrances des justes, celles de ma mère ; la vision grandissante et approchante de ma passion ; les persécutions, les inimitiés, répondant à mes paroles de salut, à mon amour offert à tous, l’ingratitude surtout de « cette race infidèle et perverse », tout cela faisait gémir mon Cœur tendre et compatissant…; de persécution, j’étais persécuté partout et par tous, à Jérusalem et à Nazareth ; on voulait me lapider et me précipiter…, partout, dans les villes et les villages, pharisiens, scribes, Sadducéens, Hérodiens, cherchaient à me perdre, me tendaient des pièges, m’insultaient en secret et en public, m’appelant possédé, démon, séducteur, imposteur, me dénonçant aux prêtres…, les gentils me méprisaient comme ils méprisaient les Israélites… En tous lieux, ma vie était menacée, soit par Hérode, soit par les Pharisiens. J’étais obligé de fuir de lieu en lieu… Plusieurs fois on voulut mettre la main sur Moi, et je ne me sauvai que par miracle… Ce fut un temps de courage contre les hommes, les reprenant ouvertement de leurs fautes, les en châtiant même, démasquant en public les hypocrites, proclamant la doctrine divine en face de ses ardents et puissants contradicteurs, criant la vérité à la face d’une foule ameutée qui la repoussait ; faisant, au milieu du temple et des synagogues, les œuvres mêmes pour lesquelles on m’accusait et me condamnait ; avec quel courage je parlais, dans le temple de Jérusalem, à tout ce peuple qui avait sans cesse une pierre à la main pour me lapider, et dans ces synagogues de Galilée où les Pharisiens grinçaient des dents contre Moi et faisaient mille complots pour me perdre !…
« Amour de la vérité, je l’ai toujours eu, Moi qui suis la Vérité même, mais comme je l’ai montrée en la répandant avec tant de zèle au milieu de tant de périls et de peines, comme j’ai fait voir son prix !… Humilité : j’ai été humble en me faisant baptiser par Jean…, humble en défendant si souvent à mes apôtres de proclamer que j’étais le Fils de Dieu ; humble en cachant mes bienfaits, mes miracles ; en disant si souvent à ceux que je guérissais de n’en rien dire à personne ; humble en fuyant de ville en ville durant la persécution, Moi, le Tout-Puissant qui, d’un mot, pouvait (et combien justement), anéantir mes ennemis… »
JÉSUS, SA PASSION
Votre Passion, mon Dieu, voilà ce que Vous voulez que je médite : faites Vous-même mes pensées ; car toujours je suis impuissant devant de telles visions !…
La Passion… quels souvenirs !… les soufflets et les coups des valets des pontifes : « prophétise et dis qui t’a frappé »… le silence devant Hérode et Pilate… la flagellation… le couronnement d’épines… le chemin de la croix… le crucifiement… la Croix… « … Mon Père, je remets mon âme entre Vos mains !… » Quelles visions, mon Dieu, quels tableaux ! Quelles larmes, si je Vous aime ! Quels remords, si je songe que c’est pour expier dignement mes péchés que Vous avez souffert ainsi ! Quelle émotion, si je songe que si Vous avez été au-devant de ces tourments, si Vous les avez voulus, c’est aussi pour me prouver Votre amour, pour me le déclarer à travers les siècles ! Quel remords de Vous aimer si peu ! Quel remords de faire si peu pénitence des péchés pour lesquels Vous avez fait une telle pénitence ! Quel désir de Vous aimer enfin, à mon tour, et de Vous prouver mon amour par tous les moyens possibles !… Quels sont ces moyens, mon Dieu, comment Vous aimer ; comment Vous dire que je Vous aime ?… « Celui qui m’aime, c’est celui qui fait mes commandements… Nul n’a un plus grand amour que celui qui donne sa vie pour ce qu’il aime. » Faire Vos commandements, « Mandata », c’est-à-dire accomplir non seulement les ordres, mais les conseils, se conformer aux moindres avis, aux moindres exemples. Parmi Vos conseils, un des premiers est de Vous imiter : « Suivez-moi… Celui qui me suit ne marche pas dans les ténèbres… Je vous ai donné l’exemple pour que, comme j’ai fait, vous fassiez aussi… Le serviteur est parfait s’il est comme son maître. » Suivre le plus exactement possible tous Vos enseignements et Vos exemples pendant que nous sommes en vie, et mourir pour Votre nom, voilà le moyen de Vous aimer et de Vous prouver que nous Vous aimons ; c’est Vous-même qui nous le dites dans l’Évangile, mon Dieu !… L’amour demande encore une chose, mon Dieu, et l’Évangile me le dit aussi, non par Vos paroles, mais par l’exemple de la Sainte Vierge, de sainte Magdeleine au pied de la Croix : Stabat Mater. La Compassion, pleurer Vos douleurs… à la vérité c’est une grâce : je ne puis, de moi-même, en face du spectacle de Votre croix, tirer des gémissements de ce cœur de pierre, tant il est, hélas ! effroyablement endurci… mais je dois Vous demander du moins cette compassion, et puisqu’elle Vous est due, je dois vous la demander pour pouvoir Vous la donner… Je dois Vous demander tout ce que je dois Vous donner…
Mon Dieu, puisque, dans les abîmes de Votre miséricorde, dans les trésors de Vos mystérieuses et infinies bontés, Vous m’avez fait cette grâce de vivre sous ce ciel et sur cette terre où Vous avez vécu, de fouler ce sol que Vous avez foulé, et que Vous avez, hélas, arrosé de Vos larmes, de Vos sueurs et de Votre sang, ne me laissez pas parcourir sans larmes ces lieux témoins de Vos douleurs ; ne me laissez pas baiser sans larmes les traces de Vos pas à Gethsémani, sur la voie douloureuse, au prétoire, au Calvaire ; donnez-moi un cœur de chair au lieu de mon cœur de pierre, et puisque Vous me faites cette grâce inouïe : me permettre de baiser cette terre si sainte, faites-moi celle de la baiser avec l’âme, le cœur, les larmes que Vous voulez que j’aie, que c’est mon devoir d’avoir, ô mon Seigneur, mon Roi, mon Maître, mon Époux, mon Frère, mon Bien-Aimé, mon Sauveur, mon Dieu !…
Résolution. — Demander, désirer et, s’il plaît à Dieu, souffrir le martyre pour aimer Jésus du grand amour… — Zèle des âmes, amour ardent du salut des âmes qui, toutes, ont été rachetées d’un singulier prix. — Ne mépriser personne, mais désirer le plus grand bien de tous les hommes, puisque tous sont couverts, comme d’un manteau, du sang de Jésus… Faire mon possible pour le salut de toutes les âmes, selon mon état, puisque toutes ont coûté si cher à Jésus, et ont été tant aimées de Lui et le sont encore ! Être parfait, être saint, moi pour qui Jésus a eu tant d’estime qu’Il a donné pour moi tout Son sang. Avoir de grands désirs de perfection, croire tout possible pour la gloire de Dieu, quand mon confesseur me prescrit de faire une chose : comment Dieu me refuserait-il une grâce, après avoir donné pour moi tout Son sang ? Horreur infinie du péché et de l’imperfection qui y conduit, puisque cela a coûté si cher à Jésus… Douleur des péchés des autres et de voir Dieu offensé, puisque le péché Lui cause une telle horreur, qu’Il a voulu l’expier par de tels tourments… Confiance absolue en l’amour de Dieu, foi inébranlable dans cet amour, qu’Il m’a prouvé en voulant souffrir pour moi de telles douleurs… Humilité en voyant tout ce qu’Il a fait pour moi, et le peu que j’ai fait pour Lui…
Désir des souffrances, pour Lui rendre amour pour amour, pour L’imiter, et n’être pas couronné de roses quand Il l’est d’épines, pour expier mes péchés qu’Il a expiés si douloureusement, pour entrer dans Son travail, m’offrir avec Lui, tout néant que je suis, en sacrifice, en victime, pour la sanctification des hommes…
JÉSUS, SA RÉSURRECTION, SON ASCENSION
Vous ressuscitez et Vous montez aux cieux !… Vous voici dans Votre gloire ! Vous ne souffrez plus, Vous ne souffrirez plus jamais, Vous êtes heureux et Vous le serez éternellement… Mon Dieu, si je Vous aime, comme je dois être heureux ! Si c’est de Votre bien que j’ai soin avant tout, comme je dois jouir, comme je dois être satisfait, bienheureux !… Mon Dieu, Vous êtes bienheureux pour l’Éternité, rien ne Vous manque, Vous êtes infiniment et éternellement heureux !… Moi aussi je suis heureux, mon Dieu, puisque c’est Vous que j’aime avant tout.
Je puis dire qu’il ne me manque rien… que je suis au ciel, que, quoi qu’il arrive et quoi qu’il m’arrive, je suis bienheureux, à cause de Votre béatitude !…
Résolution. — Quand nous sommes tristes, découragés de nous-mêmes, des autres, des choses, pensons que Jésus est glorieux, assis à la droite du Père, bienheureux pour jamais, et que, si nous L’aimons comme nous devons, le bonheur de l’Être infini doit l’emporter infiniment dans nos âmes sur les tristesses provenant d’être finis et que, par conséquent, devant la vision du bonheur de notre Dieu, notre âme doit entrer dans la jubilation, et les peines qui la pressent disparaître comme les nuages devant le soleil : notre Dieu est bienheureux. Réjouissons-nous sans fin, car tous les maux des créatures sont un atome à côté du bonheur du Créateur !… Il y aura toujours des tristesses dans notre vie, et il doit y en avoir, à cause de l’amour que nous portons et devons porter à nous-mêmes et à tous les hommes ; à cause aussi de l’amour que nous portons à Jésus et du souvenir de Ses douleurs ; à cause du désir que nous devons avoir de la justice, c’est-à-dire de la gloire de Dieu et de la peine que nous devons éprouver en voyant l’injustice, et Dieu insulté… mais ces douleurs, toutes justes qu’elles sont, ne doivent pas durer dans notre âme, elles ne doivent y être que passagères ; ce qui doit durer et être notre état ordinaire, ce à quoi nous devons revenir sans cesse, c’est la joie de la gloire de Dieu, la joie de voir que, maintenant, Jésus ne souffre plus et ne souffrira plus, mais qu’Il est heureux, pour toujours à la droite de Dieu.
JÉSUS DANS LA SAINTE EUCHARISTIE
Vous êtes, mon Seigneur Jésus, dans la Sainte Eucharistie, Vous êtes là, à un mètre de moi dans ce Tabernacle ! Votre Corps, Votre âme, Votre humanité, Votre divinité, Votre être tout entier est là, dans sa double nature ; que Vous êtes près, mon Dieu, mon Sauveur, mon Jésus, mon Frère, mon Époux, mon Bien-Aimé !… Vous n’étiez pas plus près de la Sainte Vierge, pendant les neuf mois qu’elle Vous porta dans son sein, que Vous ne l’êtes de moi quand Vous venez sur ma langue dans la Communion ! Vous n’étiez pas plus près de la Sainte Vierge et de Saint Joseph dans la grotte de Bethléem, dans la maison de Nazareth, dans la fuite en Égypte, pendant tous les instants de cette divine vie de famille, que Vous l’êtes de moi en ce moment et si, si souvent dans ce tabernacle ! Sainte Magdeleine n’était pas plus près de vous, assise à Vos pieds à Béthanie, que je ne le suis au pied de cet autel ! Vous n’étiez pas plus près de Vos apôtres quand Vous étiez assis au milieu d’eux, que Vous n’êtes près de moi maintenant, mon Dieu !… Que je suis heureux ! Que je suis heureux ! Que je suis heureux !… Être seul dans ma cellule et m’y entretenir avec Vous dans le silence de la nuit, c’est doux, mon Seigneur, et Vous êtes là comme Dieu, ainsi que par Votre grâce ; mais, pourtant, rester dans ma cellule quand je pourrais être devant le Saint Sacrement, c’est faire comme si sainte Magdeleine, quand vous étiez à Béthanie, Vous laissait seul… pour aller penser à Vous, seule dans sa chambre… Baiser les lieux que Vous avez sanctifiés dans Votre vie mortelle, les pierres de Gethsémani et du Calvaire, le sol de la Voie Douloureuse, les flots de la mer de Galilée, c’est doux et pieux, mon Dieu, mais préférer cela à Votre Tabernacle, c’est quitter Jésus vivant à côté de moi, Le laisser seul, et m’en aller seul, vénérer des pierres mortes où Il n’est pas ; c’est quitter la chambre où Il est et Sa divine compagnie pour aller baiser la terre d’une chambre où Il fut, mais où Il n’est plus… Quitter le Tabernacle pour aller vénérer des statues, c’est quitter Jésus vivant près de moi et aller dans une autre chambre pour aller saluer Son portrait…
Quand on aime, ne trouve-t-on pas bien, parfaitement employé tout le temps passé auprès de ce qu’on aime ? N’est-ce pas le temps le mieux employé, sauf celui où la volonté, le bien de l’être aimé nous appellent ailleurs ?…
— « Partout où est la Sainte Hostie est le Dieu vivant, est ton Sauveur aussi réellement que quand Il était vivant et parlant en Galilée et en Judée et qu’Il est maintenant dans le Ciel… Ne perds jamais une communion par ta faute : une communion, c’est plus que la vie, plus que tous les biens du monde, plus que l’univers entier, c’est Dieu Lui-même, c’est Moi, Jésus. Peux-tu me préférer quelque chose, peux-tu, si tu m’aimes tant soit peu, perdre volontairement la grâce que je te fais d’entrer ainsi en toi ?… Aime-Moi de toute l’étendue et dans toute la simplicité de ton cœur… »
JÉSUS, SA VIE DANS L’ÉGLISE ET DANS L’AME FIDÈLE
Mon Seigneur Jésus, Vous êtes « avec nous jusqu’à la consommation des siècles », non seulement dans la Sainte Eucharistie, mais aussi par Votre grâce… Votre grâce est dans l’Église, elle est et vit dans toute âme fidèle… L’Église est Votre Épouse, l’âme fidèle est aussi Votre épouse… Quelle est l’action de Votre grâce sur elles ?… de les conformer à Vous… Votre grâce agit sans cesse dans l’Église pour la rendre plus parfaite : plus parfaite par le nombre grandissant de ses saints, les nouveaux s’ajoutant sans cesse aux anciens et cette couronne de saints se complétant chaque jour par de nouveaux diamants ; plus parfaite par l’explication de plus en plus claire de ses dogmes, par l’organisation de plus en plus complète de sa liturgie, de sa discipline ; plus parfaite par les nouvelles croix dont Vous la chargez chaque jour et les victoires qu’elle remporte chaque jour contre le prince du monde ; plus parfaite par les persécutions qu’elle supporte de siècle en siècle et qui la rendent, par les souffrances qu’elle endure, de plus en plus semblable à son Époux ; plus parfaite par le poids des mérites de ses membres s’ajoutant chaque jour aux mérites de la veille ; c’est une somme de sainteté grandissant sans cesse, une somme de glorification de Dieu nouvelle s’ajoutant à la glorification ancienne qui est toujours vivante devant le Seigneur ; plus parfaite par la foule des saints Sacrifices, des Tabernacles, des Communions où Jésus est chaque jour offert par la terre à Dieu, les offrandes nouvelles s’ajoutant aux anciennes…; plus parfaites parce que la grâce d’aujourd’hui s’ajoutant à la grâce d’hier, ne peut manquer de pousser cette Épouse, d’élévation en élévation, plus près de son Époux. Jésus est l’âme de l’Église : Il lui donne tout ce que l’âme donne au corps : la vie. La vie immortelle en la rendant inébranlable ; la lumière, en la rendant infaillible dans la déclaration de la vérité ; Il agit par elle et continue, par son moyen, l’œuvre qu’Il a commencée dans Son corps durant qu’Il vivait parmi les hommes : la glorification de Dieu par la sanctification des hommes… C’est cette œuvre qui est la fin de l’Église comme elle fut la fin du Christ : Jésus l’accomplit en elle, sans cesse, à travers les siècles…
Vous résidez en l’âme fidèle, mon Seigneur : « Nous venons en elle et nous y faisons notre demeure » ; Vous devenez comme l’âme de cette âme, Votre grâce la soutient en tout, éclaire son intelligence, dirige sa volonté ; ce n’est plus elle qui agit, c’est Vous qui agissez en elle… Vous lui donnez la vie, la vie de grâce, semence de la vie de gloire, avec une abondance croissante ; Vous lui donnez la vérité ; Vous l’y établissez, lui en donnez le goût, lui dessillez les yeux, lui faites voir les choses des yeux de la foi ; Vous la mettez ainsi dans la lumière divine, bien haut au-dessus des ténèbres du monde : Vous continuez en elle Votre œuvre… La fin de chaque homme, comme la fin de l’Église, comme Votre fin à Vous, mon Seigneur Jésus, c’est la glorification de Dieu, c’est-à-dire la manifestation extérieure de Sa gloire et la sanctification des hommes… Vous nous aimez ; plus nous serons parfait, plus Vous serez consolé ; nous devons désirer Vous consoler le plus possible, puisque Vous ordonnez de Vous aimer de toutes nos forces ; nous devons désirer être aussi parfaits que possible… rendez donc nos pensées, paroles, actions, conformes aux Vôtres, conformes à ce que Vous feriez ; vivez en nous, régnez en nous, que ce ne soit plus nous qui vivions, mais que ce soit Vous, mon Dieu, qui viviez en nous et que, Vous servant de notre corps et de notre âme que nous Vous avons donnés sans réserve, Vous continuiez, par leurs moyens, Votre vie et Votre œuvre en ce monde, la glorification de Dieu et le salut des hommes, dans la mesure où Vous l’avez décrété Vous même dans Vos desseins éternels, en Vous, par Vous et pour Vous. Amen, amen, amen.
MOI, MA VIE PASSÉE. — MISÉRICORDE DE DIEU[3]
[3] Cette médiation qui est, croyons-nous, dans ce volume, le seul fragment non inédit, a déjà été publiée dans la biographie de Charles de Foucauld. Nous avons cru devoir la reproduire ici, parce qu’elle fait partie intégrante de cette Retraite à Nazareth.
Mon Seigneur Jésus, faites mes pensées, faites mes paroles. Si, dans les méditations précédentes j’étais impuissant, combien plus dans celle-ci !… Ce n’est pas la matière qui manque…, au contraire, elle m’écrase ! Y en a-t-il, mon Dieu, des miséricordes ! Miséricordes d’hier, d’aujourd’hui, de tous les instants de ma vie, d’avant ma naissance, et d’avant les temps ! J’y suis noyé, j’en suis inondé, elles me couvrent et m’enveloppent de toute part… Ah ! mon Dieu, nous avons tous à chanter Vos miséricordes, nous tous, créés pour la gloire éternelle et rachetés par le sang de Jésus, par Votre Sang, mon Seigneur Jésus qui êtes à côté de moi, dans ce tabernacle ; mais si tous nous le devons, combien moi ! moi qui ai été, dès mon enfance, entouré de tant de grâces, fils d’une sainte mère, ayant appris d’elle à Vous connaître, à Vous aimer et à Vous prier aussitôt que j’ai pu comprendre une parole ! Mon premier souvenir n’est-il pas la prière qu’elle me faisait réciter matin et soir : « Mon Dieu, bénissez papa, maman, grand-papa, grand’maman, grand’maman Foucauld et petite sœur ? » Et cette pieuse éducation !… ces visites aux églises… ces bouquets au pied des croix, une crèche à Noël, un mois de Marie, un petit autel dans ma chambre, gardé tant que j’ai eu une chambre à moi dans ma famille, et qui a survécu à ma foi ! les catéchismes, les premières confessions surveillées par un grand-père chrétien…, ces exemples de piété reçus dans ma famille ;… je me vois allant à l’église avec mon père (que cela est loin !) avec mon grand-père ; je vois ma grand’mère, mes cousines, allant à la messe tous les jours… Et cette première Communion, après une longue et bonne préparation, entourée des grâces et des encouragements de toute une famille chrétienne, sous les yeux des êtres que je chérissais le plus au monde, afin que tout fût réuni en un jour, pour m’y faire goûter toutes les douceurs… Et puis ces catéchismes de persévérance, sous la direction d’un prêtre bon, pieux, intelligent, zélé ; mon grand-père m’encourageant toujours de la parole et de l’exemple dans la voie de la piété ; les âmes les plus pieuses et les plus belles de ma famille me comblant d’encouragements et de bonté, et Vous, mon Dieu, enracinant dans mon cœur cet attachement pour elles, si profondément que les orages de la suite n’ont pu l’arracher, et que Vous Vous en êtes servi plus tard pour me sauver, alors que j’étais comme mort et noyé dans le mal… Et puis lorsque, malgré tant de grâces, je commençais à m’écarter de Vous, avec quelle douceur Vous me rappeliez à Vous par la voix de mon grand-père, avec quelle miséricorde Vous m’empêchiez de tomber dans les derniers excès en conservant dans mon cœur ma tendresse pour lui !… Mais, malgré tout cela, hélas ! je m’éloignais, je m’éloignais de plus en plus de Vous, mon Seigneur et ma vie…, et aussi ma vie commençait à être une mort, ou plutôt c’était déjà une mort à Vos yeux… Et, dans cet état de mort, Vous me conserviez encore ; Vous conserviez dans mon âme les souvenirs du passé, l’estime du bien, l’attachement dormant comme un feu sous la cendre, mais existant toujours, à certaines belles et pieuses âmes, le respect de la religion catholique et des religieux ; toute foi avait disparu, mais le respect et l’estime étaient demeurés intacts… Vous me faisiez d’autres grâces, mon Dieu, Vous me conserviez le goût de l’étude, des lectures sérieuses, des belles choses, le dégoût du vice et de la laideur… Je faisais le mal, mais je ne l’approuvais ni ne l’aimais… Vous me faisiez sentir un vide douloureux, une tristesse, que je n’ai jamais éprouvée qu’alors ;… elle me revenait chaque soir, lorsque je me trouvais seul dans mon appartement… elle me tenait muet et accablé pendant ce qu’on appelle les fêtes : je les organisais, mais le moment venu je les passais dans un mutisme, un dégoût, un ennui infinis… Vous me donniez cette inquiétude vague d’une conscience mauvaise, qui, tout endormie qu’elle est, n’est pas tout à fait morte. Je n’ai jamais senti cette tristesse, ce malaise, cette inquiétude qu’alors. Mon Dieu, c’était donc un don de Vous… comme j’étais loin de m’en douter !… Que Vous êtes bon !… Et en même temps que Vous empêchiez mon âme, par cette invention de Votre amour de se noyer irrémédiablement, Vous gardiez mon corps : car si j’étais mort alors, j’aurais été en enfer… Les accidents de cheval miraculeusement évités, avortés ! Ces duels que Vous avez empêché d’avoir lieu ! Ces périls en expédition, que Vous avez tous écartés ! Ces dangers en voyage, si grands et si multipliés, dont Vous m’avez fait sortir comme par miracle ! Cette santé inaltérable dans les lieux les plus malsains, malgré de si grandes fatigues !… Oh ! mon Dieu, comme Vous aviez la main sur moi, et comme je la sentais peu ! Que Vous êtes bon ! Comme Vous m’avez gardé ! Comme Vous me couviez sous Vos ailes lorsque je ne croyais même pas à Votre existence ! Et pendant que Vous me gardiez ainsi, le temps passait, Vous jugiez que le moment approchait de me faire rentrer au bercail… Vous dénouâtes malgré moi toutes les liaisons mauvaises qui m’auraient tenu éloigné de Vous ;… Vous dénouâtes même tous les liens bons qui m’eussent empêché de rentrer dans le sein de cette famille, où Vous vouliez me faire trouver le salut, et qui m’auraient empêché d’être un jour tout à Vous… En même temps, Vous me donnâtes une vie d’études sérieuses, une vie obscure, une existence solitaire et pauvre… Mon cœur et mon esprit restaient loin de Vous, mais je vivais pourtant dans une atmosphère moins viciée ; ce n’était pas la lumière ni le bien, il s’en faut ;… mais ce n’était plus une fange aussi profonde, ni un mal aussi odieux… la place se déblayait peu à peu ;… l’eau du déluge couvrait encore la terre, mais elle baissait de plus en plus, et la pluie ne tombait plus… Vous aviez brisé les obstacles, assoupli l’âme, préparé la terre en brûlant les épines et les buissons… Par la force des choses, Vous m’obligeâtes à être chaste, et bientôt, m’ayant, à la fin de l’hiver 1886, ramené dans ma famille, à Paris, la chasteté me devint une douceur et un besoin du cœur. C’est Vous qui fîtes cela, mon Dieu, Vous seul ; je n’y étais pour rien, hélas ! Que Vous avez été bon ! de quelles tristes et coupables rechutes Vous m’avez miséricordieusement préservé ! Votre seule main a fait en cela le commencement, le milieu et la fin ! Que Vous êtes bon ! C’était nécessaire pour préparer mon âme à la vérité : le démon est trop maître d’une âme qui n’est pas chaste, pour y laisser entrer la vérité… Vous ne pouviez pas entrer, mon Dieu, dans une âme où le démon des passions immondes régnait en maître… Vous vouliez entrer dans la mienne, ô bon Pasteur, et Vous en avez chassé Vous-même Votre ennemi… et après l’avoir chassé par la force, malgré moi, voyant ma faiblesse et combien seul j’étais peu capable de garder mon âme pure, Vous avez établi pour la garder un bon gardien, si fort et si doux que non seulement il ne laissait pas la moindre entrée au démon de l’impureté, mais qu’il me faisait un besoin, une douceur, des délices de la chasteté… Mon Dieu, comment chanterai-je Vos miséricordes !… Et après avoir vidé mon âme de ses ordures et l’avoir confiée à Vos anges, Vous avez songé à y rentrer, mon Dieu, car après avoir reçu tant de grâces, elle ne Vous connaissait pas encore ! Vous agissiez continuellement en elle, sur elle, Vous la transformiez avec une puissance souveraine et une rapidité étonnante, et elle vous ignorait complètement… Vous lui inspirâtes alors des goûts de vertu, de vertu païenne, Vous me les laissâtes chercher dans les livres des philosophes païens, et je n’y trouvai que le vide, le dégoût… Vous me fîtes alors tomber sous les yeux quelques pages d’un livre chrétien, et vous m’en fîtes sentir la chaleur et la beauté…[4] Vous me fîtes entrevoir que je trouverais peut-être là, sinon la vérité (je ne croyais pas que les hommes pussent la connaître), du moins des enseignements de vertu, et Vous m’inspirâtes de chercher des leçons d’une vertu toute païenne dans des livres chrétiens… Vous me familiarisâtes ainsi avec les mystères de la religion… En même temps vous resserriez de plus en plus les liens qui m’unissaient à de belles âmes ; Vous m’aviez ramené dans cette famille, objet de l’attachement passionné de mes jeunes années, de mon enfance… Vous m’y faisiez retrouver, pour ces mêmes âmes, l’admiration d’autrefois, et à elles Vous inspiriez de me recevoir comme l’enfant prodigue à qui on ne faisait même pas sentir qu’il eût jamais abandonné le toit paternel, Vous leur donniez pour moi la même bonté que j’eusse pu attendre si je n’avais jamais failli… Je me serrai de plus en plus contre cette famille bien-aimée. J’y vivais dans un tel air de vertu que ma vie revenait à vue d’œil, c’était le printemps rendant la vie à la terre après l’hiver ;… c’est à ce doux soleil qu’avait crû ce désir du bien, ce dégoût du mal, cette impossibilité de retomber dans certaines fautes, cette recherche de la vertu… Vous aviez chassé le mal de mon cœur ; mon bon ange y avait repris sa place, et Vous lui aviez joint un ange terrestre… Au commencement d’octobre 1886, après six mois de vie de famille, j’admirais, je voulais la vertu, mais je ne Vous connaissais pas… Par quelles inventions, Dieu de bonté, Vous êtes-Vous fait connaître à moi ! De quels détours Vous êtes-Vous servi ? Par quels doux et forts moyens extérieurs ? Par quelle série de circonstances étonnantes, où tout s’est réuni pour me pousser à Vous : solitude inattendue, émotions, maladies d’êtres chéris, sentiments ardents du cœur, retour à Paris par suite d’un événement surprenant !… Et quelles grâces intérieures ! ce besoin de solitude, de recueillement, de pieuses lectures, ce besoin d’aller dans Vos églises, moi qui ne croyais pas en Vous, ce trouble de l’âme, cette angoisse, cette recherche de la vérité, cette prière : « Mon Dieu, si Vous existez, faites-le-moi connaître ! » Tout cela, c’était Votre œuvre, mon Dieu, Votre œuvre à Vous seul… Une belle âme Vous secondait, mais par son silence, sa douceur, sa bonté, sa perfection ; elle se laissait voir, elle était bonne et répandait son parfum attirant, mais elle n’agissait pas ! Vous, mon Jésus, mon Sauveur, Vous faisiez tout au dedans comme au dehors ! Vous m’aviez attiré à la vertu par la beauté d’une âme en qui la vertu m’avait paru si belle, qu’elle avait irrévocablement ravi mon cœur… Vous m’attirâtes à la vérité, par la beauté de cette même âme. Vous me fîtes alors quatre grâces : la première fut de m’inspirer cette pensée : puisque cette âme est si intelligente, la religion qu’elle croit si fermement ne saurait être une folie comme je le pense. La deuxième fut de m’inspirer cette autre pensée : puisque la religion n’est pas une folie, peut-être la vérité, qui n’est sur la terre dans aucune autre, ni dans aucun système philosophique, est-elle là ? La troisième fut de me dire : étudions donc cette religion : prenons un professeur de religion catholique, un prêtre instruit, et voyons ce qu’il en est, et s’il faut croire ce qu’elle dit. La quatrième fut la grâce incomparable de m’adresser, pour avoir ces leçons de religion, à M. Huvelin[5]. En me faisant entrer dans son confessionnal, un des derniers jours d’octobre, entre le 27 et le 30, je pense, Vous m’avez donné tous les biens, mon Dieu : s’il y a de la joie dans le ciel à la vue d’un pécheur se convertissant, il y en a eu quand je suis entré dans ce confessionnal !… Quel jour béni, quel jour de bénédiction !… Et depuis ce jour, toute ma vie n’a été qu’un enchaînement de bénédictions ! Vous m’avez mis sous les ailes de ce saint, et j’y suis resté. Vous m’avez porté par ses mains, et ce n’a été que grâces sur grâces. Je demandais des leçons de religion : il me fit mettre à genoux et me fit me confesser, et m’envoya communier séance tenante… Je ne puis m’empêcher de pleurer en y pensant, et ne veux pas empêcher ces larmes de couler, elles sont trop justes, mon Dieu ! Quels ruisseaux de larmes devraient couler de mes yeux, au souvenir de telles miséricordes ! Que Vous avez été bon ! que je suis heureux ! Qu’ai-je fait pour cela ? Et depuis, mon Dieu, ce n’a été qu’un enchaînement de grâces toujours croissantes…, une marée montant, montant toujours : la direction, et quelle direction ! la prière, la sainte lecture, l’assistance quotidienne à la messe établies dès le premier jour de ma vie nouvelle ; la fréquente communion, la fréquente confession venant au bout de quelques semaines ; la direction devenant de plus en plus intime, fréquente, enveloppant toute ma vie et en faisant une vie d’obéissance dans les moindres choses, et d’obéissance à quel maître ! La Communion devenant presque quotidienne…, le désir de la vie religieuse naissant, s’affermissant…, des événements extérieurs indépendants de ma volonté me forçant de me détacher de choses matérielles qui avaient pour moi beaucoup de charmes et qui auraient retenu mon âme, l’auraient attachée à la terre ! Vous avez brisé violemment ces liens comme tant d’autres ! Que Vous êtes bon, mon Dieu, d’avoir tout brisé autour de moi, d’avoir tellement anéanti tout ce qui m’aurait empêché d’être à Vous seul !… Ce sentiment d’autant plus profond de la vanité, de la fausseté de la vie mondaine et de la grande distance qui existe entre la vie parfaite, évangélique, et celle qu’on mène dans le monde… Ce tendre et croissant amour pour Vous, mon Seigneur Jésus, ce goût de la prière, cette foi en Votre parole, ce sentiment profond du devoir de l’aumône, ce désir de Vous imiter, cette parole de M. Huvelin dans un sermon : que « Vous aviez tellement pris la dernière place que jamais personne n’avait pu Vous la ravir ! » si inviolablement gravée dans mon âme, cette soif de Vous faire le plus grand sacrifice qu’il me fût possible de Vous faire, en quittant pour toujours une famille qui faisait tout mon bonheur, et en allant bien loin d’elle vivre et mourir !… cette recherche d’une vie conforme à la Vôtre, où je puisse partager complètement Votre abjection, Votre pauvreté, Votre humble labeur, Votre ensevelissement, Votre obscurité, recherche si nettement dessinée dans une dernière retraite à Clamart… Le 15 janvier 1890, ce sacrifice s’effectuant et cette grande grâce m’étant donnée de Votre main… La Trappe…, la Communion quotidienne…, ce que j’ai appris pendant sept ans de vie religieuse…, les grâces de Notre-Dame-des-Neiges…, la théologie, la philosophie, les lectures, la vocation exceptionnelle à une vie d’abjection et d’obscurité. Après trois ans et demi d’attente, le révérendissime général me déclare, le 23 janvier 1897, que la volonté de Dieu est que je suive cet attrait qui me pousse, hors de l’ordre de la Trappe, vers la vie d’abjection, d’humble travail, d’obscurité profonde, dont j’ai la vision depuis si longtemps… Mon départ pour la Terre sainte…, le pèlerinage, l’arrivée à Nazareth ;… le premier mercredi que j’y passe, Vous me faites entrer, mon Dieu, par l’intercession de saint Joseph, comme valet au couvent de Sainte-Claire… Paix, bonheur, consolations, grâces, félicité merveilleuse que j’y éprouve… Misericordias Domini, in æternum cantabo… Venite et videte, quoniam suavis est Dominus… Il n’y a qu’à défaillir, mon Dieu, devant de telles miséricordes ; à supplier la sainte Vierge et les saints et toutes les pieuses âmes de remercier pour moi, car je succombe sous les grâces… Oh ! mon Époux, que n’avez-Vous pas fait pour moi ! Que voulez-Vous donc de moi pour m’avoir comblé ainsi ? Qu’attendez-Vous de moi pour m’avoir accablé ainsi ? Mon Dieu, remerciez-Vous en moi, faites Vous-même en moi la reconnaissance, le remerciement, la fidélité, l’amour ; je succombe, je défaille, mon Dieu ; faites mes pensées, mes paroles et mes œuvres, afin que tout Vous remercie et Vous glorifie en moi. Amen, amen, amen. »
[4] Nous croyons qu’il s’agit des Élévations sur les mystères, de Bossuet.
[5] M. l’abbé Huvelin, ancien élève de l’École normale Supérieure, devenu prêtre, et qui a laissé, dans Paris, le souvenir d’une âme très sainte.
MON AVENIR SUR LA TERRE, MA MORT
LE JUGEMENT, LE CIEL OU L’ENFER
Pardon et « misericordias Domini in æternum cantabo » ! Voilà mon passé et mon présent… Quel sera mon avenir ? Sera-t-il long ou court sur la terre ? Consolé ou douloureux ? Saint, comme je le désire tant, plein de péchés comme je Vous supplie de m’en préserver ? Nul ne le sait… Il sera ce que Vous voudrez, mon Dieu… Je Vous supplie seulement qu’il ne soit pas employé à Vous offenser : Vous ne le voulez pas, Vous nous avez ordonné, à tous, d’être parfaits, et moi, Vous m’avez comblé de grâces incomparables en me disant : « A celui à qui il a été beaucoup donné, il sera beaucoup demandé »… Donc, quel que soit mon avenir, long ou d’un jour, consolé ou douloureux, Votre volonté est qu’il soit saint… Que ferai-je pour cela ?…
« Suis-Moi, Moi seul… Ne viens pas à Béthanie pour Me voir et aussi pour voir Lazare, viens-y pour Me voir, Moi, Moi seul… Demande-Moi ce que je faisais, scrute les Écritures, regarde aussi les saints, non pour les suivre, eux, mais pour voir comment ils m’ont suivi, et prendre de chacun d’eux ce que tu penseras venir de Moi, être de Moi, à mon imitation… et suis-Moi, Moi, Moi seul… Regarde-toi comme dans la maison de Nazareth… Tu t’es donné à Moi. Je te conduirai comme il le faudra pour ma plus grande gloire, pour la plus grande consolation de mon Cœur, puisque tu ne veux et que tu ne demandes que cela.
— Oh ! oui, oh ! oui ! Mon Seigneur et mon Dieu, je ne veux et ne demande que cela ! Faites-le, en Vous, par Vous et pour Vous ! Amen, amen…
— Cette vie sera suivie de la mort : tu voudrais celle du martyre… tu sais que tu es lâche… mais tu sais que tu peux tout en Celui qui te fortifie, que je suis tout-puissant en mes créatures… Demande-le matin et soir, tout en mettant cette condition que ce soit ma volonté, mon plus grand bien, ma plus grande consolation, laquelle tu veux et tu demandes avant tout… et aie confiance : je ferai ce que tu demandes, ce qui me glorifie le plus… Mais, demander cela, c’est bien, car « c’est la marque du plus grand amour de donner sa vie pour ce qu’on aime », et il est parfaitement juste que tu désires me donner la marque « du plus grand amour ».
Ton éternité, ton jugement, que seront-ils ? Ils seront ce qu’aura été ta vie… Si tu t’es renoncé, si tu as porté ta croix et que tu m’as suivi, si, comprenant les grâces, les miséricordes merveilleuses dont je t’ai comblé, tu as fait fructifier tous ces talents que je t’ai confiés ; si tu es fidèle à ta belle vocation, si tu obéis à ton directeur, si tu es reconnaissant, fidèle, aimant, humble et doux, ton jugement sera consolant, ton éternité bienheureuse… Si tu te laisses aller à ta lâcheté, à ta sensualité, à ta paresse, à ta timidité, à ton égoïsme, à ton mensonge, à toutes les mauvaises passions que le diable saurait bien vite rallumer en toi ; si tu cessais un instant de veiller et si ma main ne te soutenait pas si paternellement, ton jugement et ton éternité seraient d’autant plus terribles que tu aurais abusé de plus de grâces… Si l’enfant prodigue se révoltait contre son père et l’offensait odieusement, après avoir été reçu de lui comme il l’a été, ne serait-ce pas odieux ? Ta conduite le serait mille et mille fois plus, toi qui, depuis onze ans, reçois presque chaque jour mon corps et mon âme, mon humanité et ma divinité en nourriture, sur ta langue, dans ton corps… Donc « Veillez et priez… car l’esprit est prompt et la chair est faible. »
MOI, MA VIE PRÉSENTE. EXAMEN DES VERTUS
FOI
En tout, avoir en vue Dieu seul. Dieu est notre Créateur, nous sommes Sa chose, nous devons fructifier pour Lui, comme l’arbre pour son maître… Dieu est l’Être infiniment aimable, nous devons L’aimer de toute l’étendue de notre âme, et, par conséquent, Le regarder sans cesse, L’avoir sans cesse en vue et faire tout ce que nous faisons pour Lui, comme quand on aime, on fait tout en vue de l’être aimé… Nous tenons tout de Dieu : l’être, la conservation, le corps, l’esprit ; ayant tout reçu de Lui, il est juste que nous Lui rendions tout. « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. » Ce qui est à Dieu, c’est tout notre être et tous nos instants, tous les battements de notre cœur, car tout vient de Lui et n’est que par Lui.
Vous n’avez pas pu avoir la foi, mon Seigneur Jésus, puisque Vous aviez la claire vision de tout… Mais Vous nous l’avez ordonnée et ordonnée sans cesse par Vos paroles…
La foi, c’est ce qui fait que nous croyons, du fond de l’âme, tous les dogmes de la religion, toutes les vérités que la religion nous enseigne, le contenu de la Sainte Écriture par conséquent et tous les enseignements de l’Évangile, tout ce qui nous est proposé par l’Église enfin… Le juste vit vraiment de cette foi, car elle remplace, pour lui, la plupart des sens de la nature : elle transforme tellement toutes choses qu’à peine les anciens sens peuvent-ils servir à l’âme qui ne perçoit par eux que de trompeuses apparences ; la foi lui montre les réalités. L’œil lui montre un pauvre, la foi lui montre Jésus. L’oreille lui fait entendre des injures et des persécutions, la foi lui chante : « Réjouissez-vous et jubilez de joie. » Le toucher nous fait sentir des coups de pierre reçus, la foi nous dit : « Soyez dans une grande joie d’avoir été jugés dignes de souffrir quelque chose pour le nom du Christ ! » Le goût nous fait sentir un peu de pain sans levain, la foi nous montre le Sauveur Jésus, homme et Dieu, corps et âme. L’odorat nous fait sentir l’encens, la foi nous dit que le véritable encens « est les jeûnes des Saints »… Les sens nous séduisent par les beautés créées, la foi pense à la Beauté incréée, et prend en pitié toutes les créatures qui sont un néant et une poussière à côté de cette beauté-là… Les sens ont horreur de la douleur, la foi la bénit comme la couronne de mariage qui l’unit à son Bien-Aimé… Les sens se révoltent contre l’injure, la foi la bénit : « Bénissez ceux qui vous maudissent » ; elle la trouve méritée, car elle pense à ses péchés, elle la trouve douce, car c’est partager le sort de Jésus. Les sens sont curieux, la foi ne veut rien connaître, elle a soif de s’ensevelir et voudrait passer toute sa vie immobile au pied du Tabernacle… Les sens aiment la richesse et l’honneur, la foi les a en horreur : « Toute élévation est en abomination devant Dieu »… « Bienheureux les pauvres », et elle adore la pauvreté et l’abjection dont Jésus se couvrit toute Sa vie comme d’un vêtement qui fut inséparable de Lui… Les sens ont horreur de la souffrance, la foi les bénit comme un don de la main de Jésus, une part de Sa croix qu’Il daigne nous donner à porter… Les sens s’effraient de ce qu’ils appellent des dangers, de ce qui peut amener la douleur, ou la mort ; la foi ne s’effraie de rien, elle sait qu’il ne lui arrivera que ce que Dieu voudra : « Tous les cheveux de votre tête sont comptés », et que ce que Dieu voudra sera toujours pour son bien : « Tout ce qui arrive est pour le bien des élus »… Ainsi, quoi qu’il puisse arriver, peine ou joie, santé ou maladie, vie ou mort, elle est contente d’avance et n’a peur de rien… Les sens sont inquiets du lendemain, se demandent comment on vivra demain, la foi est sans nulle inquiétude. « Ne soyez pas inquiets, dit Jésus, voyez les fleurs des champs, voyez les oiseaux, je les nourris et les habille… vous valez beaucoup mieux qu’eux… cherchez Dieu et sa justice et tout vous sera donné par surcroît »…
Les sens s’attachent à garder la présence de la famille, la possession des biens ; la foi se hâte de quitter l’un et l’autre : « Celui qui aura quitté pour Moi un père, une mère, une maison, un champ, recevra le centuple en ce monde, et en l’autre la vie éternelle. »
Ainsi, la foi éclaire tout d’une lumière nouvelle, autre que la lumière des sens, ou plus brillante, ou différente… Ainsi, celui qui vit de foi a l’âme pleine de pensées nouvelles, de goûts nouveaux, de jugements nouveaux ; ce sont des horizons nouveaux qui s’ouvrent devant lui, horizons merveilleux qui sont éclairés d’une lumière céleste et beaux de la beauté divine… Enveloppé de ces vérités toutes nouvelles, dont le monde ne se doute pas, il commence nécessairement une vie toute nouvelle, opposée au monde à qui ses actes semblent une folie… Le monde est dans les ténèbres, dans une nuit profonde, l’homme de foi est en pleine lumière…
ESPÉRANCE
Mon Dieu, parlez-moi de l’espérance !… Comment de cette pauvre terre pourraient sortir des pensées d’espérance ? Ne faut-il pas qu’elles viennent du ciel ?… Tout ce que nous voyons, tout ce que nous sentons, tout ce que nous sommes, nous prouve notre néant ; comment pouvons-nous savoir que nous sommes créés pour être frères et co-héritiers de Jésus, Vos enfants, si Vous ne nous le dites ?… Mère du Bel Amour, de la Sainte Espérance, priez pour moi votre Fils Jésus, et inspirez-moi ce que je dois penser…
L’espérance d’être un jour au ciel, à Vos pieds, mon Seigneur, en compagnie de la Sainte Vierge et des saints, Vous voyant, Vous aimant, Vous possédant pour l’éternité, sans que jamais rien ne puisse me séparer un seul instant de Vous, mon Bien et mon Tout, quelle vision ! oh ! oui, c’est bien la vision de paix, la vision de paix céleste ! Cette espérance qui nous transporte tellement au-dessus de nous-mêmes, qui est tellement au-dessus de tous nos rêves, non seulement Vous nous permettez de l’avoir, mais Vous nous en faites une obligation ! Pouviez-Vous nous faire un commandement plus doux ! Mon Dieu que Vous êtes bon ! On représente l’espérance par une ancre : oui, quelle ancre solide ! Si mauvais que je sois, si grand pécheur que je sois, je dois espérer que j’irai au ciel, Vous me défendez de désespérer… Si ingrat, si tiède, si lâche que je sois, quelque abus que je fasse de Vos grâces, mon Dieu, Vous me faites un devoir d’espérer vivre éternellement à Vos pieds, dans l’amour et la sainteté !… Vous me défendez de me décourager jamais à la vue de mes misères, de me dire : « Je ne puis plus avancer, le chemin du ciel est trop raide, il faut que je recule et que je roule jusqu’en bas. » Vous me défendez de me dire, à la vue de mes fautes toujours renouvelées, dont je Vous demande chaque jour pardon et dans lesquelles je retombe sans cesse : « Je ne pourrai jamais me corriger ; la sainteté n’est pas faite pour moi ; qu’y a-t-il de commun entre le ciel et moi ?… je suis trop indigne pour y entrer »… Vous me défendez de me dire, à la vue des grâces infinies dont Vous m’avez comblé et de l’indignité de ma vie présente : « J’ai abusé de trop de grâces ; je devrais être un saint et je suis un pécheur ; je ne puis pas me corriger, c’est trop difficile ; je ne suis que misère et orgueil ; après tout ce que Dieu fait, il n’y a rien de bon en moi : jamais je n’irai au Ciel. » Vous voulez que j’espère, malgré tout, que j’espère toujours avoir assez de grâces pour me convertir et parvenir à la gloire… Le ciel et moi, cette perfection et ma misère, qu’y a-t-il de commun entre eux ? Il y a Votre Cœur, mon Seigneur Jésus, Votre Cœur qui fait la liaison de ces deux choses si dissemblables… l’amour du Père qui a tant aimé le monde qu’Il lui a donné son Fils unique… Je dois toujours espérer parce que Vous me l’ordonnez et parce que je dois toujours croire en Votre amour que Vous m’avez tant promis et en Votre puissance… Oui, en considérant ce que Vous avez fait pour moi, je dois avoir une telle confiance en Votre amour, que quelque ingrat et indigne que je me sente, j’espère toujours en lui, je compte toujours sur lui, je suis toujours convaincu que Vous êtes prêt à me recevoir comme le père de l’enfant prodigue, et plus même ; que Vous ne cessez de m’appeler, de m’inviter et de me donner les moyens de venir à Vos pieds…
COURAGE
Mon Seigneur Jésus, il faut que Vous me parliez du courage et que Vous me le donniez surtout, car, Vous le savez, c’est peut-être ce qui me manque le plus, bien qu’il me manque tant de choses… Ce matin encore, j’en ai manqué trois fois : deux fois je me suis éveillé sans me lever, pardon, pardon ! et à la sonnerie de la cloche de l’Angelus, je ne suis pas sorti tout de suite de peur de la pluie… pardon !… Comme si ce n’était pas une grâce mille fois bénie de m’éveiller plus tôt pour être plus tôt en tête-à-tête avec Vous, pour me mettre plus tôt à Vos pieds, à Vos genoux, la tête dans Vos mains à Vous dire que je Vous aime… comme si le réveil, n’était pas Votre appel…, comme si, au réveil, ne brillaient pas devant mon âme, en lettres étincelantes, ces mots : « Il est l’heure d’aimer Dieu ! »…
… « Il te faut du courage contre les hommes, contre leurs menaces et leurs séductions, contre les persécutions, contre les douceurs, contre les méchants, et avec les bons et avec les saints, pour supporter les mauvais traitements et ne pas te laisser amollir par les bons, pour être en tout, avec tous, ce que je veux que tu sois, pour recevoir les railleries, les contradictions, les coups, les blessures et la mort comme mon soldat fidèle, pour résister à l’affection, à la tendresse, à l’amour, aux bonnes paroles, aux bonnes grâces, aux louanges, aux dons les plus délicats, pour ne pas craindre ta peine ni celle des autres, mais uniquement la mienne… Il te faut du courage contre le démon : contre les terreurs, les troubles, les tentations, les séductions, les ténèbres, les fausses lumières, les épouvantes, les tristesses, les dissipations, les chimères, les fausses prudences, les peurs surtout (car c’est son arme habituelle, surtout avec toi qui es timide, inconstant), par lesquelles il cherchera à t’arracher à Moi…
HUMILITÉ
« Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur », avez-Vous dit, mon Dieu…, et comme Vous nous en avez donné l’exemple !… Vous Dieu, Vous Vous faites homme ! Homme, Vous Vous faites le dernier de tous, un petit ouvrier de ce petit Nazareth où j’ai le bonheur d’être, et, lorsque Vous passâtes de la vie cachée à la vie publique, quelle humilité dans Vos paroles et dans Vos actes, dans Vos enseignements et dans Vos exemples… Quand Vous faites des miracles, Vous recommandez de n’en rien dire… Quand Vous laissez voir à Vos apôtres Votre gloire, Vous leur recommandez le silence jusqu’à Votre résurrection… On Vous appelle chez un malade, Vous y allez aussitôt ; on Vous demande une chose, Vous la faites ; on Vous persécute, Vous fuyez ; en rien Vous ne Vous montrez Dieu, Roi, Tout-Puissant ; on Vous interpelle grossièrement, Vous répondez doucement ; on Vous chasse, Vous partez sans répliquer ; on Vous refuse l’hospitalité, Vous passez outre…; partout, Vous vous faites petit… Et dans Vos enseignements : « Malheur aux riches, il leur est plus difficile d’entrer au ciel qu’à un chameau de passer par le trou d’une aiguille !… Le Fils de l’homme est doux et humble de cœur… Si vous ne vous faites petits enfants, vous n’entrerez pas au royaume des cieux… Ceux qui s’élèvent seront humiliés, ceux qui s’humilient seront élevés… Toute élévation est en abomination devant Dieu… Ne vous faites pas appeler Maîtres… Prenez les dernières places… Celui-là sera le plus grand parmi vous qui se fera le plus petit et qui sera le serviteur de tous les autres… Je me tiens parmi vous comme celui qui sert… Je vous lave les pieds pour que vous vous fassiez de même les uns aux autres… Si on vous donne un soufflet sur une joue, tendez l’autre… Si on veut vous prendre injustement votre manteau, donnez encore la tunique… Ne résistez pas au mal… Je ne cherche pas la gloire des hommes… » Mon Dieu, qui avez toujours tellement enseigné l’humilité par Vos paroles et par Vos exemples, que Vous en avez fait un de Vos caractères les plus propres…, Vous qui, pourtant, étiez si grand, apprenez-moi à être humble, à moi qui suis si petit !… Pour Vous, l’humilité, c’était un exemple donné aux hommes, et Vous voyiez si bien la différence qu’il y a de Créateur à créatures, que Vous vouliez que Votre nature humaine rendît, quoiqu’elle ne fît qu’une seule Personne avec Votre nature divine, l’hommage d’une humilité infinie à la divinité dont Vous voyiez si clairement, dont Vous compreniez parfaitement, sans ombre, la grandeur sans limite… Mais, si Vous avez voulu être humble, combien dois-je l’être, moi pour qui, comme l’a dit si bien saint Augustin : « l’humilité, c’est la vérité. » Oui, me voir comme un néant, comme un ver de terre, comme pire qu’un démon par certains côtés, — pas de toutes manières, mais d’une certaine manière, par la multiplicité d’abus de Votre grâce, par le nombre de fois que je Vous ai offensé après que Vous m’avez pardonné. — Comme, pour moi, cette humilité est la vérité !… me défier de moi, moi qui tombe chaque jour, à toute heure… avoir de bas sentiments de moi qui suis si misérable, que je regarde mon passé ou mon présent, moi qui suis pauvre ;… de bas sentiments de mon esprit, moi qui me suis trompé si souvent !… de bas sentiments de ma vertu, que je vois faillir tous les jours et succomber si facilement devant de si petites tentations !
Humble en pensées, en me connaissant moi-même et regardant mes misères passées et présentes, les défauts que j’ai, les vertus que je n’ai pas ; les infirmités que j’ai, les dons naturels que je n’ai pas ;… en étant humble de désirs, en n’ayant aucune ambition, aucun désir de l’estime des hommes, mais, au contraire, le désir qu’ils soient dans la vérité, qu’ils m’estiment à ma valeur c’est-à-dire comme un ver de terre et un néant, une sorte de fou orgueilleux, lâche, bête et ingrat ;… ne me laissant aller à aucune rêverie (c’est du temps perdu), mais surtout à aucune de ces rêveries mauvaises, pleines de vanité, d’esprit mondain, d’orgueil et d’un mauvais levain d’ambition et d’élévation ;… étant défiant de moi, de mon jugement, de ma vertu, de mon courage ;… en attribuant à Dieu seul tout le bien qui peut être en moi, et à moi seul tout le mal que je fais…
Humble en paroles, en parlant peu, en ne disant point de bien de moi, en ne révélant pas, à moins de grande nécessité, le bien que Dieu fait en moi ; en ne disant rien qui puisse donner bonne opinion de moi aux autres, à moins de grande nécessité ; en cachant tout ce qui peut donner bonne opinion de moi aux autres, les dons naturels et surnaturels (encore que tous ne viennent nullement de moi, mais de Dieu seul) ; cacher le bien que je fais, si Dieu en fait par moi. « Que ta main gauche ignore ce qu’a donné la droite. » « Quand tu jeûnes, parfume tes cheveux. » « Quand tu pries, ferme les portes, et que Dieu seul te voie. »… Parler humblement, doucement, ne pas répondre hautainement à des paroles hautaines, être humble et doux avec les petits et avec les grands, devant les reproches et les louanges, devant les bienfaits et les injures, les propositions flatteuses et les menaces, humble dans toutes les paroles de la vie et humble devant la mort.
Humble en actions, ne croyant aucune action au-dessous de nous, puisque Jésus a été trente ans, Joseph toute sa vie, charpentier : devant cet exemple, regarder au contraire toute occupation comme encore trop haute pour nous ;… embrassons avec amour, avec empressement, toute occasion de nous humilier, tout abaissement en imitation de l’abaissement de Jésus, et parce que si nos péchés étaient connus des hommes, rien ne leur paraîtrait assez vil pour nous ;… fuyons toute occupation, toute position élevée, parce que Jésus fut petit et méprisé, et n’acceptons une élévation, quelle qu’elle soit, que si l’obéissance nous y contraint, si nous voyons que c’est un devoir, la volonté certaine de Dieu…
PRIÈRE
Mon Seigneur Jésus… prier, c’est Vous regarder, et puisque Vous êtes toujours là, puis-je, si je Vous aime vraiment, ne pas Vous regarder sans cesse ? Celui qui aime et qui est en face du Bien-Aimé peut-il faire autrement que d’avoir les regards attachés sur Lui ?… « Apprenez-nous à prier, » comme disaient les Apôtres !… Oh ! mon Dieu, le lieu et le temps sont bien choisis : je suis dans ma petite chambre, il fait nuit, tout dort, on n’entend que la pluie et le vent, et quelques coqs lointains qui rappellent, hélas ! la nuit de Votre Passion… Enseignez-moi à prier, mon Dieu, dans cette solitude, dans ce recueillement…
— Oui, mon enfant, il faut prier sans cesse, prie en faisant tout ce que tu fais : lisant, travaillant, marchant, mangeant, parlant, il faut toujours m’avoir devant les yeux, me regarder sans cesse, et me parler plus ou moins, suivant que tu le peux, mais me regardant toujours.
L’oraison est l’entretien familier de l’âme avec Dieu ; l’oraison ne contient que cela ; l’oraison ne renferme ni méditation proprement dite, ni prières vocales, mais elle accompagne, dans un degré plus grand ou moindre, l’une et l’autre. — La méditation, c’est la réflexion attentive sur quelque vérité ou quelque devoir que l’esprit cherche à approfondir aux pieds de Dieu. La méditation est toujours plus ou moins mélangée d’oraison, car il faut nécessairement appeler Dieu à son aide de temps en temps pour connaître ce qu’on cherche ; et aussi pour jouir de Sa présence et ne pas rester longtemps si près de Lui sans Lui dire aucune parole de tendresse…
— Tes prières vocales, office canonial, rosaire, chemin de croix me plaisent, m’honorent, j’approuve que tu les dises, elles sont un petit bouquet que tu m’offres, un très beau et très divin cadeau, quoique tu sois très petit…
« Tu es un tout petit enfant, mais, dans ma bonté, je te permets de cueillir, dans mon merveilleux jardin, les plus belles roses pour me les offrir, de sorte que, tout petit que tu es, en une demi-heure ou trois quarts d’heure, et surtout en un peu plus, tu me fais un merveilleux bouquet…, tu me comprends ?… Et ce bouquet me plaît de tes mains, mon chéri, mon bon chéri, parce que, bien que tu sois tout petit et plein de défauts, tu es mon enfant et, par conséquent, je t’aime ; je t’ai créé pour le ciel ; mon Fils unique t’a racheté de Son sang, t’a fait encore plus mon enfant, t’a adopté pour frère ; je t’aime, et puis, enfin, tu as écouté Sa voix et tu peux te dire ce que j’ai dit moi-même : « Si je t’ai tant aimé quand tu ne me connaissais pas, à plus forte raison, maintenant que, tout pauvre et pécheur que tu es, tu désires me plaire. » Tu le vois, bien que je sois bien grand, et toi bien petit ; bien beau, et toi bien laid ; bien riche et toi bien pauvre ; bien sage et toi bien ignorant, cependant je tiens à ton bouquet quotidien, à tes roses du matin et du soir ; j’y tiens parce que ces roses que je te permets de cueillir dans mon jardin sont belles, et j’y tiens parce que je t’aime, tout petit et tout mauvais que tu es, mon petit enfant.
— Merci, merci, mon Dieu ! que Vos paroles sont douces et qu’elles sont claires, et comme je vois bien ce que je n’avais pas vu du tout !… Merci, merci, mon Dieu ! comme Vous êtes bon !… »
CHASTETÉ
« Mon Seigneur Jésus, dites-moi ce qu’il faut que je pense de cette divine vertu… Combien j’ai besoin de l’apprendre de Vous ! moi si misérable, si dans la terre, si dans la boue, comme il faut que ce soit Vous qui m’éclairiez pour que je comprenne quelque chose de la beauté de cette vertu céleste !
— Mon enfant, j’ai été vierge, j’ai choisi une Mère, un père nourricier, un précurseur, un disciple de prédilection, vierges ; j’ai voulu que, dans ma religion, tous les prêtres, toutes les âmes qui m’étaient consacrés vécussent dans la chasteté… Les vierges ont au ciel une auréole particulière ;… il est bien peu de saints qui, à partir d’un moment de leur vie, sinon toujours, n’aient vécu dans la chasteté…
Pour qui m’aime vraiment, m’aime passionnément, mon amour est un lien sacré, un mariage, et toute pensée, toute parole, toute action contraires à la chasteté est une infidélité à l’Époux… La virginité, la chasteté ne sont donc pas l’état d’une âme qui n’est pas mariée ; c’est, au contraire, l’état d’une âme mariée à un Époux Bien-Aimé, à l’Époux parfait, parfaitement beau, saint, aimable…
« Venez et voyez combien le Seigneur est suave… » Quand on a entrevu cela, combien le Seigneur est suave, comment peut-on faire autrement que de désirer passionnément passer sa vie à Le contempler, à L’adorer dans la pratique de toutes Ses volontés, loin des vanités du monde. Non, tout notre temps est pris, nous avons entrevu le Roi des rois, Il a séduit pour jamais nos cœurs, nous L’aimons, nous ne voulons pas d’amour terrestre, nous avons un Bien-Aimé, il n’y a pas en nous place pour deux… Nous avons entrevu le ciel, nous sommes morts au siècle… Nous voulons être à Dieu seul ; Il suffit à nos cœurs ; ce sont nos cœurs qui ne suffisent pas à Lui rendre tout l’amour et l’adoration qu’Il mérite… Nous ne voulons pas être divisés : nous voulons être tout à Lui… nous aimerons les autres hommes en vue de Lui, à Ses pieds, comme des frères, mais nous serons à Lui seul, tout à Lui, tout à Lui… « N’est-ce donc rien, mes filles, que d’être tout à Dieu ? » disait Sainte Thérèse… — Nous sommes épouses, vraiment mariées… épouses par cela même que nous désirons l’être et que nous Lui promettons d’être toujours tout à Lui… Comme Il est humble et doux, Lui, le Roi du ciel, d’accepter ainsi pour Ses épouses toutes ces pauvres petites âmes qui s’offrent à Lui… Il est difficile parfois de trouver un fiancé sur la terre, et, pourtant, c’est si peu de chose, c’est si infime, si cendre et poussière, un fiancé terrestre ; c’est si néant, si rien de rien !… Mais Lui, le Roi du Ciel, on peut L’avoir pour fiancé quand on veut… Il accepte toute âme… la plus pauvre, la plus dédaignée, la plus coupable, la plus souillée, tout ce qui s’offre à Lui d’un cœur sincère… Il les accepte toutes et se donne à toutes… Mon Dieu que Vous êtes bon !…
C’est la foi qui fait la vie de l’épouse du Christ… elle est dans la lumière ; elle sait, elle voit… Elle voit qu’elle est l’épouse de Jésus, que son sort est divin, qu’elle est bienheureuse, que sa vie doit être un perpétuel Magnificat, et que son bonheur est incompréhensible…
[Notre Seigneur :] « Et tu sens à quel degré, avec quelle jalousie il faut te garder de la moindre, de la plus petite, de la plus imperceptible pensée contraire à la chasteté la plus délicate et, à plus forte raison, de toute parole ou action, puisqu’il s’agit de l’essence même de la fidélité que tu dois à ton Bien-Aimé, à cet Époux que tu aimes passionnément, qui, Lui aussi, t’aime passionnément, comme Il te l’a prouvé en mourant pour toi, en te faisant tant de grâces et, enfin, en t’acceptant pour être Sa fiancée, Son épouse, dans le temps et dans l’Éternité, dans les clartés rayonnantes de la foi, et dans l’infini bonheur de la gloire. »
Résolutions. — Remercier souvent mon divin Époux de la grâce infinie qu’Il m’a faite en m’éclairant des lumières de la foi, et en me faisant voir ce que c’est que d’être épouse du Roi du ciel… Le remercier à l’infini, très souvent, de m’avoir appelée et reçue pour être Son épouse, Lui si grand, moi si petite… Me garder, avec jalousie infinie, de toute faute si imperceptible qu’elle soit, en pensées, paroles ou actions contre la chasteté, parce que ce sont des fautes directes contre la fidélité que je dois à mon Époux, et l’horreur que je dois avoir de telles fautes est en raison directe de l’amour que j’ai pour mon Époux…
PAUVRETÉ
O mon Seigneur Jésus, voici donc cette divine pauvreté ! Comme il faut que ce soit Vous qui m’en instruisiez ! Vous l’avez tant aimée ! Dès l’Ancien Testament, Vous avez montré pour elle toutes Vos complaisances… Dans votre vie mortelle, Vous avez fait d’elle Votre compagne fidèle… Vous l’avez laissée en héritage à Vos saints, à tous ceux qui veulent Vous suivre, à tous ceux qui veulent être Vos disciples… Vous l’avez enseignée par les exemples de toute Votre vie, Vous l’avez glorifiée, béatifiée, proclamée nécessaire par Vos paroles… Vous avez choisi pour parents de pauvres ouvriers…, Vous êtes né dans une grotte servant d’étable ; Vous avez été pauvre dans les travaux de Votre enfance… Vos premiers adorateurs sont des bergers… A votre Présentation au Temple, on a offert le don des pauvres… Vous avez vécu trente ans pauvre ouvrier, dans ce Nazareth que j’ai le bonheur de fouler, où j’ai la joie indicible, profonde, inexprimable, la béatitude de ramasser du fumier… Puis, pendant Votre vie publique, Vous avez vécu d’aumônes au milieu de pauvres pêcheurs que Vous aviez pris comme compagnons… « Sans une pierre pour poser Votre tête »… En ce temps-là, avez-Vous dit à Sainte Thérèse, bien souvent Vous avez dormi au serein, faute de trouver un toit où Vous abriter… Sur le Calvaire, Vous avez été dépouillé de Vos vêtements, Votre seule possession, et les soldats les ont joués entre eux… Vous êtes mort nu, et Vous avez été enseveli par aumône, par des étrangers… « Bienheureux les pauvres !… »
Mon Seigneur Jésus, comme il sera vite pauvre celui qui, Vous aimant de tout son cœur, ne pourra souffrir d’être plus riche que son Bien-Aimé !… Mon Seigneur Jésus, comme il sera vite pauvre celui qui, songeant que tout ce qu’on fait à un de ces petits, on Vous le fait, que tout ce qu’on ne leur fait pas, on ne Vous le fait pas, soulagera toutes les misères à sa portée !… Comme il sera vite pauvre celui qui recevra avec foi Vos paroles : « Si vous voulez être parfait, vendez ce que vous avez et donnez-le aux pauvres… Bienheureux les pauvres, car quiconque aura quitté ses biens pour Moi, recevra ici-bas cent fois plus et, au ciel, la vie éternelle… » et tant d’autres !
Mon Dieu, je ne sais s’il est possible à certaines âmes de Vous voir pauvre et de rester volontiers riches, de se voir tellement plus grandes que leur Maître, que leur Bien-Aimé, et de ne pas vouloir Vous ressembler en tout, autant qu’il dépend d’elles et surtout en Vos abaissements ; je veux bien qu’elles Vous aiment, mon Dieu, mais cependant, je crois qu’il manque quelque chose à leur amour, et, en tout cas, moi, je ne puis concevoir l’amour sans un besoin, un besoin impérieux de conformité, de ressemblance et, surtout, de partage de toutes les peines, de toutes les difficultés, de toutes les duretés de la vie… Être riche, à mon aise, vivre doucement de mes biens, quand Vous avez été pauvre, gêné, vivant péniblement d’un dur labeur : pour moi, je ne le puis, mon Dieu… je ne puis aimer ainsi… « Il ne convient pas que le serviteur soit plus grand que le Maître » ni que l’épouse soit riche quand l’Époux est pauvre, quand Il est volontairement pauvre, surtout, et qu’Il est parfait… Sainte Thérèse, fatiguée des instances qu’on faisait pour qu’elle acceptât des revenus pour son monastère d’Avila, était parfois près de consentir, mais quand elle revenait dans son oratoire et qu’elle voyait la Croix, elle tombait à ses pieds et suppliait Jésus, nu sur cette croix, de lui faire la grâce de n’avoir jamais de revenus et d’être aussi pauvre que Lui… Je ne juge personne, mon Dieu, les autres sont Vos serviteurs et mes frères, et je ne dois que les aimer, leur faire du bien, et prier pour eux ; mais pour moi, il m’est impossible de comprendre l’amour sans la recherche de la ressemblance et sans le besoin de partager toutes les croix…
Et, d’ailleurs, ses biens sont immenses : le pauvre qui n’a rien, n’aime rien sur la terre, a l’âme si libre !… tout lui est égal : qu’on l’envoie ici, là, peu lui importe : il n’a rien ni ne veut rien nulle part… Il trouve partout Celui de qui seul il attend tout, Dieu, qui lui donne toujours, s’il est fidèle, ce qui est le meilleur pour son âme… Comme il est libre ! Comme son esprit est léger pour monter vers le ciel ! Comme rien n’alourdit ses ailes ! Comme ses pensées, dégagées de tous les liens terrestres, s’envolent pures vers le ciel ! Comme les pensées de choses matérielles, petites ou grandes (car les petites, les plus petites, troublent autant que les plus grandes), le gênent peu dans sa prière, comme elles le distraient peu dans son oraison !… Tout cela n’existe pas pour lui !…
« C’est là où vous en étiez arrivée à la Sainte Baume, bénie Sainte Magdeleine : c’est vous encore que Jésus m’a donnée pour m’enseigner la pauvreté, je le sens…, la pauvreté complète, parfaite, qui est non seulement « n’avoir rien de plus en sa possession, ni à son usage qu’un pauvre ouvrier », comme j’en ai fait le vœu et comme le demande l’imitation de Jésus…, c’est plus que cela la complète pauvreté ; cette complète pauvreté, c’est la pauvreté d’esprit, que vous avez proclamée bienheureuse, mon Seigneur Jésus, qui fait que tout, tout, tout le matériel est totalement indifférent, qu’on brise avec tout, qu’on détruit tout, autant que Sainte Magdeleine à la Sainte Baume ; qui ne laisse aucun, aucun attachement à ce qui est passager, vide le cœur totalement, et le laisse tout entier, dans toute sa plénitude, pour Dieu seul. Dieu le remplit alors, y règne seul, l’occupe tout entier, et y place au-dessous de Lui, en vue de Lui et pour Lui, l’amour de tous les hommes, Ses enfants. Le cœur ne connaît plus, ne contient plus que ces deux amours ; tout le reste n’existe plus pour lui, et il vit sur la terre comme n’y étant pas, en contemplation continuelle de l’unique nécessaire, du seul Être, et en intercession pour ceux que le Cœur de Dieu veut bien aimer…
ABJECTION
Mon Seigneur Jésus, daignez me faire faire Vous-même cette méditation. C’est Vous qui avez dit : « Il ne convient pas que le serviteur soit au-dessus du Maître »… Vous m’ordonnez, par là, de ne pas être au-dessus de Vous aux yeux des hommes dans la vie de ce monde… Comment faut-il que je pratique l’abjection ?…
— Remarque, d’abord, qu’après avoir dit : « Il ne faut pas que le serviteur soit plus grand que son Maître », j’ai ajouté : « mais il est parfait, s’il est semblable à son Maître ». Ainsi, je ne veux pas que tu sois au dessus de ce que j’ai été, je ne veux pas non plus que tu sois au-dessous… S’il y a des exceptions, ce n’est certainement pas pour toi, à qui j’ai donné tant de fois pour vocation mon imitation parfaite, m’imiter et m’imiter Moi seul… Tâche donc d’être aux yeux du monde ce que j’étais dans ma vie à Nazareth, ni plus ni moins. J’ai été pauvre ouvrier, vivant du travail de mes mains, j’ai passé pour ignorant, sans lettres ; j’avais pour parents, proches, cousins, amis, de pauvres ouvriers comme Moi, des artisans, des pêcheurs, je leur parlais d’égal à égal, j’étais vêtu comme eux, logé comme eux, je mangeais comme eux lorsque j’étais avec eux… Comme tous les pauvres, j’étais exposé au mépris, et c’est parce que je n’étais, aux yeux du monde, que ce pauvre « Nazaréen », que je fus si persécuté, si maltraité dans ma vie publique, qu’à ma première parole, dans la synagogue de Nazareth, on voulut me précipiter ; que, en Galilée, on m’appelait Béelzébuth, et en Judée démon et possédé ; qu’on me traitait d’imposteur, de séducteur, qu’on me fit mourir sur un gibet entre deux voleurs : on me regardait comme un ambitieux vulgaire… Passe pour ce que j’ai passé, mon enfant, pour ignorant, pauvre, de naissance commune ; pour aussi ce que tu es réellement, sans intelligence, ni talent, ni vertu ; cherche, en tout, les occupations les plus basses ; cultive cependant ton intelligence dans la mesure où ton directeur te l’ordonne, mais que ce soit en cachette et à l’insu du monde ; j’étais infiniment savant, mais on l’ignorait ; ne crains pas de t’instruire, c’est bon pour ton âme ; instruis-toi avec zèle, pour devenir meilleur, pour mieux me connaître et mieux m’aimer, pour mieux connaître ma volonté et mieux la faire, et aussi, pour me ressembler, à Moi, la Science parfaite : sois très ignorant aux yeux des hommes et très savant dans la science divine, au pied de mon Tabernacle… J’étais petit et dédaigné sans mesure ; cherche, demande, aime les occupations qui t’abaissent le plus : ramasser du fumier, piocher la terre, tout ce qu’il y a de plus bas et de plus commun : plus tu seras petit de cette manière, plus tu me ressembleras… Qu’on te regarde comme fou, tant mieux, remercie m’en à l’infini : on me traitait de fou, c’est une ressemblance que je te donne avec Moi… qu’on te jette des pierres, qu’on se moque de toi, qu’on te dise des injures dans les rues, tant mieux ! remercie-m’en, c’est une grâce infinie que je te fais, car ne m’en a-t-on pas fait autant ?… Que tu dois t’estimer heureux, si je te donne cette ressemblance !… Mais ne fais rien pour mériter ce traitement, rien d’excentrique, d’étrange ; je n’ai rien fait pour être ainsi traité, je ne le méritais pas, bien au contraire ; et pourtant, on me l’a fait ; toi non plus, ne fais rien pour le mériter, mais si je te fais la grâce d’y être soumis, remercie-moi bien ; ne fais rien pour l’empêcher, ni le faire cesser ; supporte tout avec grande joie et grande reconnaissance envers ma main qui te donne cela comme un très doux cadeau de frère… Fais tout ce que j’aurais fait, tout ce que j’ai fait ; ne fais que le bien, mais livre-toi aux travaux les plus vils, les plus abaissants ; montre-toi, en tout, par tes vêtements, ton logement, tes politesses prévenantes et fraternelles avec les petits, l’égal des plus petits… Cache avec soin tout ce qui peut t’élever aux yeux du prochain… Mais devant Moi, dans la solitude et le silence du tabernacle, étudie, lis ; tu es seul, porte close, avec Moi et mes saints Parents, et ta mère sainte Magdeleine : dilate-toi à mes pieds, et fais tout ce que te dira ton directeur pour devenir meilleur, plus saint… pour mieux consoler mon Cœur.
TRAVAIL MANUEL
Mon Dieu, inspirez-moi ce que Vous voulez de moi au sujet des travaux manuels…
— Pour cela, comme pour l’abjection et la pauvreté, je veux de toi ce que j’ai voulu de Moi… Tu as une bienheureuse vocation, mon enfant, que tu es heureux !… Prends-Moi simplement comme modèle : fais ce que tu penses que je faisais, que je ferais, ne fais pas ce que je ne faisais pas, ce que je ne ferais pas… imite-Moi…
« Travaille assez pour gagner le pain quotidien, mais moins que les ouvriers ordinaires. Ceux-ci travaillent de manière à gagner le plus possible ; Moi et toi nous ne travaillons que de manière à gagner une nourriture extrêmement frugale, des vêtements et un logis extrêmement pauvres et, en outre, de quoi faire de petites aumônes… Nous ne travaillons pas plus, parce que notre détachement des choses matérielles, et notre amour de la pénitence, font que nous ne voulons avoir que des vêtements, un logis, une nourriture aussi vils que possible, et seulement le strict nécessaire… Nous travaillons moins que les autres ouvriers parce que, d’une part, nous avons moins de besoins matériels, de l’autre, nous avons plus de besoins spirituels : nous tenons à garder plus de temps pour la prière, l’oraison, la lecture, car ainsi faisait-on dans la sainte maison de Nazareth…
— Comment travailler ?
— En me regardant sans cesse, mon enfant, en pensant sans cesse que tu travailles avec Moi et pour Moi, entre Moi, Marie et Joseph, sainte Magdeleine et nos anges, et en me contemplant sans cesse avec eux…
RETRAITE
Mon Dieu, aidez-moi, assistez-moi, soufflez-moi… plus ma petite retraite avance, plus je me sens impuissant, vide, plus je sens qu’il faut que tout vienne de Vous… Dites-moi, mon Dieu, dans quelle retraite je dois vivre ?
— Dans celle où j’ai vécu dans ma vie cachée, mon enfant, ni plus ni moins… Ma vie était très retirée…, ne te figure pas que l’habitude de ma Mère et de Moi fût d’aller aux noces… Souviens-toi que ma Mère et saint Joseph avaient embrassé tous deux la vie parfaite, tous deux la virginité, et qu’ils vivaient dans le monde comme n’étant pas du monde… C’étaient deux ouvriers, mais étaient-ce des ouvriers ordinaires ? Si Judith avait su vivre comme hors du monde, dans sa demeure, combien plus eux ! Si toute personne qui commence à m’aimer s’éloigne du monde aussitôt, et vit dans une retraite de plus en plus grande à mesure que son amour pour Moi devient plus grand, dans quelle retraite devaient vivre mes saints Parents ?… Lorsque j’entrai dans la vie, j’entrai dans cet intérieur tout divin, où les journées se passaient dans la contemplation continuelle, dans le jeûne, la prière et le travail accompagné de prières : des âmes qui s’étaient fait cette vie, qui ne respiraient que pour Dieu, dont toute la conversation était à ce point dans les cieux, qui étaient l’une pour l’autre frères et non époux, avaient su se faire une vie bien à part, bien solitaire, bien retirée, dans ce petit Nazareth… J’entrai dans cette vie, et elle devint la mienne… Ma présence resserra tous les liens qui unissaient Marie et Joseph : pour être toujours avec leur Dieu, ils étaient toujours ensemble ; mais, plus que jamais, tout ce qui n’était pas leur Dieu qu’ils avaient le bonheur de voir, leur pesait…, ayant un tel trésor, ils le cachaient entre eux, ne le montraient pas sans nécessité aux profanes qui ne le connaissaient pas, et traitaient leur Dieu comme un homme… Moi qui ai dit : « Je ne suis pas du monde », Moi qui leur avais inspiré cet amour de la retraite et qui l’inspire toujours à toutes les âmes, dès qu’elles s’approchent de moi, je n’eus garde de choisir une autre voie : j’entrai dans leur vie cachée, retirée, solitaire, et je m’y plongeai avec eux…
« Quiconque aime, aime la solitude en compagnie de l’être aimé… Quiconque aime Dieu, aime la solitude aux pieds de Dieu… Tous les saints, sans exception, ont aimé la solitude, car tous m’ont aimé, et, dès qu’on m’aime, on désire nécessairement être en tête-à-tête… On doit aimer mon bien, ma consolation, ma gloire plus que tout, plus que la joie d’être avec Moi ; aussi, dès que ma volonté appelle ici ou là, il faut courir, voler, abandonner toute solitude, se jeter parmi les hommes ; mais dès que ma volonté, mon avantage, n’ordonnent plus qu’on soit mêlé aux hommes, il faut obéir à la loi de l’amour, et retourner à la solitude ; et plus on m’aime, plus on a soif d’être seul avec Moi, plus on est capable de rester longtemps seul avec Moi, plus on se fait une vie d’oraison solitaire…
« … Tant que Dieu ne nous commandait pas de prêcher, nous restions dans notre solitude… Ne te figure donc pas une vie de famille entourée de l’affection, des visites de nombreux amis et parents… non, rien de cela ; la vie de deux, de trois religieux unis en Dieu, pour mener ensemble, dans une petite maison solitaire, une vie de recueillement, de prière continuelle, de grande pénitence, de saintes lectures, de contemplation continuelle ; une vie de silence, la vie des âmes qui ne sont pas de la terre, dont tout l’entretien est avec Dieu, toute la conversation dans les cieux. Voilà ce que fut ma vie à Nazareth, une retraite… Voilà ce que doit être la tienne… Recueillement, silence, paix, entretien avec Dieu pendant tous les moments du jour et autant que possible de la nuit ; sortir de la maison le plus rarement possible et seulement pour les choses indispensables ; rester dehors le moins possible ; saluer tous ceux qu’on connaît, faire visage aimable à tous ; ne parler à personne, ou, si c’est nécessaire, le faire en le moins de mots possible, mais toujours pleins de bonté et contenant quelque chose qui fasse penser à Dieu et conduise à Lui…
PÉNITENCE
Mon Seigneur, et mon Dieu, combien moi, si lâche, j’ai besoin que Vous me parliez de la pénitence, que Vous me la fassiez aimer, que Vous me montriez sa beauté, que Vous me fassiez voir combien elle est indissolublement liée à Votre amour…, et puis que Vous me disiez ce qu’il faut que je fasse…, et, enfin, que Vous m’aidiez à le faire !
— Mon enfant, nous avons déjà parlé de la pénitence. Voir sa beauté, tu n’en as pas besoin… Ne te suffit-il pas de savoir que je l’ai faite toute ma vie, que je l’ai pratiquée pendant toute ma vie cachée, que je l’ai pratiquée dans ma vie publique comme l’Évangile le montre, que j’ai jeûné pendant la sainte Quarantaine et que je suis mort sur la Croix ? Cet exemple ne suffit-il pas pour que tu entres de toutes tes forces dans la pénitence, sans aucun autre motif, par pur amour et simple besoin de m’imiter, de me ressembler, de partager ma vie, et surtout mes peines ?… Et si tu m’aimes si peu que mon exemple ne te suffit pas, n’as-tu pas mes paroles ? « Faites pénitence… Quand l’Époux ne sera plus avec eux, ils jeûneront… Ce démon ne peut se vaincre que par la prière et le jeûne… » Et si mes exemples et mes paroles te paraissent obscurs, bien qu’ils soient clairs comme le jour, n’as-tu pas l’exemple de tous mes saints ? Tous sans exception peuvent te servir de commentaire et te prouver que j’aime, j’aime, j’aime, je veux la pénitence… la pénitence, mais dans les bornes de l’obéissance. Si tu es si tiède, si tiède que tout cela ne te suffit pas, alors, regarde ce qu’est en elle-même la pénitence…
« Chaque fois que tu te prives de quelque chose, si peu que ce soit, d’un mouvement de curiosité, de regarder en l’air, de manger une bouchée de plus, de chasser une mouche, de la moindre commodité, du moindre désir de la volonté, d’un rien, si tu le fais pour l’amour de Moi, dans le désir de m’offrir un sacrifice, tu m’offres un acte d’adoration et de culte très élevés, qui m’est très agréable et m’honore beaucoup. A plus forte raison, quand tu m’offres en sacrifice quelque chose qui te coûte davantage, une forte humiliation, une forte pénitence, une dure veille, un vœu difficile à observer…
« Ainsi, tu vois, par la somme merveilleuse d’honneur qu’on peut me rapporter en faisant toutes ses actions en esprit de sacrifice, en m’offrant du matin au soir toutes sortes de mortifications grandes et petites, combien ceux qui m’aiment cherchent et désirent ma gloire, m’offrent de sacrifices m’honorant du matin au soir… Ils n’ont pas besoin, pour me glorifier, de prêcher, de sortir de leur cellule : il leur suffit de se priver, de souffrir ; toute privation, toute seconde de souffrance, supportée en mon honneur et offerte à Moi, m’est une gloire, un sacrifice d’agréable odeur… Comprends, maintenant, les mortifications des saints, le désir de souffrir des âmes affamées de ma gloire… Comprends combien ces âmes, si zélées pour la gloire de Dieu, combien la mienne plus que toutes les autres, se jetaient dans la pénitence du matin au soir, à toute heure, pour offrir à Dieu le plus de gloire possible, Lui rapporter le plus de gloire possible… C’est dans ce sens que Saint Paul a si bien pu dire : « Je n’ai connu que Jésus et Jésus crucifié »… Toute ma vie a été souffrance volontaire parce que toute ma vie a été désir dévorant de la gloire de Dieu, et que la pénitence est un moyen de Le glorifier continuellement, d’une manière admirable…
Comprends-tu maintenant pourquoi tu dois entrer dans la pénitence jusqu’à t’y noyer (en restant dans l’obéissance pourtant) ?
Puisqu’il n’y a pas besoin, pour qu’un acte soit un sacrifice, qu’on l’offre au moment même comme tel, car il peut avoir été offert comme tel d’avance ; puisque tous les actes, toutes les paroles, toutes les bonnes pensées même, auxquelles on s’arrête, peuvent être offerts à Dieu en sacrifice, il n’est pas nécessaire, pour faire à Dieu une foule de sacrifices chaque jour, d’y penser tout le long du jour et de se dire à tout moment : « Faisons un sacrifice… » Il suffit d’offrir en esprit de sacrifice à Dieu, en son honneur, toutes nos pensées, paroles ou actions de la journée, nos mouvements, notre être, en Le priant que tout Lui soit un sacrifice d’agréable odeur : nous serons ainsi une victime perpétuelle et notre sacrifice durera tous les instants du jour.
RÉCAPITULATION DES RÉSOLUTIONS
Embrasser l’humilité, la pauvreté, le délaissement, l’abjection, la solitude, la souffrance avec Jésus dans Sa crèche ; ne faire aucun cas de la grandeur humaine, de l’élévation, de l’estime des hommes, mais estimer autant les plus pauvres que les plus riches. Pour moi, chercher toujours la dernière des dernières places, arranger ma vie de manière à être le dernier, le plus dédaigné des hommes.
Quand je suis triste, découragé de moi, des autres, des choses, penser que Jésus est glorieux, assis à la droite du Père pour toujours, et jubiler de joie… Je puis encore, en ces moments, pour me baigner dans cette joie, dire les mystères glorieux du Rosaire…
— [Jésus-Christ] : « En général, ne t’inquiète pas pour les petites choses : brise tout ce qui est petit et tâche de vivre très haut, non par orgueil, mais par amour…
« Il faut briser tout ce qui n’est pas Moi… te faire ici un désert où tu sois aussi seul avec Moi que sainte Magdeleine était seule, au désert, avec Moi. C’est par le détachement que tu parviendrais à cela, c’est en chassant toutes ces petites pensées, tous ces infiniment petits qui ne sont pas mauvais en eux-mêmes, mais qui finissent par disperser du matin au soir ton esprit loin de Moi, au lieu que, du matin au soir, il me devrait contempler…
« Regarde-Moi en travaillant pour Moi… regarde-Moi en priant, regarde-Moi sans cesse, et donne à l’oraison ou à de saintes lectures qui t’uniront à Moi et par lesquelles je te parlerai comme je parlais à mes parents et à Magdeleine à Nazareth et à Béthanie, tout le temps qu’il te sera possible… Quand on aime, on regarde sans cesse ce qu’on aime, on regarde comme bien employé tout le temps employé à le contempler et comme perdu tout le temps pendant lequel on ne le voit pas… Ce temps seul semble compter… pendant lequel nous regardons la seule chose qui, à nos yeux, ait de l’être… tout le reste étant pour nous le vide et le néant… Fonds-toi en Moi, perds-toi en Moi, noie-toi dans mon amour, pense au temps que je t’ai ordonné d’espérer et où tu seras éternellement appuyé sur mon sein ; et puisque je te permets, je te dis de commencer dès maintenant à vivre d’une si douce vie, avec la silencieuse Magdeleine, ma silencieuse Mère et le silencieux Joseph, appuie avec eux ta tête sur mon sein et achève, dans cette douce position et dans la douce vie de Nazareth, ton pèlerinage. »
Ne jamais perdre un instant, un seul instant de présence devant le Saint Sacrement, quels que soient les difficultés morales ou matérielles, les souffrances et les dangers à affronter pour cela : l’univers entier n’est rien à côté du Maître de l’univers qui réside dans le Tabernacle.
Être humble en pensées, paroles et actions.
Ne pas chercher ni aimer l’estime des hommes, mais aimer leur dédain.
Quand on aime on est humble, car on se trouve petit, néant à côté de ce qu’on aime.
Quand on aime, on imite, et Jésus fut doux et humble de Cœur.
L’humilité est l’ornement de toutes les vertus et est nécessaire pour qu’elles soient agréables à Dieu : l’orgueil les gâte toutes…
Faut-il tenir à être à Nazareth ? Non, pas plus qu’au reste. Ne tenir à rien qu’à la volonté de Dieu, à Dieu seul… Je dois trouver que c’est une grande grâce d’habiter Nazareth, m’en estimer très heureux, en être très reconnaissant, mais de l’attachement, non : dès que cela cesserait d’être la volonté de Dieu, il faudrait me jeter à corps perdu, sans un regard en arrière, où et à quoi Sa volonté m’appelle.
[Notre-Seigneur] : « Un des motifs pour lesquels j’ai voulu être plus pauvre que le plus pauvre des ouvriers, c’est que je suis venu apprendre aux hommes le mépris des honneurs, c’est que je suis venu apprendre le mépris des biens de la terre et que je tenais à leur donner l’exemple de la plus grande pauvreté, de la plus profonde abjection. Fais de même… Tu as les mêmes motifs que Moi, y compris ce dernier, car il entre dans ta vocation de crier l’Évangile sur les toits, non par ta parole, mais par ta vie…
— Comment pourrai-je rendre à Dieu ce que je Lui dois, après avoir tant reçu ? Par l’amour, par l’obéissance à tout ce qu’Il veut de moi, car l’obéissance est la marque de l’amour… par la perfection à remplir mes devoirs, laquelle est renfermée dans l’obéissance parfaite ; en particulier par deux choses qui, au degré où je dois les offrir, sont de conseil et non de commandement, mais qui sont particulièrement amoureuses et signifient la tendresse et la flamme du cœur : ces deux choses sont la ferveur des prières, qui forment mon bouquet de roses quotidien, et la pénitence qui est le sacrifice, le don, le petit calvaire quotidien, le parfum de myrrhe qu’on offre chaque jour au Bien-Aimé pour l’embaumer… L’oraison et la pénitence doivent faire le fond de ma vie, comme celle de Jésus à Nazareth, comme celle de sainte Magdeleine à la Sainte Baume.
Ne pas avoir de joie, en vue de moi, des soulagements donnés au corps : les recevoir avec joie en vue de Dieu, de Dieu seul, parce que Dieu le veut, mais non par plaisir personnel. Par goût personnel, la volonté de Dieu n’étant pas manifestée, préférer la pénitence, parce qu’elle offre à Dieu un plus grand sacrifice, mais vouloir avant tout, avant tout, la volonté de Dieu, car ce qui L’honore le plus, c’est qu’on fasse Sa Volonté.
Il ne faut pas que le désir d’offrir le plus possible de sacrifices à Dieu me fasse marcher dans la contrainte ni dans la tristesse… Avoir la sainte liberté des enfants de Dieu, criant sans cesse : « Abba Pater », et être dans la joie en Dieu… Ne pas m’arrêter pour une frayeur instinctive, que le démon inspire toujours au commencement de toutes les bonnes œuvres ; « il agit par la peur », et cherche à détourner de tout bien, en particulier de la pénitence, par la peur… « Dieu aime celui qui donne avec joie »…
RETRAITE DE 1898
du Lundi après le IIIe Dimanche de Carême
au Lundi après le IVe Dimanche de Carême
Nous ignorons si Charles de Foucauld fit réellement cette retraite à Ephrem. Peut-être, méditant dans sa cellule ou dans la chapelle de Sainte-Claire, à Nazareth, se transportait-il simplement en esprit à Ephrem, pour écouter les enseignements de Notre-Seigneur, comme s’il avait vécu au temps de la Vie publique, et joui, avec les apôtres et Sainte Magdeleine, de la présence du Maître. Il se conforme ici au conseil de Saint Ignace : « Je verrai les personnes du mystère que je médite. Je me tiendrai en leur présence comme un petit mendiant et un petit esclave, indigne de paraître devant eux. Je les considérerai, je les contemplerai, je les servirai dans leurs besoins avec tout l’empressement et tout le respect dont je suis capable, comme si je me trouvais présent. Ensuite je réfléchirai en moi-même, pour tirer de là quelque profit. » (Exercices spirituels, seconde semaine.)
Lundi, 3 h. du matin. — Mon Seigneur Jésus, merci de m’avoir éveillé, merci de m’avoir appelé pour veiller avec Vous, entre la Sainte Vierge et sainte Magdeleine. Que Vous êtes bon !… Tout sommeille encore, à la maison et au dehors ! Seul Vous veillez avec votre Mère et Votre adoratrice fidèle… oh ! que Vous êtes bon, mon Dieu, de m’avoir fait lever et appelé à veiller, avec Vous, entre elles !… Vous, êtes silencieux, à genoux ; Vous priez votre Père, Vous Le contemplez, Vous Lui offrez ces hommes pour lesquels Vous êtes venu sur la terre ; ceux qui Vous entourent d’abord, puis tous les autres, présents et futurs… Votre Mère et sainte Magdeleine sont à genoux près de Vous, bien près de Vous, contre Vous, un peu en arrière, de manière à Vous voir, et elles Le contemplent en Vous, elles ne Vous perdent pas des yeux : muettes, elles Vous adorent intérieurement, et leur âme s’abîme en Vous, en un amour et une adoration sans fin. Leur cœur est partagé entre la jouissance et la douleur : tantôt elles jouissent profondément de se sentir si près de Vous, seules avec Vous, de Vous posséder, de Vous avoir si près d’elles dans cette solitude et ce silence, pendant ces heures de calme, de paix et de prière… tantôt une vision sanglante passe devant leurs yeux, et elles se disent douloureusement : dans vingt-cinq jours, où sera-t-Il ? Entre ses bourreaux, lié, souffleté, frappé, et, quelques heures après, tout ce Corps bien-aimé, que nous adorons si doucement, ne sera plus qu’une plaque de sang. Il sera cloué à une croix, et Il mourra !… Et alors, votre douleur, ô ma Mère, ô Magdeleine, est grande comme la mer ; vos yeux se mouillent, et, anges de paix, vous pleurez amèrement… O ma Mère, Mère du Perpétuel Secours et vous, ma mère sainte Magdeleine, mettez-moi entre vous pendant ces heures de veille ; je vous donne mon âme, faites-lui partager vos sentiments, votre amour, vos joies et vos douleurs, faites-en ce qu’il vous plaira, je ne vous demande qu’une chose, une seule chose pour elle : servez-vous-en pour faire d’elle ce qui consolera le plus le Cœur de Notre-Seigneur !… Je me remets à vous pour toujours, ô mes mères bien-aimées ; que je console Notre-Seigneur Jésus le plus possible pendant tous les moments de ma vie !…
O mon Dieu, merci d’être à Vos pieds !… Deficit anima mea. Que Vous êtes divinement bon ! Vous m’aimez… n’est-ce pas folie de le penser ?… Vous, Dieu parfait, m’aimer, moi, créature si pauvre et, hélas ! si maligne, si lâche, tombant mille fois par jour ; non, ce n’est pas folie, c’est vérité, c’est la vérité de Votre Cœur divin, et Votre Amour est loin de nos amours, et Votre cœur loin de nos cœurs !… Oui, c’est vérité, Vous m’aimez, tout néant et misère que je suis… Vous nous le dites, Vous daignez nous le dire, cela suffit…, mais, quand Vous ne me l’auriez pas dit, le seul fait de me faire lever, de m’appeler pour veiller avec Vous, entre Votre Mère et sainte Magdeleine, ne le prouve-t-il pas assez ? Oh ! mon Dieu, que Vous êtes bon ! que je suis heureux ! Mon Dieu je Vous aime, je Vous adore, faites-moi, mon Dieu, avec votre Mère et sainte Magdeleine, me perdre et m’abîmer dans Votre contemplation et Votre amour !…
8 heures matin. — Nous sommes autour de Vous : la Sainte Vierge, sainte Magdeleine, les apôtres, et cet être indigne et misérable à qui Vous permettez de se tenir à Vos pieds. La chambre est close… aucun bruit du dehors n’y parvient, si ce n’est le son de la pluie. Vous ouvrez la bouche et Vous parlez, mon Dieu… tous Vous regardent, tous Vous écoutent, avec quel amour et quel soin !… Vous avez, dites-Vous, encore huit jours à passer à Ephrem, Vous en partirez mardi prochain, demain en huit, pour aller en Galilée, où Vous ne ferez que passer, car vendredi en quinze, Vous serez de retour à Béthanie, et vendredi en trois semaines, jour de l’immolation de la Pâque, ce sera aussi le jour de l’Immolation de l’Agneau de Dieu (ô Jésus, que dites-Vous ?)… Pendant ces huit derniers jours de retraite, Vous allez repasser avec Vos enfants, qui font cercle autour de Vous, les principaux actes de Votre vie… Vous êtes la voie, la vérité et la vie. Vous serez toujours, par Votre grâce et Vos sacrements, la vie des âmes, et Vous y verserez toujours largement cette vie ; quant à la vérité et à la voie, Vous les avez données depuis trente ans, et Vous continuerez à les donner à la terre jusqu’à l’Ascension : mais alors ce sera fini ; il faudra que la terre vive de souvenir, jusqu’à la fin des temps ; Vos enseignements et Vos exemples sont ensemble tout à la fois et la voie et la vérité.
L’INCARNATION
« Voyez, dans cette Incarnation, l’amour pour les hommes, l’amour qu’a Dieu pour eux et, par conséquent que vous devez avoir à Son exemple, pour être parfaits comme votre Père céleste est parfait… Cet amour, comme il est actif, agissant, comme il est profond, Lui faisant franchir comme d’un bond la distance qui sépare le fini de l’infini, et Lui faisant employer, pour notre salut, ce moyen extérieur, inouï, l’Incarnation : Lui, Dieu, Créateur, venir vivre sur la terre…
[Le Christ] : « Voyez ce dévouement aux hommes, et examinez quel doit être le vôtre… Voyez cette humilité pour le bien de l’homme, et apprenez à vous abaisser pour faire le bien, à aller le premier aux âmes, comme j’ai été le premier aux âmes…, à vous faire petit pour gagner les autres, à ne pas craindre de descendre, de perdre de vos droits quand il s’agit de faire du bien aux âmes ; à ne pas croire, non plus, qu’en descendant on se met dans l’impuissance de faire du bien ; au contraire, en descendant on m’imite, en descendant on emploie, pour l’amour des âmes, le moyen que j’ai employé Moi-même ; en descendant on marche dans ma voie, par conséquent, dans la vérité, et on est dans la meilleure place pour avoir la vie et la donner aux autres ; car la meilleure place pour cela, c’est toujours mon imitation. Je me mets au rang des créatures par mon Incarnation, à celui des pécheurs par la circoncision, le baptême : descente, descente, humilité, humilité…, descendez toujours, humiliez-vous toujours ; que ceux qui sont les premiers se tiennent toujours, par l’humilité et la disposition d’esprit, à la dernière place, en sentiment de descente et de service… Amour des hommes, humilité, dernière place, en dernière place tant que la volonté divine ne vous appelle pas à une autre, car alors il faut obéir : l’obéissance avant tout…, la conformité à la volonté de Dieu. Dans la première place, soyez à la dernière par l’esprit, par l’humilité ; occupez-la en esprit de service, en vous disant que vous n’y êtes que pour servir les autres et les conduire au salut et que, même si vous leur commandez, vous ne faites que les servir, puisque vous ne leur commandez que dans le but de les sanctifier…
MÉDITATION SUR LA VISITATION
Évangile selon St Luc, 1, 39.
« A peine incarné, j’avais demandé à ma Mère de me porter à la maison où va naître Jean, afin de le sanctifier avant sa naissance… Je me suis donné au monde pour son salut, dans l’Incarnation… Avant même de naître, je travaille à cette œuvre, la sanctification des hommes… et je pousse ma Mère à y travailler avec Moi… Ce n’est pas elle seule que je pousse à travailler, à sanctifier les autres, dès qu’elle me possède : c’est toutes les autres âmes à qui je me donne. Un jour, je dirai à mes apôtres : « Prêchez », et je leur donnerai leur mission et leur tracerai leurs règles… Ici, je dis aux autres âmes, à toutes celles qui me possèdent et vivent cachées, qui me possèdent, mais n’ont pas reçu mission pour prêcher, je leur dis de sanctifier les âmes en me portant parmi elles en silence ; aux âmes de silence, de vie cachée, vivant loin du monde dans la solitude, je dis : « Toutes, toutes, travaillez à la sanctification du monde, travaillez-y comme ma Mère, sans parole, en silence ; allez établir vos pieuses retraites au milieu de ceux qui m’ignorent ; portez-Moi parmi eux en y établissant un Autel, un Tabernacle, et portez-y l’Évangile, non en le prêchant de bouche, mais en le prêchant d’exemple, non en l’annonçant, mais en le vivant ; sanctifiez le monde, apportez-Moi au monde, âmes pieuses, âmes cachées et silencieuses, comme Marie m’a porté à Jean…
5 heures soir. — … Le temps passe, mon Dieu, les heures s’écoulent… encore une journée finie, encore un soir arrivé ; hélas ! hélas ! qu’ils sont peu nombreux les jours qui Vous restent à passer ici-bas ! Combien peu de soirs nous compterons encore à Vos pieds !… Dans vingt-cinq jours, où serez-Vous à cette heure ? Hélas, mon Dieu, Vous ne serez plus vivant, et par quelles douleurs Vous serez sorti de la vie !… Vous êtes venu ici-bas pour nous seuls, mon Dieu… et les hommes ne Vous ont pas reçu à Votre naissance, et Vous feront sortir violemment du monde, au milieu des plus affreux tourments… C’est ainsi que la terre aura reçu son Dieu, les hommes leur Sauveur et leur Créateur !… Il est vrai que c’est pour entrer dans Votre gloire que Vous quittez la terre… Et il est bien juste que Vous cessiez d’être l’homme des douleurs pour être le Roi de gloire… Mon Dieu, par quel débordement de tourments allez-Vous passer, avant de prendre Votre place à la droite de Votre Père !… Quand Vous êtes entré dans le monde, on ne Vous a pas reçu : toutes les portes de Bethléem se sont fermées à Votre naissance… Vous étiez à peine né depuis quelques jours, qu’on Vous a poursuivi pour Vous faire périr… Pendant les trente années qui ont suivi, Vous n’avez trouvé la paix qu’à condition de Vous cacher, ou en pays étranger ou dans Votre petite ville, perdue dans la montagne, ensevelie dans le silence et dans l’abjection… Dès que Vous êtes sorti du silence, on Vous a persécuté : les premiers, Vos concitoyens, ont voulu Vous mettre à mort, et, depuis trois ans que Vous prêchez, ce ne sont que menaces de mort de toutes parts, et voici que Vous allez permettre qu’on en vienne à l’effet. Voilà comment la terre a reçu son Dieu ! Et Vous ne l’avez pas maudite, mon Dieu, et Vous la quitterez en la bénissant ! Et Vous la bénissez chaque jour, et Vous la bénirez des millions de fois chaque jour, jusqu’à la consommation des siècles. Et Vous la comblez, et continuez toujours à la combler de grâces insignes…; Vous reviendrez en elle, non seulement Vous reviendrez, mais Vous serez en elle jusqu’à la consommation des siècles, et non seulement en un endroit, mais en une foule de lieux !… Mais, maintenant, c’est l’heure du départ qui va sonner. Mon Dieu, merci d’être à Vos pieds !… Merci de cette grâce que Vous me faites de partager avec la Sainte Vierge, sainte Magdeleine, Vos saints Apôtres, Votre dernière retraite, Vos derniers voyages et Vos derniers jours !…
LA NATIVITÉ
Évangile selon St Luc, 2, 7. — « Et elle enfanta son fils premier né ; elle l’enveloppa de langes et le coucha dans une crèche… »
« Je suis né, né pour vous, né dans une grotte, en décembre, dans le froid, l’abandon, au milieu d’une nuit d’hiver, dans une pauvreté inconnue des plus pauvres, une solitude, un délaissement uniques au monde… Qu’est-ce que je vous apprends, mes enfants, par cette naissance ?… à croire à mon amour, Moi qui vous ai aimés jusque-là… à espérer en Moi, Moi qui vous aime tant ;… je vous apprends le mépris du monde dont je fais si peu de cas, la pauvreté, l’abjection, la solitude, l’humilité, la pénitence ;… je vous apprends à m’aimer, Moi si aimable, qui ne me contente pas de me donner au monde dans l’Incarnation, de le sanctifier invisiblement dans la Visitation, non, cela ne suffit pas à ma tendresse ; dès ma naissance, je me montre à vous, je me donne à vous complètement, je me mets entre vos mains. Désormais, vous pourrez me voir, me toucher, m’écouter, me posséder, me servir, me consoler : aimez-Moi, aimez-Moi, Moi que vous avez si près de vous, qui me donne tellement à vous, qui suis si aimable ; Moi qui, par une bonté inouïe, ne me donne pas à vous, à ma naissance, pour quelques jours, pour quelques années, mais qui suis entre vos mains pour y être désormais jusqu’à la fin des temps… Considérez ce bonheur infini que je vous donne par ma naissance, de pouvoir me servir, me servir en servant l’Église, me servir en servant le prochain, me servir, Moi, vivant là, près de vous, dans le Tabernacle… Non seulement vous pouvez me servir, mais vous pouvez me consoler. J’ai vu tous les instants de votre vie à tous, dans tous les instants de la mienne, et mon Cœur humain, qui vous aime si tendrement, a joui ou souffert dans tous ces instants : joui s’ils étaient consacrés au bien, souffert s’ils étaient employés à faire le mal. Quel bonheur pour vous de pouvoir me consoler en tous les instants de votre vie !… et puis, en me faisant si petit enfant, enfant si doux, je vous crie : confiance ! familiarité ! n’ayez pas peur de Moi, venez à Moi, prenez-Moi dans vos bras, adorez-Moi ! Mais, en m’adorant, donnez-Moi ce que demandent les enfants : des baisers ; ne craignez pas, ne soyez pas si timides devant un petit enfant si doux, qui vous sourit et vous tend les bras. Il est votre Dieu, mais Il est plein de douceurs, et de sourires, ne craignez pas. Soyez toute tendresse, tout amour et toute confiance… Je vous dis aussi : obéissance !… Obéissance non seulement directement à Dieu, mais aussi indirectement à Dieu, en obéissant, en vue de Lui et comme à Lui-même, à ceux qu’Il vous donne comme précepteurs : parents, supérieurs ecclésiastiques, directeurs de conscience, supérieurs de toute espèce, chacun dans la mesure où Dieu vous dit de lui obéir !…
LA CIRCONCISION
St Luc, 2, 21. « Le huitième jour où l’enfant devait être circoncis étant arrivé… »
« J’ai voulu être circoncis, et j’ai voulu recevoir le nom de Jésus, Sauveur… j’ai voulu être au rang des pécheurs pour vous apprendre l’humilité : voyez, mes enfants, comme tous mes actes sont des leçons d’humilité ; c’est que vous avez bien besoin de l’apprendre et de la pratiquer tous les jours de votre vie. C’est par l’orgueil que les anges se sont perdus, par orgueil qu’Adam est tombé…, vous serez toujours tentés d’orgueil ; enfoncez-vous dans l’humilité ; là est le salut…, aussi j’ai voulu vous en donner mille fois l’exemple : mon Incarnation, humilité infinie, sans mesure ; ma naissance, humilité ; tout est humilité en Moi. Je suis doux et humble de cœur.
« … Avec l’humilité, j’ai voulu, dans la circoncision, vous enseigner l’obéissance : l’obéissance parfaite à toutes les prescriptions de l’Église, grandes ou petites ; obéissance sans discourir, sans arrière-pensée d’utilité propre, obéissance pour obéir.
« … J’ai voulu vous apprendre la pénitence, et vous donner un peu d’amour : la pénitence en embrassant cette douleur, l’amour en saisissant cette occasion de verser, dès le huitième jour de ma vie, du sang pour vous.
« J’ai voulu être appelé Jésus, d’abord parce que ce nom est la vérité, cette vérité que vous devez tant aimer…; ensuite parce qu’il est profondément tendre et doux, et exprime à merveille mon amour pour vous ; enfin, parce qu’il est propre à vous inspirer confiance en Moi, à vous porter à me tendre toujours la main, comme on la tend vers son Sauveur, à vous adresser toujours à Moi avec le plus confiant, le plus total abandon… Et c’est ce que je veux de vous… Je me suis fait et dit cent fois votre Père… Tout en étant adoré en Dieu, je veux de vous un amour de fils et de frère : abandon, confiance…
VIE CACHÉE
Luc, 2, 39. « … Ils s’en retournèrent en Galilée, à Nazareth, leur ville. »
« Après ma présentation et après ma fuite en Égypte, je me retire à Nazareth…; là, je passe les années de mon enfance, de ma jeunesse, jusqu’à 30 ans… C’est encore pour vous, pour votre amour que j’y suis… Quelle est cette vie ? C’est pour votre instruction que je la mène : pendant ces trente ans, je ne cesse de vous instruire, non par des paroles, mais par mon silence et mes exemples. Qu’est-ce que je vous apprends ? Je vous apprends d’abord qu’on peut faire du bien aux hommes, beaucoup de bien, un bien infini, un bien divin, sans parole, sans sermon, sans bruit, dans le silence et en donnant le bon exemple… Quel exemple ?… Celui de la piété, des devoirs envers Dieu amoureusement remplis, de la bonté envers tous les hommes, de la tendresse envers ceux qui nous entourent, des devoirs domestiques saintement accomplis ; de la pauvreté, du travail, de l’abjection, du recueillement, de la retraite, de l’obscurité d’une vie cachée en Dieu, d’une vie de prières, de pénitence, de retraite, toute perdue et abîmée en Dieu. Je vous apprends à vivre du travail de vos mains pour n’être à charge à personne et avoir de quoi donner aux pauvres, et je donne à ce genre de vie une beauté incomparable…, celle de mon imitation…
« …Tous ceux qui veulent être parfaits… doivent vivre pauvrement, dans l’imitation la plus fidèle de ma pauvreté de Nazareth… Combien je prêche à Nazareth l’humilité, en passant trente ans dans ces obscurs travaux ; l’obscurité en restant 30 ans si inconnu, Moi, la lumière du monde ; l’obéissance, Moi qui ai été soumis pendant trente ans à mes parents, saints sans doute, mais hommes, et je suis Dieu !… Comment pourriez-vous, après m’avoir vu si obéissant pendant longtemps à ceux à qui je ne devais aucune obéissance, dont j’étais le Maître Souverain, le Créateur et le Juge, refuser une obéissance parfaite à ceux dont, Moi, votre Dieu, je vous dis : « Qui les écoute m’écoute » ?
Quel mépris des choses humaines, des grandeurs humaines, des manières mondaines, de tout ce qu’estime le monde : noblesse, richesse, rang, science, intelligence, réputation, considération, distinction mondaine, belles manières !… Combien je repousse tout cela loin de Moi, pour ne laisser voir en Moi qu’un très pauvre ouvrier, vivant très pieusement dans une grande retraite !…
MÉDITATION SUR LA TENTATION DE NOTRE-SEIGNEUR AU DÉSERT
St Luc, 4, 12.
« J’ai permis au démon de me tenter au désert, et cela pour vous, par amour pour vous, pour votre instruction ; afin, d’abord que vous sachiez qu’on est plus tenté au désert qu’ailleurs, et que ceux qui se retirent, pour l’amour de Moi, dans la solitude, ne soient ni surpris, ni découragés par la multitude des tentations ; afin qu’ensuite, vous voyiez tous que la tentation n’est pas péché, puisque Moi-même, je suis tenté… et tenté de choses monstrueuses (par conséquent vous ne devez ni vous attrister, ni vous décourager quand vous êtes tentés, ni dédaigner vos frères, ni les blâmer quand ils le sont) ; puis, afin que vous voyiez comment on résiste aux tentations : il faut y résister tout de suite, dès qu’elles se présentent, dès le premier instant. Un excellent moyen de les combattre, c’est de leur opposer des paroles de la Sainte Écriture, lesquelles tirent de leur origine une force divine…
Mercredi, 3 heures du matin. — Merci, mon Dieu, de m’avoir éveillé et de m’avoir fait lever ! Oh ! mon Dieu, dans la tristesse, le serrement de cœur des derniers jours, la seule consolation est d’être souvent à Vos pieds, de Vous regarder sans cesse ; mais, je veux oublier ma consolation, mon Dieu, je ne veux rien faire pour elle, mais tout pour la Vôtre ; la Vôtre aussi, mon Dieu, c’est que Vos enfants soient le plus possible autour de Vous. Vous nous dites, sinon à tous, du moins à beaucoup et certainement à moi (et que je Vous en remercie !) : « Veillez et priez avec Moi ». Sainte Vierge, sainte Magdeleine, mettez-moi entre vous aux pieds de Notre-Seigneur… Faites-moi Le regarder, Le prier avec vous, tenez nos yeux, notre esprit et nos cœurs éveillés !… Tout repose au dehors… Voici Jésus devant nous ; Il prie, Il adore Son Père, Il prie pour les hommes, Il nous regarde de temps en temps, doucement, pour nous encourager, sans sortir de Sa prière. Mon Dieu, je Vous adore !… Faites-moi passer cette fin de nuit, cette journée, toutes mes nuits, tous mes jours dans Votre contemplation et Votre amour !… O mon Dieu, Vous êtes là, Vous êtes devant moi, que voulez-Vous que je pense, que je Vous dise du fond du cœur ?
— Je ne te demande pas de beaucoup penser, mais de beaucoup aimer, me répond Votre Esprit, adore-Moi et aime-Moi ; regarde-Moi, dis-Moi et répète-Moi sans cesse que tu m’aimes, que tu te donnes à Moi, que tu veux que tous mes enfants m’aiment et se donnent à Moi.
— Tout dort, tout repose ! O merci, mon Dieu, de m’avoir appelé à Vous adorer, à Vous aimer ! tenez mes yeux ouverts et ouvrez les portes de mon âme : faites-moi me perdre et m’abîmer dans Votre contemplation, Votre adoration, Votre amour…
MÉDITATION SUR LA VIE PUBLIQUE
St Luc, 4, 42.
[Notre-Seigneur] : « C’est ainsi que j’ai passé devant vos yeux les trois ans de ma vie publique, passant les jours tout entiers à instruire et à guérir, à faire le bien, aux âmes d’abord, aux corps ensuite. Et, le soir, que faisais-je ? Le soir, je me retirais loin de cette foule à laquelle je m’étais si pleinement consacré le jour, et, cherchant la solitude, je m’enfermais avec vous dans une maison hospitalière, ou bien, j’allais dans la montagne, sur quelque sommet désert, et je passais la nuit en prière…, de toute manière, je passais la nuit dans le recueillement, le silence, à l’écart des foules, dans la veille et la prière… C’est l’exemple que je vous laisse. C’est pour vous que j’ai agi ainsi : Moi qui suis assez fort, assez maître de Moi pour être partout comme seul avec mon Père, puisque je Le vois sans cesse, je suis toujours avec Lui, je n’ai besoin ni de solitude pour me recueillir, ni de silence pour Le prier, ni de prières particulières pour m’unir à Lui. Au milieu des foules, en parlant, je suis aussi uni à Lui que dans la plus profonde solitude. Je n’ai pas besoin de méditer pour Le connaître, car je Le connais ; je n’ai pas besoin de me fortifier par Sa contemplation, car je suis divinement fort… Je n’ai besoin ni de solitude, ni de veille, ni de silence, ni de prière, car, au dedans de Moi, la prière est continuelle et parfaite… C’est pour vous donner l’exemple que j’ai passé tant de nuits dans une veille solitaire, à prier mon Père, sous le ciel étoilé ou dans le secret d’une chambre close… Puisque je fais tout pour vous tous, aimez-Moi donc et aimez-vous les uns les autres… Et suivez mes exemples ; prenez un sommeil aussi court que possible, et passez la plus grande partie que vous pourrez de vos nuits à veiller dans le recueillement et le silence, en priant, en contemplant, en vous abîmant en Dieu… »
LA DÉFENSE DES DISCIPLES
St Luc, 5, 32.
« Souvenez-vous, mes petits enfants, comme je vous ai défendus, chaque fois que les Pharisiens vous faisaient des reproches ou cherchaient à vous embarrasser par leurs questions. Faites de même… Défendez les bons contre les méchants, les faibles contre ceux qui les oppriment injustement. Je vous ai défendus, par amour pour vous et par amour pour tous les hommes, pour vous personnellement, pour vous porter à m’aimer par reconnaissance, à aimer votre prochain par l’imitation de ce que je faisais, pour vous délivrer d’un mal prochain, d’un danger ou d’une peine qui vous menaçait pour vous donner l’exemple et vous apprendre à défendre vos fils, vos enfants spirituels, tous les innocents, tous les opprimés, comme je vous ai défendus… Ai-je jamais manqué à ce devoir de défendre ceux qu’on attaquait injustement ? Jamais, et je n’y manquerai pas jusqu’à mon dernier soupir… Je défends ceux qu’on attaque, même contre vous, contre mes amis ; je défends Magdeleine contre sa sœur… Je suis fidèle et je ne vois jamais attaquer mes amis sans prendre aussitôt leur défense. Faites de même, c’est une œuvre de charité, une des marques de l’amour que vous devez avoir pour le prochain… »
Jeudi, 3 heures du matin. — … Oh ! qu’il est doux d’être à Vos pieds, entre la Sainte Vierge, sainte Magdeleine, parmi Vos saints Apôtres qui, eux aussi, se sont levés et veillent silencieusement, Vous regardant et priant !… Les heures passent, et Vous priez toujours, Vous contemplez Votre Père, et Vous Le priez pour Vos enfants… Cette dernière prière est courte, car elle est toujours exaucée et toute-puissante : Votre Père vous écoute toujours, Il fait tout ce que Vous voulez, et Vous ne demandez que ce qu’Il veut ; aussi un mot Vous suffit pour demander. Vous lui mettez les choses devant les yeux par un simple mouvement de l’âme, priant, en peu de paroles, Celui qui exauce pleinement toutes Vos paroles, et avec qui Vous ne faites qu’un… Mais, la contemplation de Ses beautés est longue, en Vous l’acte d’amour dure longtemps…, cette contemplation est amour ; cette adoration, l’éternité tout entière ne Vous sera pas de trop pour Vous y livrer : elle remplira pour Vous les siècles éternels : aussi les heures d’une nuit sont bien peu de chose et passent comme un éclair dans cette céleste occupation… Vous contemplez Dieu, immobile, tantôt à genoux, tantôt assis, promenant de temps en temps un regard tendre sur ces enfants de Dieu serrés autour de Vous et sur leurs anges gardiens qui Vous adorent. Vous contemplez Dieu ; Marie, Magdeleine, les Apôtres Le contemplent aussi, car ils Vous regardent : leurs yeux ne se détachant pas de leur Bien-Aimé. Ils prient en silence, les yeux fixés sur Vous, Vous, le Tout de leur âme, dont le pâle et doux visage est faiblement éclairé à la pâle lumière d’une petite lampe. Ils Vous regardent, et la plupart se perdent dans cette contemplation muette, s’abîmant à Vos pieds sans autres pensées, mais Vous regardant et Vous adorant avec tout l’amour de leur cœur. Quelques-uns sentent, en Vous regardant, s’élever de douloureuses pensées dans leur âme… Ce Jésus Bien-Aimé, ce Dieu béni, ce Maître chéri, combien de temps Le verrons-nous encore parmi nous ? Combien de nuits passerons-nous encore ainsi, à Ses pieds, dans cette douce prière ? Dans trois semaines, à pareille heure, il Lui restera un jour et demi à vivre. O douleur des douleurs ! Et, douleur mille fois plus grande, au milieu de quels tourments sortira-t-Il de cette terre qui ne L’a pas reçu, qui Le chasse, qui n’a eu pour Lui, toute sa vie, que des persécutions ? Oh ! mon Dieu, si Vous avez tant d’ennemis et de bourreaux et si peu d’amis, faites du moins que Vos amis soient fidèles, qu’ils soient courageux, ardents à Votre service, ne reculant devant rien de ce qui peut Vous plaire, devant rien de ce qu’il Vous est agréable qu’ils fassent, mais qu’ils soient prêts à tout pour Votre amour et Votre service !…
GUÉRISON DE L’HOMME A LA MAIN DESSÉCHÉE UN JOUR DE SABBAT
St Luc, 6, 10.
Jésus : « Souvenez-vous du courage avec lequel, au milieu même de mes ennemis pendant même qu’ils complotaient pour me perdre, j’ai proclamé, à leur face, la criant bien haut, la doctrine de vérité, et ces vérités mêmes que je savais leur être les plus odieuses, les plus insupportables… Souvenez-vous avec quel courage j’ai fait devant eux, au milieu d’eux, ces miracles, ces guérisons, ces actes qui les transportaient de rage et leur faisaient jurer ma mort… Je l’ai fait pour vous, pour votre bien, afin de prêcher la vérité bien haut et afin de donner, à tous les hommes, une leçon de courage dans l’accomplissement de la charité, et dans l’accomplissement des devoirs religieux en particulier ; afin de donner, aux pasteurs des âmes, une leçon de courage dans la prédication. Ne cachez pas la vérité, quoi qu’il doive vous en coûter ; si vous en êtes martyrs, tant mieux : vous régnerez plus tôt avec Moi dans la maison de mon Père… Mais, souvenez-vous de l’exemple que je vous donne. Je suis la lumière, je n’ai pas le droit de me mettre sous le boisseau : il faut que j’éclaire les hommes, même malgré eux, jusqu’à ce que mon Père fasse sonner l’heure de mon repos ; vous de même, vous qui êtes pasteurs d’âmes ; je vous ai mis sur le chandelier : vous êtes obligés d’éclairer les hommes, qu’ils le veuillent ou non ; vous êtes obligés de semer la semence que je vous ai confiée, de crier sur les toits la doctrine que je vous ai confiée à l’oreille. Criez, semez, prêchez ; faites-le pour m’obéir ; faites-le avec une joie d’autant plus douce qu’en le faisant, non seulement vous m’obéissez, mais vous m’imitez… Qu’on vous écoute ou qu’on ne vous écoute pas, prêchez toujours, et priez toujours pour que vos paroles rapportent du fruit ; si elles n’en rapportent pas, continuez sans tristesse ni découragement, avec une certaine joie de cet insuccès, puisque, n’ayant pas de succès, vous partagez mon sort…
LES BÉATITUDES
« Bienheureux ceux qui auront la pauvreté d’esprit ; qui, non seulement rejettent les biens matériels, ce qui est le premier degré, mais montent bien plus haut et vident complètement leur âme de tout attachement, de tout goût, de tout désir, de toute recherche qui n’a pas Moi pour but… Cette pauvreté d’esprit fait le vide complet dans l’âme, la vidant et de l’amour des choses matérielles, et de l’amour du prochain, et de l’amour de soi-même, chassant d’elle tout, tout, et n’y laissant qu’une place entièrement vide que j’occupe tout entière… Moi, alors, je leur rends divinisé cet amour des créatures matérielles qu’ils ont chassé de leur âme pour me donner la place entière… Ils ont chassé de leur âme ces amours ; seul, j’occupe leur âme vide de tout et pleine de Moi ; mais en Moi, en vue de Moi, ils recommenceront à aimer toutes ces choses, non plus pour eux, ni pour elles, mais pour Moi : ce sera la charité ordonnée. Ils aimeront toutes les créatures pour Moi, et ils n’en aimeront aucune pour elle, car ils me doivent tout leur amour, ils doivent se perdre en Moi, et n’avoir rien que par Moi et pour Moi, l’amour comme le reste. Bienheureux ceux qui seront si pauvres d’esprit, si vides de tout, si pleins de Moi !…
« Bienheureux ceux qui ont faim ! ceux qui ont faim de justice, du règne de la justice sur la terre, de mon règne sur la terre, de ma gloire ; faim de me voir glorifié par toutes les âmes ; faim de voir ma volonté parfaitement accomplie par tous les êtres !… Ayez donc toujours cette grande faim de la justice, de voir la justice parfaitement accomplie, et par vous-même et par tous les hommes ; la faim de voir la volonté de Dieu parfaitement faite par vous et par tous les hommes ; la faim de votre parfaite sanctification et de la parfaite sainteté dans tous les hommes… C’est cette faim qui presse mon propre Cœur !… Ayez-la de plus en plus, non en vue de vous, ni en vue des hommes, mais en vue de Dieu, par amour de Dieu… Bienheureux serez-vous alors ! car vous serez parfaitement unis à mon propre Cœur !…
« Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu’ils sont malheureux, pauvres, en deuil, malades, souffrants du corps ou de l’âme, éprouvés de quelque manière que ce soit ; bienheureux parce que ces souffrances serviront à expier leurs péchés ; bienheureux parce que ces souffrances les détachent du monde, de la terre, et les portent à lever les yeux vers Moi et à s’attacher à Moi… Plus heureux encore, ceux qui pleurent leurs péchés… Plus heureux encore et encore, ceux qui pleurent de tristesse de ne pas me voir et d’être exilés dans cette vallée de larmes, loin de Moi… Encore plus heureux ceux qui pleurent mes douleurs, ma Passion, toutes les souffrances que j’ai endurées sur la terre… Et plus heureux que tous, ceux qui pleurent par pur amour, qui pleurent parce qu’ils m’aiment, sans cause distincte, qui pleurent non de douleur, ni de désir, mais seulement parce qu’en pensant à Moi, tout leur cœur se fond, et qu’ils ne peuvent retenir leurs larmes.
« Heureux ceux que les hommes haïssent et persécutent à cause de Moi ! heureux, oui, car s’ils m’imitent, ils auront part à mon sort… en vraies épouses, ils partageront pleinement le sort de leur Époux… heureux, car qu’y a-t-il de plus doux que de souffrir avec ce qu’on aime ?… Bienheureux, puisqu’ils auront ce double bonheur, souffrant avec leur Bien-Aimé et souffrant pour Lui… Heureux, car, par ces souffrances même, s’accroîtra leur amour pour moi : il s’accroîtra dans la mesure des souffrances qu’ils souffriront pour moi… et cet amour croissant ne sera pas passager, mais durable, il durera pendant le temps et pendant l’éternité… Oh ! bienheureux ceux qui souffrent persécution avec Moi et pour Moi, et dont l’amour croît sans relâche pendant ces persécutions ! Ne refusez, ne craignez jamais les peines, les haines, les persécutions souffertes pour Moi ; recevez-les, au contraire, avec joie, bénédiction, action de grâce, reconnaissance à Dieu et aux hommes, en me remerciant du fond du cœur, en priant pour vos ennemis et vos bourreaux, en vous joignant, anges terrestres, à leurs anges gardiens pour me demander leur conversion, et en vous réjouissant du fond du cœur d’avoir été jugés dignes de souffrir humiliation et souffrance pour mon amour ! N’oubliez pas que c’est ainsi que je traite tous ceux que j’aime d’un amour de prédilection : ainsi j’ai traité les patriarches et les prophètes, ainsi je traiterai et j’ai traité ma mère, ainsi j’ai traité mon bien-aimé père Joseph, ainsi je vous traiterai, Magdeleine, ainsi je vous traiterai, Pierre, Jean, Jacques, vous tous mes bien-aimés !… et ainsi surtout je me traite Moi-même, Moi qui dois être le premier en tout…
« Et qu’elle sera bénie la fin de ces douleurs !… Plus vous aurez aimé et souffert pour Moi en ce monde, plus vous aurez été persécutés pour Moi, et mieux vous me verrez, et mieux vous m’aimerez éternellement dans l’autre…
5 heures du soir. — Mon Dieu parlez, Votre petit serviteur écoute : entre la Sainte Vierge et sainte Magdeleine, devant Vos Apôtres qui font le cercle, je suis là, tout petit, me blottissant, Vous regardant et écoutant…
— « Aimez vos ennemis… Bénissez ceux qui vous maudissent. Faites du bien à ceux qui vous veulent du mal… Si on vous frappe sur une joue, tendez l’autre… Si on vous arrache votre manteau, laissez prendre aussi votre tunique… Donnez à quiconque vous demande… Et si on vous prend quelque chose, ne le redemandez pas… Faites aux autres ce que vous voulez qu’ils vous fassent… Soyez miséricordieux comme votre Père Céleste est miséricordieux… Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés… Pardonnez et Dieu vous pardonnera… Ne regardez pas la paille de votre frère, mais votre poutre… »
« Tous ces commandements sont des commandements de charité, mes enfants, et ils ne peuvent vous étonner si vous comprenez bien, une fois pour toutes, que tous les hommes ne font ensemble qu’une seule et même famille dont Dieu est le Père commun, Créateur, Conservateur, Père de tous de la même manière : Il aime tous les hommes incomparablement plus que le père le plus tendre n’aime ses enfants… Et il veut que, parmi ces fils et ces fidèles, tous, sans exception si tendrement aimés, règne cette concorde, cet amour, cette tendresse, au besoin cette indulgence et cette douceur toujours prête à céder, qu’un tendre père veut voir régner entre ses enfants… C’est ainsi qu’Il veut qu’on se cède les uns aux autres, que l’on s’entr’aide sans mesure, que chacun cède de son droit, loin de le réclamer jamais ; qu’on cède au frère injuste pour le corriger par la douceur et maintenir la paix dans la famille, priant seulement pour lui afin qu’il se corrige… Enfin, vous le voyez, toute cette série de recommandations que je vous ai faites n’ont d’autre but que d’entretenir la paix et l’amour entre tous les frères qui composent la grande famille humaine… Gardez toujours toutes ces prescriptions, et ayez au fond de l’âme, gravé profondément, ce principe d’où toutes découlent : tous les hommes sont vraiment, véritablement frères en Dieu, leur Père commun, et Dieu veut qu’ils se regardent, s’aiment, se traitent en tout, comme les frères les plus tendres.
« Et soyez compatissants les uns pour les autres : voyez comme je suis compatissant pour vous, comme je souffre, comme j’ai pitié, compassion de toutes les douleurs, comme je soupire avec celui-ci, comme je pleure avec cet autre. J’ai compassion de leurs deuils, de leurs maladies, de leurs inquiétudes, de leur faim, de leurs faiblesses, de leur ignorance…; non seulement j’ai fait du bien aux âmes et aux corps, mais mon Cœur a une pitié, une compassion profonde pour tous les maux de l’âme et du corps… La compassion fait partie de l’amour dans tout cœur mortel et dans tout amour humain…
LA TEMPÊTE APAISÉE
St Luc, 8, 24.
« Mes enfants, quoi qu’il vous arrive, souvenez-vous que je suis toujours avec vous… souvenez-vous que, visible ou invisible, paraissant agir ou paraissant dormir et vous oublier, je veille toujours, je suis partout, et je suis tout-puissant. N’ayez jamais nulle crainte, nulle inquiétude : je suis là, je veille, je vous aime (vous ne doutez plus, j’espère, de mon amour !), je suis tout-puissant… Que vous faut-il de plus ?… Tout ce qui vous arrive vous arrive par ma permission ou ma volonté, par la permission ou la volonté de mon amour, pour que vous en tiriez un grand bien, grand bien que je vous aide Moi-même à en tirer par ma grâce… Ne craignez donc rien, puisque rien ne peut vous arriver sans ma permission… ne vous affligez de rien, du moins d’une douleur qui dépasse ces mouvements de sensibilité instinctifs, prompts et passagers, qui sont des effets de la nature et des sens ; mais conformez votre volonté à la mienne…
« Souvenez-vous de ces tempêtes que j’ai apaisées d’un mot, leur faisant succéder un si grand calme… Souvenez-vous de la façon dont j’ai soutenu Pierre marchant sur les eaux… Je suis toujours aussi près de chaque homme que je l’étais alors de vous, et aussi disposé à l’aider, à le secourir en tout ce qui sera pour le bien de son âme. Ayez confiance, foi, courage ; soyez sans inquiétude pour votre corps et votre âme, puisque je suis là, tout-puissant, et vous aimant. Mais, n’oubliez pas que je suis là… que votre confiance ne naisse pas de l’insouciance, de l’ignorance des dangers, ni de la confiance en vous ou en d’autres créatures ; non, votre situation est très grave, vous n’avez que quelques années, quelques jours pour gagner une éternité bienheureuse ou mériter le feu éternel… les dangers que vous courez sont imminents : les démons, ennemis forts et rusés, votre nature, le monde, vous font constamment une guerre acharnée ; vous n’avez aucune confiance à avoir en vous-mêmes ; repassez dans votre esprit vos péchés et vos années, et cet examen de votre passé vous montrera le fond que vous pouvez faire sur votre vertu, votre esprit, sur tout ce qui est vous ; sur les autres, vous ne pouvez pas compter davantage ; ils ne peuvent ni agir pour vous, ni vous suivre malgré vous, et, sans Moi, ils sont aussi impuissants que vous… Oh ! en cette vie, la tempête est continuelle, et votre barque est toujours près de sombrer… Mais Moi je suis là, et avec Moi elle est insubmersible : défiez-vous de tout, et surtout de vous, mais ayez en Moi une confiance complète, qui bannisse l’inquiétude… »
8 heures, soir. — Mon Dieu, voici l’heure du silence revenu. La nuit enveloppe la terre, le ciel est noir et couvert de nuages, on n’entend d’autres bruits qu’un chant lointain… Qu’il est triste, ce chant qui sort de quelque manoir mondain et qu’apporte le vent !… Comme il est faux !… Comme c’est bien le cri que pousse la nature humaine quand elle n’est pas divinisée par Vous, mon Sauveur, ce chant qui voudrait être un chant de joie et qui, malgré lui, est si plaintif, c’est bien le son des plaisirs humains qui, plus ils font d’efforts pour être joyeux, plus ils sont gros de larmes. Oh ! que nous sommes heureux, mon Sauveur Jésus, d’être si loin de ce triste monde, dont à peine nous arrive, avec les rafales du vent, un écho lointain ! Qu’il fait bon se serrer près de Vous, dans cette chambre bien close, entre Votre Mère, sainte Magdeleine et Vos Apôtres, Vous regarder, Vous contempler, Vous écouter, et, maintenant que la nuit s’avance, rester silencieux à Vos pieds, entre ces saintes âmes, en se perdant avec elles dans Votre contemplation !… Mon Seigneur et mon Dieu, où serez-Vous, d’aujourd’hui en trois semaines ? hélas ! hélas ! à cette heure, aura lieu Votre repas pascal, Votre dernière Cène… à cette heure, Vous serez à quelques instants de Votre agonie, de Votre arrestation… O mon Dieu, faites-moi passer cette nuit qui, dans trois semaines, à pareil jour, sera si lamentable, de manière à Vous consoler le plus possible !…
MULTIPLICATION DES PAINS
St Luc, 9, 16.
[Le Christ] : « Mes petits enfants, souvenez-vous que parmi tous les miracles que j’ai faits devant vous, certains ont été d’un genre tout particulier… Ils ont été la figure d’un grand mystère… Je vous ai expliqué, ainsi qu’à la foule, quelque chose de ce mystère à Capharnaüm, et ces vérités ont tant surpris les hommes que la plupart ne m’ont pas cru, et que beaucoup de mes disciples se sont retirés de Moi et ont, dès lors, cessé de me suivre. Je veux parler des multiplications des pains qui présagent le sacrement de mon Corps et de mon Sang que j’instituerai la veille de ma mort, à la dernière heure et au dernier repas que je prendrai et que je passerai avec vous… Je ne puis me décider, mes enfants, à vous quitter complètement… je ne veux pas vous laisser orphelins…, je vous quitterai à cette heure même, d’aujourd’hui en trois semaines, mais je reviendrai bientôt à vous, ressuscité, d’abord jusqu’à mon Ascension, et ensuite dans le T. S. Sacrement de l’Autel jusqu’à la fin des temps… Ainsi, tout en montant au Ciel, je resterai sur la terre, et je serai parmi vous jusqu’à la consommation des siècles… Je le ferai parce que vous êtes froids, pour vous rendre chauds, fervents, aimants, tendres, par ma présence, ma vue, la vue de mon amour…, parce que vous êtes faibles pour vous rendre forts, courageux, par le sentiment de ma présence, par la claire vue que je suis toujours avec vous…; parce que vous êtes sans espérance et sans confiance, pour vous donner espoir et confiance à la vue de mon amour pour vous, de ma familiarité avec vous…; parce que vous êtes tristes et découragés, pour vous rendre heureux, joyeux, pleins d’allégresse, par le bonheur d’être aux pieds, aux genoux de votre Bien-Aimé, d’être sans cesse en sa présence…; parce que vous êtes portés à vous occuper de choses matérielles, extérieures, mondaines, passagères, de ce qui concerne votre corps, pour vous porter à les laisser de côté et à ne vous occuper, au contraire, que de choses spirituelles, intérieures, célestes, éternelles concernant votre âme ; en vous attirant dans une église par ma présence ; en vous faisant passer les journées au pied de mes autels, par dévotion pour ma présence ; en vous portant à me prier, Moi que vous sentirez si près de vous dans le Tabernacle ; en vous portant à passer vos journées entières en contemplation devant la Sainte Hostie, que vous savez être vraiment Moi, vraiment Jésus que vous aimez… — Ce n’est pas tout ; en vous donnant ce Pain céleste, je ne me place pas seulement devant vous pour être adoré, quoique cette seule présence soit déjà un bien infini, un don divin, parfait, le Tout : en vous donnant ainsi ma présence dans vos Tabernacles jusqu’à la fin des siècles, je vous fais un premier don infini… mais je vous en fais deux autres, infinis aussi… je me donne à vous, en deuxième lieu, pour être votre nourriture, et en troisième lieu, pour être offert par vous en sacrifice à mon Père en mon nom…
LA DOUCEUR
Luc, 9, 56.
« Une autre vertu que je vous ai bien souvent recommandée par mes paroles et plus souvent encore par mes exemples, c’est la douceur : c’est pour vous, pour votre bien à tous que je vous l’ai tant de fois prêchée… Pratiquez cette douceur dans vos pensées, éloignant, chassant comme des inspirations du diable toute pensée d’amertume, de dureté, de raideur, de violence, de colère, de rancune, d’antipathie, de jugements sévères sur ceux dont vous n’êtes pas chargés ; accueillez, nourrissez les pensées douces, tendres, charitables, les pensées de sympathie, de bonté, de reconnaissance… Attendrissez-vous en regardant l’amour que vous devez à tous les hommes, mes enfants bien-aimés, vos frères ; la reconnaissance que vous devez, à tous, qui vous font tous quelque bien par la communion des saints, par la gloire que tous me donnent, bon gré, mal gré, à Moi votre Bien-Aimé. En tous les hommes, vous avez des amis tendres et très puissants, puisque vous avez, avec eux, continuellement, leurs bons anges. Soyez tout miel, toute tendresse, toute paix dans vos pensées… Et soyez de même dans vos paroles…, si parfois, par devoir, vous êtes obligés d’avoir des paroles sévères, que votre sévérité même laisse voir, comme au travers d’un voile transparent qui couvre un fond d’éternelle douceur, qu’elle n’est que passagère, qu’elle cessera aussitôt que le bien même des âmes à qui elle s’adresse ne la demandera plus, qu’elle ne demande qu’à s’évanouir et à faire place à la douceur.
LE PLUS GRAND COMMANDEMENT
Luc, 10, 28.
« Souvent, mes petits enfants, on m’a demandé devant vous quel était le plus grand commandement ; j’ai toujours répondu : le premier commandement est d’aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme, de tout son esprit, de toutes ses forces…; le deuxième est d’aimer son prochain comme soi-même. — Qu’est-ce que c’est que m’aimer ainsi, mes enfants ? C’est m’aimer souverainement, par dessus tout, autant que vous le pourrez, autant que vous le permet la grâce que je vous donne !… Et qu’est-ce que c’est que d’aimer ?… Aimer, cela contient bien des choses, qui diffèrent selon les caractères et selon les dons de Dieu. Dieu donne tantôt tel sentiment, tantôt tel autre, fait sentir à telle âme telle chose, à telle autre, telle autre chose. Il fait sentir à la même âme en un temps tel sentiment, en tel autre temps un autre, et le tout avec des intensités très différentes ; ces sentiments font tous partie de l’amour, en sont les effets réels, mais nous les sentons plus ou moins selon la volonté de Dieu, Sa grâce et notre fidélité à recevoir cette grâce. Parmi ces sentiments, qu’on peut dire innombrables et qui font tous partie de l’amour, on peut compter surtout le désir de voir, de connaître, le désir de posséder le Bien-aimé, le désir d’être aimé de Lui, le désir de Lui plaire, le désir de Lui faire du bien, le désir de Le louer, l’admiration, le désir de L’imiter, le désir d’être approuvé par Lui, le désir de Lui obéir en tout, le désir de Le voir heureux, le désir de Le voir en possession de tout ce qui est bon, avantageux pour Lui, le désir, en un mot, de tout ce qui est son bien ; le désir de souffrir pour Lui, le désir de souffrir avec Lui, le désir de partager ses travaux, sa vie, ses états, le désir de conformer entièrement son âme à la Sienne, le désir de se donner à Lui, de ne vivre que pour Lui, de ne respirer que pour Lui, le désir de travailler pour Son service, la douleur de Ses souffrances, la joie de Son bonheur, la douleur des choses qui Lui causent de la peine, en conformité avec Lui, la joie des choses qui Le réjouissent…, etc., etc. Tous ces sentiments sont des effets de l’amour, appartiennent à l’amour, sont dans l’amour, mais tous ne sont pas l’amour ; un seul d’entre eux est vraiment l’essence de l’amour, c’est celui qui consiste à désirer passionnément et par dessus tout, à tel point qu’on compte tout le reste pour rien…, qu’on ne vive que pour l’accomplissement de ce seul désir… : le bien de l’Être aimé…
« Et je vous ai dit que le deuxième commandement, c’est d’aimer le prochain comme soi-même… En effet, pour m’aimer parfaitement, vous avez fait le vide total de votre âme, vous n’y avez rien laissé, ni choses matérielles, ni le prochain, ni vous-même, vous vous êtes vidé de tout, vous m’avez donné toute la place, et j’y règne seul, la remplissant entièrement… Mais, une fois que je règne pleinement et seul en vous, je m’établis dans votre âme, et j’y place tout ce que je veux y voir, comme un propriétaire place dans sa maison le mobilier qu’il y veut. J’y place mes vertus, ma bonté, et la première des choses que j’y mets, que j’y veux avoir et que je vous ordonne de conserver pour Moi, en vue de Moi, pour mon usage, pour m’obéir, dans cette maison de votre âme que vous avez faite mienne, c’est l’amour de tous les hommes, de vous-même et de tous les autres. — Amour de tous au même titre, parce que vous êtes miens, et amour de tous (de vous compris parmi les autres) très grand, parce que vous m’êtes tous très chers comme je vous l’ai assez prouvé, mes petits enfants, et par toutes les grâces dont les hommes sont comblés depuis l’origine du monde, et par cette grâce incompréhensible de l’Incarnation, par ma vie entière, et par dessus tout, par ce qu’il me reste à vous donner et à souffrir pour vous, mes enfants bien-aimés… enfants de mon cœur !… »
Samedi, 9 heures soir. — Mon Dieu, voici la nuit venue. Le vent souffle en ouragan, de temps en temps la pluie l’accompagne…, tous les bruits se sont tus…, on n’entend que le vent qui souffle et la pluie qui tombe… Vous priez immobile et silencieux, une petite lampe éclaire Votre visage si beau, si pâle, si calme, si pensif… Tout près de Vous, la Sainte Vierge, sainte Magdeleine sont à genoux et prient… Vos apôtres sont là aussi, silencieux, recueillis, priant : tous Vous regardent, les yeux ne se lassent pas de Vous voir. Mettez-moi avec eux, à Vos pieds, mon Dieu !
LA PRIÈRE
Luc, 11, 13.
[Notre-Seigneur] : « Vous m’avez demandé plus d’une fois comment il faut prier, mes enfants, et je vous l’ai fait voir… La prière, c’est l’entretien avec Dieu, c’est le cri de votre cœur vers Dieu. Il faut donc que ce soit quelque chose d’absolument naturel, d’absolument vrai, l’expression du plus profond de votre cœur…, ce n’est pas vos lèvres qui doivent parler, ce n’est pas votre esprit, c’est votre volonté… Votre volonté se manifestant, se répandant dans toute sa vérité, sa nudité, sa sincérité, sa simplicité à votre Père, et présentée par vous devant Lui, voilà ce que c’est que la prière ; cela ne demande donc souvent ni un long temps, ni beaucoup de paroles, ni beaucoup de pensées ; cela varie : tantôt ce sera un peu plus long, tantôt tout à fait court…, selon les désirs de votre cœur…; s’ils sont parfaitement simples, un mot les exprimera ; s’ils sont moins simples, il vous faudra quelques phrases pour les exposer… De toute manière, c’est l’état de votre volonté que vous exposez…, l’état de votre cœur si vous le voulez, mais non de votre cœur avec ses imperfections, ses attaches désordonnées, non, c’est l’état de votre cœur rectifié par votre volonté, l’état de votre cœur tel que vous voulez qu’il soit, en en retranchant tout ce que vous n’y admettez pas, tout ce que vous en repoussez : la prière, c’est donc la demande de ce que vous voulez, de ce que vous voulez avec l’aide de la grâce, de ce que vous voulez en vue de Dieu.
« Priez ainsi, veuillez tout ce que je veux, cela seul que je veux, comme je le veux, dans la mesure où je le veux : « Mon Père, que votre volonté se fasse ! » Cette prière sera celle que vous ferez éternellement dans le ciel…
« Tout ce que désire Dieu et par conséquent, tout ce que vous désirez, tout ce que veut Dieu et, par conséquent, tout ce que vous voulez se trouve compris dans ces mots : « Père que votre volonté soit faite… »
« La prière, c’est tout entretien de l’âme avec Dieu, c’est encore cet état de l’âme qui regarde Dieu sans parole, mais uniquement occupée à Le contempler, Lui disant qu’elle L’aime, par ses regards, tout en étant muette des lèvres, même de la pensée… La meilleure prière est celle où il y a le plus d’amour. Elle est d’autant meilleure que les regards de l’âme sont chargés de plus d’amour, que l’âme se tient plus tendrement, plus amoureusement devant son Dieu. La prière, dans cette acceptation la plus large du mot, peut être ou une contemplation muette, ou une contemplation accompagnée de paroles… paroles d’adoration, d’amour, d’offrande de soi, de don de tout son être… paroles d’actions de grâces du bonheur de Dieu, des faveurs faites à soi ou à d’autres créatures… paroles de regret de réparation des péchés propres ou de ceux d’autrui… paroles de demande…
« … Mes enfants : dans la prière, ce que je veux de vous, c’est l’amour, l’amour, l’amour.
« Outre le temps que vous devez consacrer chaque jour uniquement à la prière, vous devez, pendant tout le reste de vos journées, élever le plus souvent possible votre âme vers Moi ; selon le genre de vos occupations, vous pouvez, en vous y livrant, ou bien penser constamment à Moi, comme il arrive dans certains travaux purement manuels, ou bien vous ne pourrez que de temps en temps lever les yeux vers Moi ; que ce soit, du moins, le plus souvent possible. Il serait bien doux, bien juste de pouvoir me contempler sans cesse… ne jamais me perdre de vue ; mais ce n’est pas possible en ce monde aux hommes ordinaires, vous ne le pourrez que dans le ciel. Ce que vous pouvez et devez faire, c’est, pendant le temps que vous employez à des occupations autres que la seule prière, lever les yeux de l’âme vers Moi, aussi souvent et aussi amoureusement que vous le pouvez et, tout en travaillant, garder ma pensée aussi présente à votre esprit que cela vous est possible, selon votre genre de travail… De cette manière, vous me prierez sans cesse, continuellement, autant que cela est possible à de pauvres mortels.
Prier, vous le voyez, c’est surtout penser à Moi, en m’aimant… plus on m’aime, mieux on prie. La prière, c’est l’attention de l’âme amoureusement fixée sur Moi : plus l’attention est amoureuse, meilleure est la prière.
LA SAINTETÉ
St Luc, 12, 48.
« Et vous, mes chéris, vous mes favoris, vous mes privilégiés, mes bien-aimés entre tous, souvenez-vous, vous, mes élus, de cette grave parole que je vous ai dite : « Il sera plus demandé à celui qui a plus reçu »… C’est pour vous qu’elle a été dite, vous mes choisis, vous mes comblés, vous à qui j’ai tout dit, tout donné, vous qui avez reçu tant et tant de grâces…, plus vous aurez reçu, plus il vous sera demandé… La grandeur des faveurs que je vous ai faites est le signe, que je vous donne moi-même, de la grandeur de la sainteté que je demanderai de vous… N’ayez donc pas la folie de croire que c’est orgueil de votre part de désirer, d’espérer, de vouloir parvenir à une très grande sainteté ; c’est tellement peu orgueil que c’est, au contraire, devoir et obéissance. Les grâces dont je vous ai comblés et que, sans ingratitude, vous ne pouvez pas ne pas reconnaître, sont un ordre très précis de ma part de monter à une très grande sainteté : donner beaucoup de grâces à une âme, c’est, de ma part, comme si je lui disais : « Je veux que tu deviennes très sainte…, je te demanderai compte de ces grandes grâces que je t’ai données… »
« Pour peu que vous ayez l’ombre de raison, mes grâces, mes faveurs, en s’accumulant sur vous, ne feront que faire croître en vous l’humilité et la crainte. Bien loin de vous enorgueillir, plus vous recevrez, plus vous serez rempli de crainte et vous humilierez dans les sentiments de votre profonde bassesse. Ce qu’il y aurait à craindre plutôt que l’orgueil, si vous êtes dans votre bon sens, c’est le découragement, et il arriverait, en effet, si je ne vous faisais un devoir d’espérer toujours, malgré tout, de croire à ma miséricorde infinie et de vous jeter à corps perdu sur mon Cœur, quelque misérable que vous vous sentiez, comme l’enfant prodigue se jeta sur le cœur de son père. »
4e Dimanche de Carême
6 heures 30 soir. — Le jour s’avance, mon Dieu ; hélas, ce séjour à Ephrem est presque terminé… Que le temps passe vite ! dans trois semaines, à pareille heure, Vous serez ressuscité ! Quel mot ! Quel éblouissement : heureux, bienheureux, infiniment glorieux pour la Sainte Trinité, toutes Vos souffrances, tous Vos travaux seront finis… Pour l’Éternité, Vous serez le Roi de gloire… Avec quelle impatience et quelle joie je verrais arriver ce jour, mon Bien-Aimé Jésus, si Vous ne deviez, pour y parvenir, traverser de telles souffrances ! Mais, hélas ! c’est par de telles douleurs que Vous devez entrer dans Votre gloire, que mon cœur se glace, et que je ne puis y penser sans que le froid de la mort m’enveloppe… Oh ! mon Seigneur Jésus, ce sera un vendredi, votre dernier jour : vendredi prochain en quinze… Que cela s’approche !… Que tous Vos enfants Vous consolent pendant ces quelques jours, ô mon Dieu !… Que je Vous console durant tous les jours de ma vie !… Que tous Vos enfants Vous consolent le plus possible !… Que Votre volonté se fasse en tout !… Amen.
LA VOIE ÉTROITE
« Entrez par la voie étroite, car la voie large mène à la perdition… » c’est-à-dire, entrez par la voie de la mortification, de l’obéissance surtout et de la pénitence, car la voie contraire, la voie du relâchement, de la vie molle, à l’aise, indépendante, mène en enfer… Vous avez, entre bien d’autres écueils à éviter, dans la vie, ceux que je vous ai tant de fois signalés en vous disant : « Évitez le levain des pharisiens et des sadducéens »… L’écueil des pharisiens, c’est celui qui consiste à chercher la perfection, mais à la mettre dans des observances purement extérieures, des minuties, des formalités, au lieu de la mettre dans la pratique des vertus et l’imitation de mes exemples : cet écueil fait tomber dans l’hypocrisie, les jugements téméraires, la dureté du cœur, gouffres où l’âme sombre… L’écueil des Sadducéens est le relâchement qui sous prétexte de mettre la vertu dans la sainteté intérieure de l’âme, repousse toute pratique extérieure, rejette tout ce qui gêne le corps, déclare toute mortification inutile : on devient alors esclave de ses sens, incapable de soumettre son corps ni son âme à aucune obéissance, et on rejette tout ce qui est une croix et une humiliation.
« Je vous trace la voie entre les deux écueils, en vous disant : « Prenez la voie étroite » et ce qu’est cette voie, je vous l’ai expliqué ailleurs : la voie étroite, c’est la voie dont j’ai donné l’exemple, la voie que j’ai signalée en disant : « Si quelqu’un veut me suivre, qu’il se renonce tous les jours et me suive. » Faites ainsi, mes petits enfants et vous vivrez ! Et marchez à ma suite dans cette voie, en vous gardant des deux écueils du plaisir et des séductions… »
8 heures soir. — Mon Seigneur Jésus, voici la nuit venue ; tout se tait, l’ombre et le silence enveloppent la terre… tout dort dans le village… on n’entend aucun bruit… Vous veillez, Votre Mère, sainte Magdeleine, veillent près de Vous et Vous regardent, tristes, en priant pour Vous : elles comptent les jours : dix-huit jours jusqu’à Votre Passion, dix-neuf jours jusqu’à Votre mort… Vous mort, mon Jésus, ô Vous si plein de vie ! Vous la vie ! Et mort dans quels tourments ! Et volontairement ! Et de tout Votre Cœur ! Oh ! mon Dieu, et Votre Cœur a soif d’être baptisé de ce baptême… le nôtre défaille en y pensant… Mon Dieu, la voilà donc qui approche, qui arrive, qui arrive, qui est arrivée, la fin de cette vie de 33 ans passés sur la terre… Qu’elle s’est vite écoulée ! De quelles ineffables douceurs Vous avez su la remplir pour moi ! Quelles grâces précieuses Vous avez, chaque jour, dans cette vie bénie, répandues sur moi, sur nous qui Vous entourons, et sur toute la terre !… que dirai-je ? Dirai-je, comme on Vous l’a dit une fois : « A Dieu ne plaise, Seigneur, que Vous souffriez ainsi ! » Non ! je ne pourrai pas avoir d’autre volonté que la Vôtre, mon Seigneur ! je Vous ai donné une fois ma volonté, je ne la reprendrai jamais, elle est pour jamais perdue et noyée dans la Vôtre : que tout ce que Vous voulez se fasse, que tout ce que Vous voulez arrive, quoi que ce puisse être… Que Votre volonté se fasse, mon Dieu… je sais que Votre volonté est Votre gloire, est Votre bien… Qu’elle se fasse… Oh ! mon Dieu, faites seulement que moi, que ceux dont Vous m’avez chargé plus particulièrement, que tous les fidèles de Votre Église, que tous les hommes fassent en tout Votre volonté. Amen ! Amen !
LE BON PASTEUR
St Luc, 15, 4.
[Notre-Seigneur] : « Je suis le Bon Pasteur, je cours sans cesse à la recherche des brebis égarées, je vous l’ai redit cent fois : Aimez-Moi ! puisque je vous aime tant, toutes, ô mes brebis, et aimez-vous les uns les autres, puisque votre Pasteur vous aime tous si tendrement !… Soyez-Moi reconnaissants de mes soins à vous chercher, de ma bonté à vous pardonner, de ma joie quand je vous retrouve ! Aidez-moi dans mon travail, imitez-Moi, faites tous vos efforts, avec Moi et comme Moi, chacun selon les ordres de son directeur spirituel, pour ramener le plus possible de brebis égarées… partagez mes sentiments, mes peines de voir mes brebis se perdre, ma joie quand je les retrouve…, partagez ma constance, mon espérance, mon indulgence à les chercher, mon espérance qui ne renonce jamais à croire à la possibilité de leur retour, mon indulgence à leur pardonner…, partagez ma tendresse pour elles, quand elles reviennent…, loin de leur faire des reproches et de les punir, je les comble de caresses, je tombe sur leur cœur, comme le père de l’enfant prodigue.
« Espérez donc toujours le retour au bien de toutes les âmes vivant en ce monde, travaillez-y toujours dans la mesure fixée par l’obéissance, et soyez tendres pour les pécheurs qui reviennent, comme je l’ai été devant vous pour tant d’âmes… En un mot, qui contient tout, faites pour les pécheurs ce que vous voulez que je fasse pour vous.
Lundi après le 4e Dimanche de Carême
« Mes petits enfants, le jour touche à sa fin, je n’ai plus que quelques mots à vous dire… le dénouement approche pour Moi, et cette petite retraite d’Ephrem est presque finie… Demain matin, nous partirons pour la Galilée… Je veux pourtant vous dire encore trois choses pendant que nous sommes encore recueillis dans cette solitude : d’abord, pauvreté, pauvreté, pauvreté. Souvenez-vous de mes exemples et de mes paroles au sujet de la pauvreté : né dans une grotte, élevé dans une pauvre maison, enfant de parents pauvres, vivant pauvrement comme eux, du travail de mes mains, jusqu’au jour où j’ai passé mes jours entiers à prêcher ; depuis ce temps, acceptant pour vivre les aumônes des fidèles, mais n’en acceptant que ce qu’il faut pour vivre aussi pauvrement que quand j’étais ouvrier ; sans aucune possession au monde, sans une pierre pour poser la tête ; choisissant mes compagnons, mes apôtres parmi les pauvres, prêchant la pauvreté. Souvenez-vous de mes paroles : « Bienheureux les pauvres !… Malheur aux riches… Si vous voulez être parfaits, vendez ce que vous avez et donnez-en le prix aux pauvres… Si vous ne renoncez à tout, vous ne pouvez devenir mes disciples… On ne peut suivre deux maîtres à la fois, on ne peut aimer Dieu et l’argent… Le pauvre Lazare fut porté par les anges dans le sein d’Abraham… Ceux qui quittent tout pour me suivre reçoivent le centuple en ce monde, et, dans l’autre, la vie éternelle… » Je ne veux pas laisser finir cette journée sans vous répéter : Pauvreté, pauvreté, pauvreté !… Foi dans la prière… Humilité. »
Ces notes se trouvent rassemblées dans deux cahiers qui portent le titre inscrit en tête de ce chapitre. Elles se rapportent aux sujets les plus divers de la vie spirituelle, et les unes sont, assurément, personnelles ; les autres ont été écrites, par Charles de Foucauld, au cours de ses lectures. Nous savons qu’il lisait, avec un goût particulier, les œuvres de Sainte Thérèse, celles de Saint Jean de la Croix, et celles de Saint Jean-Chrysostome. De ces livres, il ne se sépara jamais, et, après sa mort, on retrouva des exemplaires très usagés dans l’ermitage de Tamanrasset.
I. — Pentecôte : 6 juin 1897
Mon Dieu, qu’est-ce qui Vous déplaît le plus en mon âme ? L’esprit de prière, la confiance en Vous, l’amour, la douceur, la fidélité, la générosité me manquent… Jésus n’est pas content de moi… Sécheresse et ténèbres : tout m’est pénible : sainte communion, prières, oraison, tout, tout, même de dire à Jésus que je L’aime… Il faut que je me cramponne à la vie de foi. Si, au moins, je sentais que Jésus m’aime… Mais, Il ne me le dit jamais… Ce qui me manque surtout, c’est l’oubli de moi et un cœur fraternel pour les autres…
— Tu me demandes en quoi tu m’offenses le plus… En ne m’aimant pas assez purement… assez uniquement…, en t’aimant et en aimant les créatures pour toi et pour elles… Ne fais rien pour toi, rien pour les créatures par amour de toi, par amour d’elles : en tout ce que tu as à faire, ne vois que Moi seul ; en tout, demande-toi uniquement ce qu’aurait fait le Maître, et fais-le. Ainsi, tu m’aimeras seul — ainsi, je vivrai en toi — ainsi, tu seras perdu en Moi, tu vivras en Moi, tu n’auras plus rien de toi, mon règne sera arrivé en toi.
« Ta vocation. — Prêcher l’Évangile en silence, comme Moi dans ma vie cachée, comme Marie et Joseph.
« Ta règle : me suivre… Faire ce que je ferais. Demande-toi en toute chose : « Qu’aurait fait Notre Seigneur ? » et fais-le. C’est ta seule règle, mais c’est ta règle absolue.
« Ton esprit. — Esprit d’amour de Dieu et d’oubli de toi, dans la contemplation et la joie de Son bonheur, la compassion et la douleur de mes souffrances, et la joie de mes joies…; dans la douleur des péchés commis contre Moi et l’ardent désir de me voir glorifié par toute âme. Esprit d’amour du prochain, en vue de Moi qui aime tous les hommes comme un père ses enfants ; désir, en vue de Moi, du bien spirituel et matériel de tous les hommes. Liberté d’esprit, tranquillité, paix. Tout en vue de Dieu seul, rien en vue de toi ni d’aucune créature.
« Ton oraison. — 1re Méthode. — 1o Qu’avez-vous à me dire, mon Dieu ? 2o Moi, voici ce que j’ai à vous dire. 3o Ne plus parler, regarder le Bien-Aimé. — 2e Méthode. — Quis, quid, ubi, quibus auxiliis, cur, quomodo, quando.
« Ton assistance à la messe. — Divise-la en trois parties : 1o Jusqu’à la consécration : offre-Moi et offre-toi à mon Père et recommande-lui tes intentions. Remercie-Moi de ma croix, demande-Moi pardon de l’avoir rendue nécessaire…; 2o De la consécration à la communion : adore-Moi sur l’autel ; 3o Après la communion : adore-Moi dans ton cœur, remercie-Moi, aime-Moi, jouis, tais-toi.
« Ta pensée de la mort. — Pense que tu dois mourir martyr, dépouillé de tout, étendu à terre nu, méconnaissable, couvert de sang et de blessures, violemment et douloureusement tué…, et désire que ce soit aujourd’hui… Pour que je te fasse cette grâce infinie, sois fidèle à veiller et à porter la croix. Considère que c’est à cette mort que doit aboutir toute ta vie : vois, par là, le peu d’importance de bien des choses. Pense souvent à cette mort, pour t’y préparer et pour juger les choses à leur vraie valeur[6]. »
[6] Charles de Foucauld écrivait cela en 1897. Or, dix-neuf ans plus tard, le 1er décembre 1916, il sera assassiné par les Senoussistes, à Tamanrasset.
Je ne demande pas de consolations à Jésus (d’abord je ne le mérite pas), car ce serait pour moi une joie si grande de L’entendre ou de Le sentir au fond de mon cœur, que ce serait un paradis pour moi, et on ne peut pas faire son paradis en ce monde et en l’autre. Je ne Lui demande qu’une chose : de Lui être fidèle. Hélas ! je le suis si peu…
Il est juste qu’une âme si peu fervente ne goûte aucune douceur… Oui, le Bon Dieu permet quelquefois de pareilles ténèbres sans qu’une étoile vienne briller dans notre ciel. C’est alors qu’il faut se rappeler que nous ne sommes sur la terre que pour souffrir, en suivant notre doux Sauveur dans ce sentier obscur et épineux. Nous sommes pèlerins et étrangers sur terre… Les pèlerins couchent sous la tente, traversent parfois des déserts, mais la pensée de leur patrie leur fait tout oublier. Oh ! oui, nous sommes bien sur une terre étrangère ici-bas…, il nous faut suspendre nos lyres et pleurer.
En tout, en tout, je ne veux que la sainte Volonté… Hélas ! j’aime si peu mon Jésus que je n’ose pas Lui donner le nom de Bien-Aimé. Cependant, je désire, je veux L’aimer plus que tout ce qui est sur la terre et au ciel. A Lui seul mon cœur et ma vie !
« Quand vous vous sentirez fatigué, triste, seul, en proie à la souffrance, retirez-vous dans ce sanctuaire intime de votre âme et, là, vous trouverez votre Frère, votre Ami, Jésus qui sera votre Consolateur, votre Soutien et votre Force… »
— Pour te dire tout d’une seule parole, quitte tout, mon enfant, et tu trouveras tout.
— Oh ! comme je suis heureux, maintenant, dans ma chère solitude, loin, loin, bien loin de ce monde où Il est tant offensé. Oh ! que nous sommes heureux, seuls avec Son amour, seuls avec Sa tendresse ! Je ne sens pas cet amour, mais cependant, Il sait bien que je L’aime plus que le monde entier : tout misérable que je suis, mon cœur, mon âme, ma vie tout entière, tout Lui appartient jusqu’au dernier soupir ! Hélas, non, je ne L’aime pas, du moins comme je devrais L’aimer… Les paroles ne sont rien, il faut en venir aux œuvres… Demandez pour moi un amour généreux, fidèle, ardent !…
Depuis le péché d’Adam, l’homme ne peut plus faire, sur la terre, aucun bien dans l’ordre matériel ou spirituel, qu’au moyen d’une peine proportionnée à ce bien… Comme les biens spirituels sont d’un ordre infiniment supérieur, comme l’amour de Dieu est le bien des biens, ils ne peuvent s’acheter qu’au prix de peines qui vont jusqu’à la douleur, jusqu’à des douleurs d’autant plus poignantes que le bien auquel nous tendons est plus haut. Les obscurités et les douleurs intérieures que l’âme éprouve dans sa vie intime d’amour divin sont seules assez crucifiantes pour pouvoir servir de prix, de monnaie, si j’ose dire, pour l’achat de l’amour divin, notre bien suprême : c’est pourquoi nous ne pouvons parvenir à aimer Dieu qu’à condition d’acheter notre amour par des obscurités, des souffrances intérieures proportionnées au degré d’amour auquel nous parviendrons.
Comme nous devons désirer que tous les hommes soient en état de grâce ! C’est désirer qu’il y ait autant de Tabernacles vivants, autant de corps et d’âmes animés par Jésus qu’il y a d’âmes !… Comme nous devons désirer que les âmes en état de grâce fassent le plus d’actes saints possible ! C’est désirer la multiplication des actes de Jésus dont chacun glorifie Dieu infiniment !
Élection (14 novembre 1897, fête du Patronage de la Très Sainte Vierge).
1o Acquérir par la grâce divine, le détachement complet de ce qui n’est pas Dieu, la pauvreté d’esprit qui ne laisse subsister ni petites pensées, ni petits soucis, ni petites inquiétudes, ni pensées d’intérêt personnel, soit matériel, soit spirituel, ni petites considérations, rien de terrestre, de petit, de vain : vider entièrement l’âme et n’y laisser subsister que la seule pensée et le seul amour de Dieu… Vivre haut, n’être plus de la terre, vivre au ciel comme sainte Magdeleine à la Sainte Baume.
2o Me corriger de la peur que j’ai de la croix et être plus généreux dans la mortification… Désirer plus ardemment d’aimer Dieu du plus grand amour !
Nazareth, 26 avril 1900.
Pour suivre Jésus crucifié, je dois mener une vie de croix.
Confiance absolue que, si je suis fidèle, la volonté de Dieu s’accomplira, non seulement malgré les obstacles, mais grâce aux obstacles.
Les obstacles sont la marque que la chose plaît à Dieu. La faiblesse des moyens humains est une cause de force. Dieu fait servir les vents contraires pour nous conduire au port…
C’est la parole de N.-S. à Ste Thérèse qui m’encourage si souvent dans mes lâchetés et mes bas respects humains : « Ou bien on m’en glorifiera, ou bien on t’en méprisera, dans les deux cas, tu y gagneras. »
J’ai un sentiment profond et sans cesse grandissant que pour glorifier Dieu et « faire ici-bas l’œuvre du Père céleste », il faut avant tout, que je goûte la croix dont Jésus nous a laissé l’exemple.
A un Trappiste,
Nazareth, 30 sept. 1897.
« Tâchons de ne faire qu’un avec Jésus, de reproduire Sa vie dans la nôtre, de crier Sa doctrine sur les toits par nos pensées, nos paroles et nos actions, de Le faire régner en nous, vivre en nous ! Il entre en nous si souvent dans la Sainte Eucharistie ! qu’Il établisse en nous Son royaume !… S’Il nous donne des joies, acceptons-les avec reconnaissance ; le Bon Pasteur nous donne ces douces herbes pour nous fortifier et nous rendre capables de Le suivre ensuite dans des chemins arides… S’Il nous donne des croix, baisons-les : « bona Crux » c’est la grâce des grâces, c’est marcher plus que jamais la main dans la main de Jésus, c’est Le soulager en portant Sa croix comme Simon le Cyrénéen ; c’est notre Bien-Aimé qui nous invite à Lui déclarer et à Lui prouver notre amour… Peines de l’âme, souffrances du corps, « réjouissons-nous et tressaillons de joie » : Jésus nous appelle, nous dit de Lui dire que nous L’aimons, et de le Lui répéter aussi longtemps que dure notre souffrance… Toute croix, grande ou petite, toute contrariété même, c’est un appel du Bien-Aimé, Il nous demande une déclaration d’amour, et une déclaration durant aussi longtemps que la croix… Oh ! comme en pensant à cela, on voudrait que la croix dure toujours… Elle durera ce que Jésus voudra… Si douce, si aimée qu’elle soit, nous ne la voulons que quand Jésus la veut pour nous… Votre Volonté, mon frère Jésus, et non la nôtre… Nous, nous ne voulons pas plus penser à nous que si nous n’existions pas : nous ne penserons qu’à Vous, notre Époux Bien-Aimé. Nous ne voulons pas notre bien, nous voulons le Vôtre… Nous ne demandons rien pour nous, nous Vous demandons Votre gloire : « Que Votre Nom soit sanctifié, que Votre règne arrive, que Votre volonté soit faite » en tous Vos enfants, en tous les hommes ; qu’elle le soit en nous ; que nous Vous glorifiions le plus possible pendant notre vie… que nous fassions Votre volonté… que nous consolions le plus possible Votre Cœur… C’est tout ce que nous voulons, c’est tout ce qu’il nous faut… Nous voici à Vos pieds, faites de nous ce qu’il Vous plaira…, ou ceci ou cela, à Votre gré…, nous n’avons pas de volonté, pas de désir, que l’accomplissement de Votre Volonté, que Votre bien…
A un ami,
26 décembre 1897.
« Bénissons Dieu mille fois, si, par les tristesses dont Il nous inonde, il semble que la terre nous repousse. Ces tristesses, ces douleurs, cette amertume dont tout nous semble imprégné ici-bas, c’est le lot qu’eut Notre-Seigneur… que nous sommes heureux de le partager ! Plaignons les heureux…! Plaignons ceux que les joies, même les plus pures, même les plus légitimes, attachent à la terre ! Que le bon Dieu est bon de nous avoir tout ôté pour que nous ne puissions plus respirer qu’en tournant la bouche vers Lui !… Que Sa miséricorde est grande ! Qu’il a été divinement bon en nous enlevant tout, en nous arrachant tout, pour que nous soyons plus complètement à Lui ! Que les malheureux sont heureux, et que Dieu est bon…! La tristesse me conduit à l’action de grâces… Puissent ces jours de fête et de douleur vous apporter, je ne dis pas la consolation, mais le bien que le Bon Dieu se charge de vous donner. L’Enfant Jésus ne vous apportera peut-être pas de douceurs, Il les réserve à la faiblesse ; Ses mains ne sont pas moins ouvertes cependant sur vous que sur les autres, en ces jours de grâce, et Il en répandra, que vous le sentiez ou non, d’abondantes sur votre âme…
A sa Sœur,
31 janvier 1897.
« … Comme c’est bon, n’est-ce pas, de s’abandonner au Cœur de Jésus, de se laisser faire par Lui, de bien penser que tout ce qui arrive, excepté le péché, arrive par Sa volonté, que même le péché est « permis » par Lui, et que de tout, absolument de tout, même des fautes, on peut et on doit tirer le plus grand bien…! Comme c’est doux de nous sentir dans de telles mains, et appuyé sur un tel Cœur ! Avons-nous en Jésus un Père, un Frère, un Époux assez tendre, assez sage, assez puissant ! Que nous sommes heureux, nous, pauvres petites créatures ! Que le Bon Dieu est bon pour nous ! Misericordias Domini in aeternum cantabo : on voudrait ne dire que ces mots-là pendant toute la vie comme on ne dira qu’eux, comme on ne vivra que d’eux pendant l’éternité… Fondons-nous en reconnaissance, en joie, en bénédictions, en regardant les bontés de Dieu pour tous les hommes, Son amour inouï pour chacun de nous ; contemplons-Le et disons-nous que nous sommes un de ces petits êtres qu’Il a tant aimés, pour lesquels Il a vécu et Il est mort : Il a donné tout Son sang pour chacun de nous ! Quel amour ! Quel bonheur d’être ainsi aimé ! et d’être aimé par qui ? par l’Être infiniment parfait, par la Beauté infinie et souveraine… Qui sommes-nous, pour être tant chéris, et chéris par Dieu ?… Qu’il fait bon causer de cela, et vivre, pendant quelques minutes, ensemble, de la vie du Ciel, en attendant que, par la grande miséricorde de Dieu, nous la partagions ensemble pour l’éternité !…
A un Trappiste,
Lundi après l’Ascension 1898.
« Votre occupation maintenant, c’est de vivre seul avec Dieu seul, c’est d’être, jusqu’à votre sacerdoce, comme si vous étiez seul avec Dieu dans l’univers… Il faut passer par le désert et y séjourner pour recevoir la grâce de Dieu… C’est là qu’on chasse de soi tout ce qui n’est pas Dieu… Il faut à l’âme ce silence, ce recueillement, cet oubli de tout le créé au milieu desquels Dieu établit en elle Son Règne et forme en elle l’esprit intérieur, la vie intime avec Dieu… la conversation de l’âme avec Dieu dans la foi, l’espérance et la charité… Plus tard, l’âme produira des fruits exactement dans la mesure où l’homme intérieur se sera formé en elle… Si cette vie intérieure est nulle, il y aura beau avoir du zèle, de bonnes intentions, beaucoup de travail, les fruits sont nuls ; c’est une source qui voudrait donner la sainteté aux autres, mais qui ne peut, ne l’ayant pas : on ne donne que ce qu’on a. C’est dans la solitude, dans cette vie seule avec Dieu seul, dans ce recueillement profond de l’âme qui oublie tout le créé, que Dieu se donne tout entier à celui qui se donne ainsi tout entier à Lui…
A un Trappiste,
qui étudiait la théologie à Rome,
Nazareth, 21 juin 1898.
« J’espère que votre vie continue, de plus en plus perdue, ensevelie, noyée en Jésus, entre Marie et Joseph… Vous êtes maintenant dans la période de vie qui représente la petite enfance de Jésus… Il apprend à lire sur les genoux de Ses saints parents. Il ne s’occupe pas encore du salut des âmes, si ce n’est par les élans intérieurs de Son Cœur priant Dieu pour le salut de tous les hommes…, mais Il ne s’occupe d’aucune âme en particulier : Il est petit enfant. Il n’aide pas Joseph dans son travail, Il ne peut pas : Il est petit enfant. Il apprend à lire sur les genoux de Marie, s’assied à ses pieds et lui sourit, l’embrasse, se tient muet et tranquille en la regardant. Cette vie Lui suffit, à Lui, Fils de Dieu, pendant plusieurs années. Qu’elle vous suffise, mon bien cher Père, c’est la vôtre pendant plusieurs années : vous avez cinq ans, vous apprenez à lire, vous étudiez petitement, par obéissance, vous faites tout ce qu’on vous dit, comme Jésus âgé de cinq ans faisait tout ce que Lui disaient Ses parents…
Plus tard, Il vous mènera au désert, et de là à Gethsémani… et au Calvaire… Maintenant, vivez avec Jésus, Marie et Joseph comme si vous étiez seul au monde en leur compagnie, au petit foyer de Nazareth.
A sa Sœur,
Jérusalem, 19 novembre 1898.
Quand on est bien persuadé qu’une chose est la volonté du Bon Dieu, il est si doux de faire la volonté du Bien-Aimé que rien ne coûte… Il est ici comme à Nazareth, Il est partout, que m’importe d’être ici ou là ? Une chose seule m’importe, c’est d’être où Il me veut, de faire ce qui Lui plaît le plus… Oublions-nous, oublions-nous et vivons en Jésus, en L’aimant de tout notre cœur : car, tu le sais, quand on aime, on vit moins en soi que dans celui qu’on aime, et, plus on aime, plus on établit sa vie hors de soi, dans celui qu’on aime…
Si nous aimons Jésus, nous vivons bien plus en Lui qu’en nous, nous oublions ce qui nous touche, pour ne penser qu’à ce qui Le touche et, comme Il est dans une paix et une béatitude ineffable, assis à la droite de son Père, nous participons, dans la mesure même de notre amour, à la paix et à la béatitude de notre Divin Bien-Aimé…
Tu me dis de demander pour toi la paix… Ma chérie, en voici le secret : aime, aime, aime…
Oui, je demanderai la paix, ou plutôt je demanderai pour toi l’amour de Jésus qui seul peut donner la paix, et qui la donne nécessairement, la portant toujours avec lui… Demande-la aussi, demande d’aimer ; dis : « J’aime ; faites que je Vous aime davantage… » Et pense, dis, fais tout ce qui est selon l’amour, tout ce qui peut exciter en toi l’amour, tout ce qui peut porter les autres à aimer ce Divin Époux de nos âmes…
Si tu as des moments de tristesse, récite ton chapelet en méditant les mystères glorieux, et dis à Jésus : « Oui, moi je suis sur la terre pauvre, misérable et secouée par l’orage, et ballottée par la tempête ; mais, Vous, Jésus, mon amour, Vous êtes ressuscité et Vous ne connaîtrez plus jamais la souffrance, Vous voici bienheureux pour l’éternité… Vous, Jésus, mon Époux, Vous êtes assis au plus haut des cieux, dans une gloire et une félicité souveraines… Est-ce moi que j’aime ou est-ce Vous ? Oh ! ce n’est pas moi que je veux aimer, c’est Vous, mon Bien-Aimé ; Vous êtes heureux à jamais ; qu’importe ma peine ? Je ne veux avoir que des paroles de bénédiction ; mon Bien-Aimé, Vous êtes heureux, je suis heureuse aussi ; pourrai-je me plaindre quand mon Bien-Aimé est infiniment heureux pour l’éternité ? »…
A un Trappiste,
9 septembre 1898.
« Soyez bénie et baisée, et mille fois baisée, Volonté de mon Bien-Aimé manifestée par mon supérieur ! Vous daignez me faire connaître Votre Volonté par la voix de Votre représentant, établi par l’Église Votre épouse, à cet effet. Merci, merci, Jésus de mon cœur ! quelle grâce, quelle faveur faite à Votre petit enfant ! que je suis heureux, ô mon Bien-Aimé, de connaître Votre volonté, quelle qu’elle soit, et de pouvoir la faire ! Je suis heureux sans mesure ! Je défaille de bonheur… merci, merci, de tout de tout également, de tout quoi que ce soit ! Votre Volonté, c’est mon ciel ici-bas, ô Jésus…! Faites-moi la grâce seulement de la faire parfaitement, et pardonnez-moi si, dans le passé, j’ai si peu joui de l’excès de mon bonheur. »
A un Trappiste,
A propos de la mort d’un de ses Supérieurs,
Nazareth, 29 déc. 1898.
« Mon bien cher Père, j’ai reçu, ce matin, votre lettre du 10 décembre m’apprenant cette accablante nouvelle… Oui, vous êtes orphelin, et moi aussi, car pour l’un et l’autre il était un père… et pourtant, non, nous ne sommes pas orphelins, car là, contre nous, au Tabernacle, est Celui qui a dit pour toujours : « Je ne vous laisserai pas orphelins ! » Et notre bien-aimé Père Louis lui-même est-il mort ? A Dieu ne plaise ! Il vit, il vit plus que nous, il est notre père plus que jamais, il veille sur nous mieux que jamais… Je l’attendais chaque jour : il m’avait écrit qu’il ferait l’impossible pour venir me voir au cours de son voyage. Depuis le commencement du mois, il ne passait pas une voiture, on ne frappait pas à la porte, sans que je me dise : « Est-ce lui ? »… et voici que ce matin, m’arrivent trois lettres, m’annonçant cette douloureuse nouvelle… Vous sentez que l’on prie, à Nazareth… Tantôt je pense à sa bonté, à sa tendresse, à ses vertus, et je ne suis pas maître de mon émotion, ni de mes larmes ; tantôt je me dis qu’après cette belle, innocente, méritante vie, si noyée dans la charité, et avec le secours de tant de prières et de Saints Sacrifices, il jouit déjà du bonheur des cieux, et alors je me réjouis, je le prie, je lui parle, et je me sens non séparé de lui, mais au contraire réuni à lui par son passage à la vie des saints…
Bien-aimé Père, pour vous le coup est rude, mais vous le recevez comme il faut, en adorant et en bénissant : « tout est pour le bien de ceux qui aiment Dieu »… Nous retrouverons ce père chéri à tout instant dans le Cœur de Jésus, et bientôt, — car toute chair est comme l’herbe et ne dure qu’un matin, — dans la Patrie céleste… Je penserai à vous plus que jamais, mon si cher frère en Jésus ; plus vous serez seul et triste, plus vous me trouverez près de vous…
A sa Sœur,
Jérusalem, 17 décembre 1898.
Bon Noël, bonne année, ma chérie, à toi et à tous tes enfants. Je prierai de mon mieux l’Enfant Jésus pour vous tous en cette belle nuit de Noël… Te rappelles-tu les Noëls de l’enfance ?…
J’espère que tu fais à tes enfants une crèche et un arbre… Ce sont de doux souvenirs, qui font du bien toute la vie… Tout ce qui fait aimer Jésus, tout ce qui fait aimer le foyer paternel est si salutaire !… Ces joies de l’enfance, où s’unit la religion dans ce qu’elle a de plus doux à la vie de famille dans ce qu’elle a de plus attendrissant, font un bien qui dure jusqu’à la vieillesse…
Mais, il y aura des Noëls plus beaux encore, ce seront ceux du Ciel… Ma chérie, fais à tes enfants une belle crèche et un bel arbre et un beau Noël, et fais tout ton possible pour que leurs fêtes de Noël leur soient douces, douces, leur laissant ce souvenir ineffaçable d’une suavité infinie… Mais, surtout, prépare-leur un beau Noël au Ciel, en te sanctifiant le plus possible et en les élevant pour être des saints ; en les élevant non pour être du monde, cela ne vaut pas la peine ; le monde passe trop vite et il n’est d’ailleurs pas digne de nous, il ne mérite pas notre estime, ni même nos regards. Nous sommes faits pour mieux que cela ; notre cœur a soif de plus d’amour que le monde ne peut lui en donner ; notre esprit a soif de plus de vérité que le monde ne peut lui en montrer ; tout notre être a soif d’une vie plus longue que celle que la terre peut lui faire espérer ; n’élève pas tes enfants pour ce qui est si méprisable…
A un ami,
8 mai 1899.
« Je rentre dans ma vie « d’ouvrier, fils de Marie », me terrant, me faisant petit, priant plutôt que lisant, me remettant de toutes mes forces à cette chère dernière place, à cet état de Cendrillon, travaillant, servant, pauvre et obscur. »
A sa Sœur,
Nazareth, 8 mai 1899.
… Bona crux ! C’est par la Croix que nous nous unissons à Celui qui y fut cloué, à notre Époux céleste… Il faut recevoir comme une faveur tout instant de la vie, avec tout ce qu’il apporte, bonheur ou malheur, mais les croix avec plus de reconnaissance encore que le reste : les croix nous détachent de la terre, et, par là, nous attachent à Dieu !…
A sa Sœur,
Nazareth, 21 juillet 1899.
« … N’attachons pas d’importance aux événements de cette vie ni aux choses matérielles : ce sont les rêves de notre nuit d’auberge, cela passera aussi vite que des songes et sans laisser plus de trace… Qu’est-ce qui nous reste à l’heure de la mort, sinon nos mérites et nos péchés ? Voyons les choses comme elles sont, à cette grande lumière de la foi qui éclaire nos pensées d’un jour si lumineux, qui nous fait voir les choses d’un œil si différent de celui de ces pauvres âmes mondaines… Comme la foi, l’habitude de regarder les choses à la lumière de la foi, nous élève au-dessus du brouillard et de la boue de ce monde ! Comme cela nous met en une autre atmosphère, en plein soleil, en plein rayonnement, dans un calme serein, dans une paix lumineuse au-dessus de la région des nuages, des vents et des tempêtes, hors de la zone du crépuscule et de la nuit !…
Vivons de foi, croyons ce que nous espérons dans la grâce, en attendant que nous le possédions dans la gloire, et aimons Celui qui « sera notre récompense infiniment grande », en tous les instants de notre existence, dans le temps et dans l’éternité !…
A sa Sœur,
Nazareth, 1er septembre.
… Comme je suis content de savoir que tu es si près de l’église, du Saint-Sacrement !… Le Saint-Sacrement, la Messe, la Sainte Communion, quels bonheurs, quelles grâces…! Être aux pieds de notre Sauveur, Le recevoir !… Comme nous sommes heureux !… Et puis, Dieu est en nous, au fond de notre âme…, toujours, toujours, toujours là, nous écoutant et nous demandant de causer un peu avec Lui… Habitue tes enfants à causer avec le Divin Hôte de leur âme… rappelle-leur souvent que, pour nous, chrétiens, il n’y a pas de solitude : « la solitude a germé et a fleuri comme le lys » dit un psaume… C’est bien pour nous que c’est vrai : Dieu, le doux Jésus, est au-dedans de nous… Nous pouvons nous consoler en nous asseyant à Ses pieds et en Le regardant comme Madeleine à Béthanie…
Oh ! non, elle n’était pas seule, à la Sainte Baume, Ste Madeleine, elle n’était pas plus seule qu’à Béthanie : au lieu d’avoir Dieu visible devant elle sous une forme mortelle, elle L’avait invisible au fond de son âme, mais Il n’était pas moins présent ; elle était assise à Ses pieds, ici comme là… C’est, autant que le peut ma faiblesse, ma misère, mon indignité, ma tiédeur, ma lâcheté, ma vie à moi aussi, ma chérie ; tâche que ce soit de plus en plus la tienne ; cela ne t’écartera pas, ne te détournera pas de tes autres occupations, cela ne te prendra pas une minute ; seulement, au lieu d’être seule, vous serez deux à remplir tes devoirs. De temps en temps, baisse tes yeux vers la poitrine, recueille-toi un quart de minute et dis : « Vous êtes là, mon Dieu, je Vous aime. » Cela ne te prendra pas plus de temps que cela, et tout ce que tu feras sera bien mieux, ayant un aide et quel aide ! Petit à petit tu en prendras l’habitude, et tu finiras par sentir sans cesse en toi ce doux compagnon, ce Dieu de nos cœurs…
Alors, il n’y aura plus de solitude pour toi. Nous serons plus unis que jamais alors, car nous aurons identiquement la même vie…
Notre temps se passera de la même manière, avec le même très doux Compagnon… Prions l’un pour l’autre, afin que nous tenions bien tendrement compagnie à ce cher Hôte de nos âmes.
… Et que mon exemple te montre que nous ne pouvons jamais savoir si nous serons plus heureux dans un lieu ou dans un autre, dans un état ou dans un autre, pour une raison bien simple : c’est Dieu, Maître Tout-Puissant de nos âmes, qui nous donne la consolation et la joie, où, quand et comme Il le veut… En un instant, Il détruit les rêves de bonheur ; en un instant, Il « fait germer et fleurir comme un lys la solitude » et Il fait de « la nuit une illumination pleine de délices » comme dit aussi un Psaume…
A sa Sœur,
Nazareth, 13 octobre 1899.
« Merci de tes souhaits pour mon jour de naissance… Oui, j’ai pris joyeusement mes 41 ans, heureux de voir le corps se dissoudre et la fin du pèlerinage approcher.
Je me porte très bien, mais j’entends la voix du Prophète : « Toute chair est comme l’herbe et passe comme la fleur des champs ; le matin elle verdit et le soir elle est desséchée, parce que le souffle du Seigneur a passé sur elle… »
Je bénis Dieu de ce qu’Il te donne encore un enfant, encore une âme, un saint : quel bonheur et quel honneur !… Sous la protection de quel habitant des cieux mettrez-vous cet enfant béni ?
Oui, ma chérie, je prie, je prierai de plus en plus pour toi. Surtout, ne te tracasse pas !… Surtout, ne t’inquiète pas !… Oui, sois simple, oui, évite toute dépense inutile, oui, écarte-toi de plus en plus, dans ta manière d’être et de vivre, de tout ce qui sent le monde, la vanité, l’orgueil…, folies qui ne servent qu’à diminuer notre gloire future au ciel, qu’à prolonger notre purgatoire, qu’à faire peser sur nous la responsabilité d’un exemple malsain donné aux autres, qu’à nous rendre solidaires d’une manière de faire que la raison naturelle condamne, que réprouve encore bien plus la religion chrétienne, et qu’on ne suit, quand on a du sens, que pour faire comme les autres, quand il vaudrait bien mieux leur donner le bon exemple qu’imiter leur insanité… Oui, supprime tout l’inutile, tout ce qui sent le monde… Mais ne te tracasse pas, ne crains pas pour l’avenir…!
Ne supprime rien, rien, rien de ce qui peut contribuer à la bonne éducation morale et intellectuelle de tes enfants, ni rien non plus de ce qui peut être utile à ton progrès spirituel intérieur, à toi ; pas d’économies de bons livres ; si les âmes consacrées à Dieu, les moines qui pensent à la perfection du matin au soir, sentent, jusqu’à la fin de leur vie le besoin de lire et relire les ouvrages des maîtres de la vie spirituelle, les vies des saints leurs devanciers ; combien plus en a-t-on besoin quand on vit dans le monde, au milieu de tant d’occupations distrayantes ?… Pas d’économie dans les aumônes ; ne supprime rien de ce côté, augmente au contraire : « Donnez et on vous donnera…, la mesure que vous ferez aux autres, on vous la fera…, ce que vous donnez aux pauvres, c’est à Moi que vous le donnez »…
Le meilleur moyen de ne manquer de rien est de toujours partager très généreusement avec les pauvres, voyant en eux les représentants de Jésus, et Jésus Lui-même…
Et puis, confiance : « Celui qui donne la vie, donnera aussi la nourriture, Celui qui a donné le corps donnera à plus forte raison le vêtement. Cherchez le royaume de Dieu et sa justice (c’est-à-dire la perfection) et le reste vous sera donné par surcroît. » C’est dit pour tous les chrétiens et non pas pour les seuls moines…
Confiance, confiance… Oh ! garde-toi de toute inquiétude ; élève bien tes enfants pour le Bon Dieu…, et le Bon Dieu arrangera tout leur avenir cent mille fois mieux que tu ne saurais le faire, et que ne pourraient tous les hommes réunis.
A un Trappiste,
Nazareth, 28 janvier 1900.
« Mon bien cher Père, mon bon frère en Jésus, nous sommes encore dans le temps de Noël. De corps je suis à Nazareth, mais d’esprit, il y a plus d’un mois que je suis à Bethléem : c’est donc à côté de la crèche, entre Marie et Joseph, que je vous écris. Il fait bien bon ! Au dehors, c’est le froid et la neige, images du monde… mais, dans la petite grotte, éclairée par Jésus, qu’on est bien ! comme elle est douce, chaude, lumineuse !… Notre bon et cher Père Abbé veut savoir ce que le si doux Enfant Jésus m’y murmure, depuis un mois, quand je Le regarde, quand je veille à Ses pieds, la nuit, entre Ses saints parents, quand Il vient entre mes bras, sur mon cœur et dans mon cœur par la Sainte Communion… Il me répète : « Volonté de Dieu…, Volonté de Dieu… » « Voilà que je viens : il est écrit de moi en tête du livre de mes destinées que je ferai Votre Volonté… »
« La Volonté de Dieu, et la Volonté de Dieu par l’obéissance, voilà ce que me répète, me murmure doucement, la voix bien-aimée du divin Enfant Jésus.
A un Trappiste,
Nazareth, 8 mars 1900.
Qu’il fait bon vider sa mémoire de toutes les choses visibles, pour ne la remplir que de l’espérance des biens célestes !… Et dès ici-bas, que nous sommes heureux !… Sans doute, il y a des misères, nos péchés surtout, avec le long cortège de nos imperfections et de nos faiblesses, mais quand on pense que notre Bien-Aimé Jésus est toujours avec nous dans nos tabernacles, qu’Il vient si souvent sur nos lèvres, qu’Il est toujours dans nos âmes ; quand on voit la Sainte Hostie, que dire, sinon que la nuit de cette vie a perdu ses ténèbres : « nox illuminatio mea in deliciis meis » ? Cette pauvre terre si noire se transforme en une illumination délicieuse sous les rayons de la divine Hostie « lumière du monde… jusqu’à la consommation des siècles »… Non pour tous : beaucoup, hélas ! restent dans l’ombre de la mort ; mais pour nous, privilégiés, pour nous favoris, pour nous « qui avons été choisis et n’avons pas choisi les premiers… » Ah ! cher frère en Jésus, que nous sommes heureux !
… Parlez-moi de votre santé : je ne m’affligerai pas si elle est mauvaise : la vie ou la mort, la santé ou la maladie, c’est l’affaire du bon Dieu et non la nôtre : ce qu’Il nous donne en cela est toujours ce qui nous est bon. Il n’y a qu’à toujours, toujours s’en réjouir… »
A sa Sœur,
Nazareth, 12 février 1900.
Ma chère Mimi, je viens de recevoir la dépêche envoyée hier[7]… Tu as dû avoir de la peine de la mort de cet enfant, et j’en ai aussi à la pensée de la tienne…, mais je t’avoue que j’ai aussi une admiration profonde et que j’entre dans un ravissement plein de reconnaissance, quand je pense que toi, ma petite sœur, toi, pauvre voyageuse et pèlerine sur la terre, tu es déjà mère d’un saint… que ton enfant, celui à qui tu as donné la vie, est dans ce beau ciel auquel nous aspirons, après lequel nous soupirons… Le voici devenu, en un instant, l’aîné de ses frères et sœurs, l’aîné de ses parents, l’aîné de tous les hommes mortels : oh ! comme il est plus savant que les plus savants ! Tout ce que nous connaissons en énigme, il le voit clairement… tout ce que nous désirons il en jouit…, le but que nous poursuivons si péniblement, que nous nous estimerons trop heureux d’atteindre au prix d’une longue vie de combats et de souffrances, il y est arrivé dès le premier pas… Ces merveilles, « que l’œil de l’homme ne peut voir, ni ses oreilles entendre, ni son esprit comprendre », il les voit, les entend, en jouit…, il nage pour l’éternité dans un bonheur sans fin, et il s’enivre à la coupe des délices divines. Il contemple Dieu dans l’amour et la gloire, parmi les saints et les anges, dans ce chœur des vierges dont il fait partie, et qui suit l’Agneau partout où Il va…
[7] Charles de Foucauld avait appris la naissance, et la mort presque aussitôt après le baptême, d’un petit enfant de sa sœur, Régis.
Tous tes autres enfants marchent péniblement vers cette Patrie céleste, espérant l’atteindre, mais n’en ayant pas la certitude, et pouvant en être à jamais exclus ; ils n’y arriveront, sans doute, qu’au prix de bien des luttes et des douleurs en cette vie, et peut-être encore après un long purgatoire : lui, ce cher petit ange, protecteur de ta famille, il a, d’un coup d’aile, volé vers la Patrie, et, sans peine, sans incertitude, par la libéralité du Seigneur Jésus, il jouit pour l’éternité de la vue de Dieu, de Jésus, de la Sainte-Vierge, de saint Joseph et du bonheur infini des élus… Comme il doit t’aimer !… Tes autres enfants pourront compter, ainsi que toi, sur un protecteur bien tendre ! avoir un saint dans sa famille, quelle force ! être mère d’un habitant du Ciel, quel honneur et quel bonheur ! Je le répète, j’entre dans une admiration ravie en pensant à cela : on estimait la mère de saint François d’Assise bienheureuse parce que, de son vivant, elle assista à la canonisation de son fils ; mille fois plus heureuse es-tu ! tu sais, avec la même certitude qu’elle, que ton fils est un saint dans les cieux, et tu le sais dès le premier jour de ce fils chéri, sans le voir traverser, pour arriver à cette gloire, toute une vie de douleurs. Comme il t’est reconnaissant ! à tes autres enfants, tu as donné, avec la vie, l’espoir du bonheur céleste et, en même temps, une condition soumise à bien des souffrances ; à celui-ci tu as donné, dès le premier instant, la réalité du bonheur des cieux, sans incertitude, sans attente, sans nul mélange d’aucune peine… Comme il est heureux et comme Jésus est bon de récompenser cet innocent d’une couronne immortelle et d’une gloire ineffable, sans qu’il ait jamais combattu ! C’est le prix du saint baptême, c’est le prix du Sang de Jésus. Lui qui a souffert et combattu assez pour avoir le droit de sauver les siens sans nul mérite de leur part, Il a assez de mérites pour introduire tous ceux qu’Il veut, à l’heure qu’Il veut, dans le royaume de Son Père.
Ma chérie, ne sois donc pas triste, mais répète plutôt avec la très Sainte-Vierge : « Le Seigneur a fait en moi de grandes choses… les générations me proclameront bienheureuse… » oui, bienheureuse, parce que tu es la mère d’un saint, parce que celui que ton sein a porté est déjà, à cette heure, éclatant de la gloire éternelle ; parce que, comme la mère de Saint François d’Assise, tu as, encore vivante, le bonheur pénétrant et incomparable, bonheur vraiment ravissant et extasiant, de penser que ton fils est un saint, éternellement assis aux pieds de Jésus, éternellement appuyé sur Son Cœur, dans l’amour et la lumière des Anges et des Bienheureux.
A sa Sœur,
14 février 1901.
Que Régis ait toujours sa place dans les conversations de famille ; pensez tous à lui ; qu’il ne soit ni oublié de ses frères et sœurs, ni passé sous silence ; qu’on en parle souvent, comme d’un vivant ; il est plus vivant que nous tous qui sommes sur cette terre ; il est le seul parfaitement vivant de tes enfants, car, seul, il a la vie éternelle que nous tous, nous pouvons perdre, hélas ! comme tant d’autres la perdent, mais que ce cher Régis nous aidera à obtenir… Je le prie souvent et avec fruit… Je lui demande de m’apprendre à prier ; demande-le-lui aussi, et apprends à tes enfants à s’adresser à lui dans leurs besoins, il les aime tant, et il est puissant !
Non, ma chérie, je ne suis pas attristé des persécutions religieuses, mais je demande à Dieu, pour les autres et pour moi, le courage et les vertus, de manière à les supporter avec le profit que Jésus veut que nous en tirions, car Il ne les permet, Lui tout puissant et qui nous aime tant, que pour le bien des âmes… « Bienheureux ceux qui sont persécutés pour la justice ! » Comment nous attrister quand Jésus nous appelle « bienheureux » ? Ne sait-Il pas mieux que nous ce qui nous est bon ? Jésus qui nous aime permet cela, comme Il a permis Sa propre mort et les persécutions qui L’ont poursuivi de la crèche à la croix, comme Il a permis le martyre de Ses apôtres et d’une infinité de saints, comme Il permet toutes les épreuves des Justes, non pour la mort, mais pour que Dieu en soit glorifié et que les âmes s’épurent par la souffrance, aient l’occasion de pratiquer les grandes vertus, et entrent dans le royaume céleste par la voie royale de la Croix, qui, depuis Jésus, est la seule qui conduise au triomphe… Prions donc, demandons humblement la force, la vertu, l’amour, l’amour surtout qui contient tout et enseigne tout, et, loin de nous attrister, réjouissons-nous. Jésus nous l’ordonne : « Quand on vous calomniera et qu’on vous persécutera, quand on vous chassera à cause de Moi, alors, réjouissez-vous, votre récompense est grande dans les cieux »… Elle est grande même ici-bas, car cette seule conformité avec Jésus persécuté et souffrant est joie profonde, dont on jouit dans la mesure de l’amour qu’on a pour Jésus. L’amour a besoin d’imitation.
Charles de Foucauld a été ordonné prêtre par Mgr Bonnet, évêque de Viviers, le 9 juin 1901. Il a décidé de continuer à vivre en ermite, non plus en Asie, mais parmi les populations infidèles les plus délaissées. Il va partir pour l’Afrique au début de septembre 1901, et s’établira dans l’extrême Sud Oranais, à Béni-Abbès, seul prêtre, à 400 kilomètres du plus proche, dans la Fraternité où il vivra de pain et d’orge bouillie, où il dormira sur la terre, se dévouant à tous, priant jour et nuit… En 1904, il s’enfoncera plus encore dans le désert, et s’établira à Tamanrasset, parmi les Touaregs du Hoggar. Il y mourra, au milieu de la Grande Guerre, le 1er décembre 1916, assassiné par les senoussistes qui redoutaient son influence de prêtre et de Français.
Dans une lettre à M. l’abbé Caron, directeur au petit séminaire de Versailles, datée du 8 avril 1905, l’ermite de Béni-Abbès donnait les raisons du choix qu’il avait fait. Nous la reproduisons en tête des différents écrits spirituels qui se rapportent à la période de 1901 à 1916.
8 avril 1905[8].
[8] Voir Abbé Max Caron : Au pays de Jésus adolescent. Paris, Haton, 1905, ch. VII.
« Je suis un vieux pécheur qui, au lendemain de sa conversion, — il y a près de 20 ans, — a été attiré puissamment par Jésus à mener Sa vie de Nazareth. Depuis lors, je m’efforce de L’imiter — bien misérablement, hélas ! — J’ai passé plusieurs années dans ce cher et béni Nazareth, domestique et sacristain du couvent des Clarisses. Je n’ai quitté ce lieu béni que pour recevoir, il y a cinq ans, les saints Ordres. Prêtre libre du diocèse de Viviers, mes dernières retraites de diaconat et de sacerdoce m’ont montré que cette vie de Nazareth, ma vocation, il fallait la mener, non pas dans la Terre-Sainte tant aimée, mais parmi les âmes les plus malades, les brebis les plus délaissées. Ce banquet divin, dont je suis le ministre, il fallait le présenter, non aux frères, aux parents, aux voisins riches, mais aux plus boiteux, aux plus aveugles, aux âmes les plus abandonnées, manquant le plus de prêtres. Dans ma jeunesse, j’avais parcouru l’Algérie et le Maroc : au Maroc, grand comme la France, avec 10 millions d’habitants, aucun prêtre à l’intérieur[9] ; dans le Sahara algérien, sept ou huit fois grand comme la France, et plus peuplé qu’on ne croyait autrefois, une douzaine de missionnaires. Aucun peuple ne me semblant plus abandonné que ceux-ci, j’ai sollicité et obtenu du T. R. P. Préfet apostolique du Sahara, la permission de m’établir dans le Sahara algérien, et d’y mener, dans la solitude, la clôture et le silence, dans le travail des mains et la sainte pauvreté, seul ou avec quelques prêtres ou laïcs frères en Jésus, une vie aussi conforme qu’on pourrait à la vie cachée du Bien-Aimé Jésus à Nazareth… Je me suis établi, il y a 3 ans et demi, à Béni-Abbès, dans le Sahara algérien, sur la frontière même du Maroc, tâchant, bien misérablement, bien tièdement, d’y mener cette bénie vie de Nazareth. Jusqu’à présent, je suis seul… « le grain de blé qui ne meurt pas reste seul… » Priez Jésus pour que je meure à tout ce qui n’est pas Lui et Sa volonté. Un petit vallon est ma clôture, d’où je ne sors que quand un devoir très impérieux de charité me force — à défaut d’autre prêtre (le prêtre le plus proche est à 400 kilomètres au Nord), — à porter Jésus en quelque lieu. J’ai ainsi été obligé, en 1904, de voyager longtemps… Me voici maintenant rentré dans ma clôture, au pied du divin Tabernacle, pour y mener, sous les yeux du Bien-Aimé, une vie aussi semblable à celle de la divine maison de Nazareth, que la misère de mon cœur me le permet.
[9] Aujourd’hui, les Franciscains français et des religieuses du même ordre ont commencé d’établir des postes de missionnaires et des œuvres de charité au Maroc.
ÉLECTION DE RETRAITE D’ORDINATION SACERDOTALE
Fête du S. Sacrement 1901. — Notre-Dame des Neiges.
« Quis ? (qui ?) Celui qui doit suivre, imiter Jésus, le Sauveur, le Bon Pasteur venu « porter le feu sur la terre », et « sauver ce qui était perdu ».
Ubi ? (où ?) Là où c’est le plus parfait. Non pas où il y aurait le plus de chances humaines d’avoir des novices, des autorisations canoniques, de l’argent, des terrains, des appuis, non ; mais là où c’est le plus parfait en soi, le plus parfait d’après les paroles de Jésus, le plus conforme à la perfection évangélique, le plus conforme à l’inspiration de l’Esprit Saint, là où Jésus irait… : à la brebis la plus égarée, au frère de Jésus le plus malade ; aux plus délaissés, à ceux qui ont le moins de pasteurs, à ceux qui sont assis dans les plus épaisses ténèbres, dans l’ombre de la mort la plus profonde ; aux plus captifs du démon, aux plus aveugles, aux plus perdus. D’abord aux infidèles mahométans et païens du Maroc et des pays limitrophes de l’Afrique du Nord.
Quibus auxiliis ? (avec quel aide ?) Jésus seul : car « cherchez le royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera donné par surcroît » ; et « si vous demeurez en Moi, et si mes paroles demeurent en vous, tout ce que vous demanderez se fera ». — Jésus n’a donné aucun aide à Ses apôtres : si je fais leurs œuvres, j’aurai leurs grâces.
Cur ? (Pourquoi ?) C’est ainsi que je puis le plus glorifier Jésus, le plus L’aimer, Lui obéir, L’imiter… C’est à cela que me poussent l’Évangile, l’attrait, mon directeur… Pour faire connaître Jésus, le Sacré-Cœur, la Sainte Vierge, à des frères de Jésus qui ne Le connaissent pas, nourrir de la Sainte Eucharistie des frères de Jésus qui ne l’ont jamais goûtée ; baptiser des frères de Jésus encore esclaves du démon ; apprendre l’Évangile, l’histoire de Jésus, les vertus évangéliques, la douceur du sein maternel de l’Église, à des frères de Jésus qui n’en ont jamais entendu parler.
Quando ? (Quand ?) Maria abiit in montana cum festinatione[10] : quand on est plein de Jésus, on est plein de charité ; donc : dès que je serai raisonnablement prêt, et que, l’Esprit de Dieu soufflant, mon directeur me dira : « Partez »…
[10] Marie… s’en alla en toute hâte au pays des montagnes (Saint Luc).
… Ne vaut-il pas mieux aller d’abord en Terre Sainte ? Non. Une seule âme a plus de prix que la Terre Sainte entière, et que toutes les créatures sans raison réunies. Il faut aller, non là où la terre est la plus sainte, mais où les âmes sont dans un plus grand besoin…
Toute cette élection n’est-elle pas un effet et une tentation de l’amour-propre et de l’orgueil ? Non : car son effet en cette vie sera, non la consolation ni l’honneur, mais beaucoup de croix et d’humiliations : « Ou tu en seras méprisé, ou j’en serai glorifié, des deux manières, tu y gagnes. » (Notre-Seigneur à sainte Thérèse.)
Quelle est la preuve que cette élection exprime la volonté de Dieu ? Ces deux paroles de Jésus : « Suivez-moi… » et : « Lorsque vous donnerez à dîner… n’invitez ni vos amis, ni vos frères, ni vos parents, ni vos voisins qui sont riches… Mais lorsque vous faites un festin, appelez les pauvres, les estropiés, les boiteux et les aveugles. » (St Luc, XIV, 12-13.)
I. — Préliminaires. — Imiter Jésus en faisant, du salut des hommes, tellement l’œuvre de notre vie, que ce mot : Jésus, Sauveur, exprime parfaitement ce que nous sommes, comme il signifie parfaitement ce qu’Il est… Pour cela : « être tout à tous avec un unique désir au cœur, celui de donner aux âmes Jésus !… »
« Tout ce que vous faites à un de ces petits, vous me le faites… Que vos bonnes œuvres luisent devant les hommes, afin qu’ils glorifient Dieu votre Père. »
Désir passionné de sauver les âmes : faire tout et ordonner tout pour cela : faire passer le bien des âmes avant tout, faire tous nos efforts pour nous servir parfaitement des sept grands moyens que Jésus nous donne pour convertir et sauver les infidèles : oblations du Saint-Sacrifice, présence au Tabernacle du Saint Sacrement, bonté, prière, pénitence, bon exemple, sanctification personnelle — « Tel pasteur, tel peuple » — « Le bien que fait une âme est en raison directe de son esprit intérieur. » La sanctification des peuples de cette région est donc entre mes mains : il sera sauvé si je deviens un saint.
« Si quelqu’un veut venir avec Moi, qu’il se renonce, prenne sa croix et me suive… » Entrons par la voie étroite : cherchons la croix pour suivre notre Époux crucifié, pour partager Sa croix et Ses épines : croix, sacrifices, cherchons-les, soyons-en friands comme les mondains le sont des plaisirs. « Si nous n’acceptons pas notre croix, nous ne sommes pas dignes de Jésus. »
« Cherchez le royaume de Dieu et sa justice et le reste vous sera donné par surcroît. » — « Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous devez manger, ni pour votre corps de quoi vous vous vêtirez. » — Nous réjouir grandement chaque fois que nous manquons de quelque chose…
Partager d’ordinaire mon temps d’oraison en deux parties : pendant l’une (au moins égale à l’autre), contempler, et, au besoin, méditer ; pendant l’autre, prier pour les hommes, pour tous, sans exception, et pour ceux dont je suis spécialement chargé. Dire le saint Office avec un soin extrême ; c’est le bouquet quotidien de roses fraîches, symbole d’amour toujours jeune, offert chaque jour au Bien-Aimé, à l’Époux…
Faire très, très souvent la communion spirituelle, sans autre limite ni mesure que celle de mon amour appelant cent et mille fois par jour le Bien-Aimé Sauveur de mon âme…
« Qui vous écoute, m’écoute » — « Celui qui se fera petit comme cet enfant sera le plus grand dans le royaume des cieux »… Dans le doute, pencher toujours du côté de l’obéissance… Faire, autant que possible, des actes d’obéissance, non seulement pour être certain de faire la volonté de Dieu, mais encore pour imiter Jésus soumis à Nazareth, pour obéir à Jésus nous commandant de nous faire petit enfant, pour aimer le plus possible Jésus au ciel, éternellement, en y ayant la meilleure place réservée à ceux qui se sont faits les plus petits de tous, par l’obéissance aux autres hommes, et l’humilité que cette obéissance exige…
Je suis dans la maison de Nazareth, entre Marie et Joseph, serré comme un petit frère contre mon Frère aîné Jésus, nuit et jour présent dans la Sainte Hostie. — Agir envers le prochain comme il convient en ce lieu, en cette compagnie, comme je vois agir Jésus qui me donne l’exemple… Dans la « Fraternité »[11], être toujours humble, doux et serviable comme l’étaient Jésus, Marie et Joseph dans la Sainte Maison de Nazareth. — Douceur, humilité, abjection, charité : servir les autres.
[11] Il appelait ainsi son ermitage de Béni-Abbès, où il accueillait les visites des nomades, et des gens du village. Il aimait à se dire le frère universel.
Laver le linge des pauvres (en particulier le Jeudi Saint) et nettoyer leur chambre régulièrement, autant que possible moi. Faire, autant que possible moi et non un autre, tous les plus bas emplois de la maison ; maintenir en état de propreté les locaux occupés par les indigènes ; prendre sur moi tout ce qui est service, et ressembler à Jésus, qui était parmi les apôtres comme « celui qui sert »… Et, soyons très doux avec les pauvres et avec tous les hommes, c’est aussi une humilité. Faire la cuisine des pauvres, quand j’en aurai le pouvoir ; leur porter à boire, à manger, ne pas laisser ce service à d’autres…
En tout malade, voir non un homme, mais Jésus, d’où respect, amour, compassion, joie et reconnaissance d’avoir à Le soigner, zèle, douceur… Servir les malades comme les pauvres, en m’efforçant de rendre aux uns et aux autres les services les plus abjects, comme Jésus lavant les pieds des apôtres…
Supporter la présence des mauvais, pourvu que leur méchanceté ne corrompe pas les autres : comme Jésus supporta Judas. — Ne pas résister au mal… Accéder aux demandes même injustes, par obéissance à Dieu et pour faire, par cette condescendance, du bien aux âmes, et faire aux autres ce que Dieu fait… Continuer à faire du bien aux ingrats pour imiter Dieu qui pleut sur les bons et les méchants. — « Si vous n’êtes bon que pour les bons, où est votre mérite ? » « Soyez bons pour les mauvais, pour les ingrats, pour les ennemis, comme Dieu même. » — Tout homme vivant, si mauvais qu’il soit, est enfant de Dieu, image de Dieu, membre de Jésus : respect, amour, attentions, tendresses pour le soulagement matériel, zèle extrême pour la perfection spirituelle de chacun d’eux !
Ne pas chercher à avoir beaucoup pour faire de grandes aumônes, ce qui serait très contraire à l’exemple du Seigneur ; mais, comme Lui, vivre du travail de mes mains et donner ce peu, comme Lui, à qui demande… ou a besoin.
« Je suis venu appeler non les justes, mais les pécheurs »… — N’avoir qu’un désir au cœur, donner à tous Jésus… M’occuper spécialement des brebis perdues, des pécheurs, des mauvais, ne pas laisser les quatre-vingt-dix-neuf brebis égarées pour me tenir tranquillement au bercail avec la brebis fidèle… Vaincre cette sévérité naturelle que j’éprouve contre les pécheurs et aussi ce dégoût, et les remplacer par la compassion, l’intérêt, le zèle et les soins empressés donnés à leurs âmes…
Désirer, aimer, être joyeux de souffrir du froid, du chaud, de tout : pour avoir un plus grand sacrifice à offrir à Dieu, être plus uni à Jésus, être plus capable de Le glorifier en payant un surcroît de tribut de souffrances, recevoir sur la terre et au ciel plus de connaissance et d’amour de Jésus… Plus tout nous manque, plus nous sommes semblables à Jésus crucifié… plus nous sommes attachés à la croix, plus nous étreignons Jésus qui y est cloué… Toute croix est un gain, car toute croix nous unit à Jésus…
Ne rien avoir de plus ni de mieux que ce que pouvait avoir Jésus de Nazareth. Se réjouir et désirer d’avoir moins plutôt que plus.
… A toute minute, vivre aujourd’hui comme devant mourir ce soir martyr.
« Une seule chose est nécessaire », faire à tout instant ce qui plaît le plus à Jésus. Se préparer sans cesse au martyre et le recevoir sans ombre de défense, comme l’Agneau divin, en Jésus, par Jésus, comme Jésus et pour Jésus…
… Nous réjouir, non d’avoir mais de manquer, de l’insuccès et de la pénurie, car alors j’ai la Croix et la Pauvreté de Jésus, les plus grands biens que puisse donner la terre…
Abjection : service des autres… Me fixer un certain nombre de travaux journaliers bien abjects et les faire, comme Jésus à Nazareth « venu pour servir »… Supprimer l’ordonnance[12] : « Servir, non être servi. »
[12] Un des soldats de la garnison de Béni-Abbès était venu bénévolement à l’ermitage pour faire quelques travaux manuels.
1o. — Observation : « Il descendit avec eux et vint à Nazareth » ; 2o. Examen : Mes paroles, mes lettres sont-elles celles de Jésus à Nazareth ? Y en a-t-il trop ou pas assez ? Sont-elles ce qu’il faut ? — Résolutions : Diminuer (en général) la longueur des lettres, mais non leur nombre ; parler (en général) peu longtemps à chacun, et peser mes termes pour dire tout ce qu’il y a à dire en mots précis et brefs ; prier (faire une communion spirituelle) avant d’aborder quelqu’un par lettres ou paroles… Parler plus que je ne fais de Dieu, de Jésus… Augmenter ma conversation avec les petits, la raccourcir avec les grands… Dans l’embarras, prier… Dans le doute, me taire…
Cœur Sacré de Jésus, je Vous remets ces résolutions et je Vous supplie que cette retraite, et tous les moments de ma vie, soient pour Votre plus grande gloire.
Mère du Perpétuel Secours, je me remets à jamais entre vos mains pour que, dans la vie et dans la mort, vous fassiez toujours ce que vous voulez de moi, me portant, dans cette vie et dans l’autre, entre vos bras, comme vous portâtes Jésus enfant, ô ma Mère bien-aimée !
Détachement, dépouillement de Jésus : « Si on veut prendre votre manteau, donnez encore votre tunique. » Si j’aime Jésus, je ne suis attaché qu’à Lui seul, à Ses paroles, Ses exemples, Sa volonté. Le posséder, Lui obéir, L’imiter, ne faire qu’un avec Lui, me perdre en Lui, par la perte de ma volonté en la Sienne… tout cela crie : détachement total de tout ce qui n’est pas Lui !… Ne désirer la possession que de Lui seul crie : détachement ! Ses paroles crient : détachement ! Ses exemples crient : détachement ! Sa volonté crie : détachement !…
Voir sans cesse Jésus en moi, faisant en moi Sa demeure avec Son Père…
Travailler de toutes mes forces à me sanctifier : Mortification, mortification ! pénitence, mort ! C’est quand on souffre le plus qu’on se sanctifie le plus et qu’on sanctifie le plus : « Si le grain de blé ne meurt pas, il ne rapporte rien… Quand je serai élevé de terre, j’attirerai tout à moi !… » C’est, non par Ses divines paroles, non par Ses miracles, non par Ses bienfaits que Jésus sauve le monde, c’est par Sa croix : l’heure la plus fructueuse de Sa vie est celle des plus grands abaissements, anéantissements, celle où Il est le plus abîmé dans la souffrance et l’humiliation…
L’obéissance est la mesure de l’amour : soyez d’une obéissance parfaite pour avoir un amour parfait…
Pour travailler le plus que je peux à la glorification de Dieu, pour qu’en des contrées infidèles reculées, où nul ne connaît Jésus, où les plus grandes fêtes : Noël, Pâques, toute l’année, s’écoulent sans une messe, sans une prière, sans qu’une bouche prononce le nom de Jésus ; pour qu’en ces contrées il y ait des Tabernacles, des prêtres ; pour que de nombreuses messes y soient dites, les sacrements reçus ; pour que de ferventes prières y montent vers le Ciel, que la vie chrétienne y répande ses grâces ; que sur de nombreux autels, la Sainte Hostie perpétuellement exposée soit, nuit et jour, adorée par de fervents religieux et religieuses, moyen : me sanctifier le plus possible…
L’heure la mieux employée de notre vie est celle où nous aimons le plus Jésus…
Une âme fait du bien, non dans la mesure de sa science ou de son intelligence, mais dans celle de sa sainteté…
Envelopper tous les hommes, en vue de Dieu, dans un même amour et un même oubli. Ne pas plus se soucier de la santé et de la vie que l’arbre d’une feuille qui tombe.
Nous souvenir du seul Jésus, penser au seul Jésus, estimant un gain toute perte au prix de laquelle nous faisons en nous la place plus grande à la pensée et à la connaissance de Jésus, à côté de qui tout le reste est néant.
« Réserver toutes mes forces pour Dieu. »
Veille. — « Je t’invite à rester la nuit à t’entretenir en tête-à-tête avec Moi… Refuses-tu ?
« En veillant, contemple-Moi, dis-Moi que tu m’aimes, adore-Moi ; prie pour tous les hommes ; demande-Moi pardon pour ceux qui pèchent en ce moment et veillent pour m’offenser. »
— En négligeant de veiller, en étant paresseux à me lever. — 1o Je refuse d’aller aux pieds de Notre-Seigneur, Lui tenir compagnie en tête-à-tête, quand Il m’appelle pour cela ; 2o J’aime mieux dormir que d’être en tête-à-tête avec Notre-Seigneur, conversant avec Lui dans l’intimité et l’union d’époux ; 3o Je refuse de passer aux pieds de Notre-Seigneur une heure qui ne reviendra plus jamais ; 4o Je me prépare bien mal au martyre : « Ils ne répondent rien : ils ne savent que dire à leur Ami Jésus,
Mortification. — Par la lâcheté à me mortifier, je refuse de porter la croix. Je refuse d’être victime avec Notre-Seigneur. Je refuse de Le suivre, après qu’Il m’a dit « Veni ». Je refuse de L’aider à porter Sa croix avec Simon de Cyrène. Pendant qu’Il tombe sous la croix, pour moi et à cause de moi, je refuse de la toucher du bout du doigt. Je Le vois souffrir, et je Le laisse souffrir seul, je ne veux pas souffrir avec Lui, je laisse la place à d’autres, moi je Le quitte. Je résiste à Son invitation intérieure, par laquelle Il m’invite à Lui donner une marque d’amour. Je refuse d’obéir à Son ordre, moi qui Lui ai tant dit que Lui obéir était tout mon bonheur. Je ne L’aime pas assez pour me gêner pour Lui. Je sais que toute souffrance, toute peine que je Lui offre est une marque d’amour qui Lui est donnée : j’aime mieux avoir mes aises que de la Lui donner. Il souffre, pour moi et à cause de moi, le froid, la faim, la soif, la chaleur, la fatigue, les difficultés, l’agonie et la passion… et je cherche à Le laisser souffrir seul et à éviter pour moi toute soif, toute faim, toute fatigue, toute difficulté, tout ennui, toute peine du corps et de l’âme. Il me tend la main pour faire route dans la vie la main dans Sa main ; je quitte Sa main et je Le laisse partir seul, et je cherche seul, de mon côté, un chemin moins ardu. Il me demande de Lui offrir une oblation, un sacrifice, et je refuse…
Vie perdue en Dieu. — Le plus parfait. — Continuer en moi la vie de Jésus : penser Ses pensées, dire Ses paroles, faire Ses actions… Que ce soit Lui qui vive en moi. Être l’image de Notre-Seigneur dans sa vie cachée : crier, par ma vie, l’Évangile sur les toits. Veni : Il faut que le courage soit à la hauteur de la volonté. » « Cherche-toi en moi. Cherche-moi en toi. » « Il est l’heure d’aimer Dieu. » Chercher Dieu seul. Bonté, délicatesse, suavité… Courage… Humilité…
A un Trappiste,
N.-D. des Neiges, 17 juillet 1901.
« J’ai fidèlement pensé à vous pendant ce long silence… Silence, vous le savez, est tout le contraire d’oubli et de froideur : in meditatione exardescet ignis… C’est dans le silence qu’on aime le plus ardemment ; le bruit et les paroles éteignent souvent le feu intérieur : restons silencieux, mon si cher Père, comme sainte Magdeleine, comme saint Jean-Baptiste, supplions Jésus d’allumer en nous ce grand feu qui rendait leur solitude et leur silence si bienheureux. Comme ils ont su aimer…! Mon premier pas, en débarquant de Terre Sainte, a été pour monter à la Sainte-Baume… Puisse cette chère et bénie sainte Magdeleine nous apprendre l’Amour, nous apprendre à nous perdre totalement en Jésus notre Tout, et à être perdus pour tout ce qui n’est pas Lui.
… Si je comptais sur moi, mes désirs seraient insensés, mais je compte sur Dieu qui nous a dit : « Si quelqu’un veut me servir, qu’il me suive », qui nous a si souvent répété cette parole : « Suivez-moi ! », qui nous a dit : « aimez votre prochain comme vous-même…, faites à autrui ce que vous voudriez qu’on vous fasse »… Il ne m’est pas possible de pratiquer le précepte de la charité fraternelle, sans consacrer ma vie à faire tout le bien possible à ces frères de Jésus à qui tout manque, puisque Jésus leur manque… Si j’étais à la place de ces malheureux musulmans, qui ne connaissent ni Jésus ni son Sacré Cœur, ni Marie notre Mère, ni la Sainte Eucharistie…, ni rien de ce qui fait tout notre bonheur ici-bas et toute notre espérance là-haut ; et si je connaissais mon triste état, oh ! comme je voudrais qu’on fît son possible pour m’en tirer ! Ce que je voudrais pour moi, je dois le faire pour les autres : « fais ce que tu voudrais qu’on te fasse »… et je dois le faire pour les plus délaissés, pour les plus abandonnés, aller aux brebis les plus perdues, offrir mon festin, mon banquet divin, non à mes frères, ni à mes voisins riches (riches de la connaissance de tout ce que ces malheureux ne connaissent pas), mais à ces aveugles, à ces mendiants, à ces estropiés, mille fois plus à plaindre que ceux qui ne souffrent que dans leur corps… Et je ne crois pas pouvoir leur faire de plus grand bien que celui de leur apporter, comme Marie dans la maison de Jean lors de la Visitation, Jésus, le bien des biens, le sanctificateur suprême, Jésus, qui sera toujours présent parmi eux dans le Tabernacle… Jésus s’offrant chaque jour sur le saint autel pour leur conversion, Jésus les bénissant chaque soir au salut : c’est là le bien des biens, notre Tout, Jésus. Et en même temps, tout en se taisant, on ferait connaître à ces frères ignorants, non par la parole mais par l’exemple, et surtout par l’universelle charité, ce qu’est notre sainte religion, ce qu’est l’esprit chrétien, ce qu’est le Cœur de Jésus.
Aimons Jésus, perdons-nous devant le T.-S. Sacrement : là est le Tout, l’infini, Dieu… Comprenons l’abîme qu’il y a entre le Créateur et la créature : c’est le Tout à côté du rien. Pendant que Jésus veut nous enivrer de délices, par Sa présence, Sa pensée, Sa contemplation continuelle, ne nous jetons pas dans les ordures des choses passagères : ne méritons pas le reproche de Jérémie : vescebantur voluptuose et amplexati sunt stercora… Laissons-nous nourrir de voluptés par la main de Jésus dans la contemplation et l’amour, et ne nous mettons pas à manger des stercora… Oh ! puissions-nous nous perdre et nous abîmer, jusqu’à la mort, dans l’océan de l’Amour de notre Bien-Aimé Jésus ! Amen.
A sa Sœur,
Samedi 14 juin 1902.
Quand viendra pour nous l’heure de paraître devant Jésus et d’entrer dans ce ciel où Son Cœur nous veut ? Quel moment béni ! Sicut desiderat cervus ad fontes aquarum : ita desiderat anima mea ad Te, Deus ! Aussi longtemps que Sa Volonté nous voudra dans cet exil, qu’elle se fasse et soit bénie ! mais quelle félicité quand nous nous endormirons sur le Cœur de notre divin Époux !… Qu’il sera doux de nous retrouver là-haut, dans ce règne de la lumière et de l’amour ! Nos cœurs s’y aimeront encore bien plus qu’ici-bas, enflammés qu’ils seront des feux de l’éternelle charité.
4 juillet 1902.
Il est si certain que cette chère âme[13] est heureuse, qu’elle est à présent au séjour de la lumière et de l’amour éternel, que nous n’avons pas à nous attrister, mais plutôt à nous réjouir ensemble, en nous disant que celle que nous aimons est heureuse ; elle est arrivée où nous voudrions être ; elle est parvenue au bienheureux port vers lequel nous allons avec la crainte de ne pas y entrer, au milieu des tempêtes et des écueils, des craintes et des douleurs… La voici dans ce pays, du « beau fixe », au-dessus de la région des nuages, perdue dans l’infinie lumière et l’infini amour. Il est doux de le penser, doux de penser qu’elle est si heureuse, doux aussi de penser que la plupart de ceux que nous avons connus et aimés sont noyés, comme elle, dans cette mer sans bords d’amour et de bonheur ; doux de penser que vous serez là aussi, dans un avenir peut-être prochain ; doux de penser que, malgré mon indignité, je suis appelé là, moi aussi…
[13] Charles de Foucauld fait ici allusion à la mort d’une de ses parentes.
A un ami,
5 janvier 1908.
Que vous avez souffert ! Que de deuils et que de douleurs ! Comme je dirais : hélas ! hélas ! et comme je pleurerais sur vos douleurs, si je ne pensais que ces douleurs sont votre éternel bonheur, votre ciel, votre félicité sans fin de lumière et d’amour, et que votre Époux bien-aimé, Jésus, vous les donne pour cela ! Tout en les partageant et tout en compatissant du plus profond de mon cœur, je ne puis dire, hélas ! quand c’est la main, le Cœur de Jésus qui donne, et qui ne donne ces herbes amères que pour mieux vous combler de bonheur durant l’éternité. Que la volonté de Jésus se fasse en vous !…
A une Religieuse Clarisse,
Dans nos prières, demandons-Lui de L’aimer et demandons-Lui que tout le monde L’aime ; ou bien — et c’est, je crois, le meilleur système — disons-Lui chaque matin que tout ce que nous Lui demandons pour nous, nous le demandons toujours pour tous les hommes sans exception. Et puis ceci dit, ne nous occupons plus des autres ; nous avons fait d’un seul coup tout ce que nous pouvions pour eux : après cela, ne pensons plus aux créatures et ne parlons plus à l’Époux que de Lui et de nous, comme si Lui et nous étions seuls au monde… Entrons dans le tête-à-tête avec Lui et ne Lui parlons que de notre amour… Perdons de vue tout le créé, après avoir fait dès le matin tout ce que nous pouvons pour lui… Plus nous oublierons les hommes, plus nous leur ferons de bien ; plus nous demanderons à l’Époux, dans le tête-à-tête, dans l’oubli de tout ce qui n’est pas Lui, de L’aimer de tout notre cœur, plus nous ferons de bien à l’humanité entière, qui a part à toutes nos demandes…
A sa Sœur,
Béni-Abbès, 15 avril 1903.
« Alleluia…! Ainsi est la vie : toute joie, même bonne et pieuse, passe ici-bas, excepté celle qui a sa source en Dieu seul et Son infini bonheur ; et celle-ci même, par permission divine, peut parfois se voiler, même dans l’âme la plus fidèle ; c’est au ciel seulement que la joie sera sans déclin, l’alleluia immuable et perpétuel… Ma chérie, dès ce monde, entrons le plus possible dans l’immutabilité de la vie des cieux : l’âme pieuse le peut et le doit ; ce dont nous aurons là-haut l’évidence, la claire vue, la foi nous l’enseigne, et, dans la mesure de notre foi et de notre amour, nous devons déjà nous réjouir de cette immense gloire de Jésus qui fait le bonheur des saints…
« Pensons souvent que notre Bien-Aimé est bienheureux et remercions-en Dieu de toute notre âme.
« Si nous souffrons, notre Bien-Aimé Jésus est bienheureux ; cela suffit, car c’est Lui et non nous que nous aimons.
« Si nous sommes misérables, notre Bien-Aimé est infiniment parfait, saint et glorieux : cela suffit car c’est Lui, non nous que nous aimons.
« Si ceux que nous aimons ici-bas — et nous devons aimer tous les humains nos frères, — souffrent ou pèchent, cela n’empêche pas notre Bien-Aimé d’être bienheureux et glorieux au plus haut des cieux ; cela suffit, car c’est Lui que nous aimons « de tout notre cœur, de toute notre âme, de tout notre esprit, de toutes nos forces, et par-dessus toute chose… »
« Rendons-Lui grâce sans cesse de Sa grande gloire, comme l’Église le fait à la messe, au Gloria in excelsis… Unissons-nous dès cette vie au chœur des saints et des anges du ciel, et avec eux disons : « Saint, saint, saint ! Alleluia ! »
A sa Sœur,
1er avril 1903.
« Peines et joies, consolations et épreuves, tout te vient de ce Cœur béni, tout t’est donné par Lui pour ton très grand bien, pour ta sanctification, pour augmenter en ce monde et en l’autre ta conformité à Lui, ton union à Lui… « Tout est pour le bien de ceux qui aiment Dieu »… Perds-toi bien dans le Cœur de Jésus : Il est notre refuge, notre asile, la maison du passereau, le nid de la tourterelle, la barque de Pierre pour traverser la mer orageuse ; Il est notre tout ici-bas et sera notre tout éternel… Il est heureux, maintenant, Il ne connaît plus la souffrance. Quand tu souffres, pense à Son bonheur, dis-toi que c’est Son bonheur que tu veux et non le tien, Lui que tu aimes et non toi ; et au sein de tes afflictions, de tes tristesses, de tes inquiétudes, de tes troubles, de tes épreuves, réjouis-toi de Son bonheur infini et immuable et de Son immense paix… Que la pensée du bonheur et de la paix dont Il jouit dans la « bienheureuse et toujours tranquille Trinité », te remplisse dès ce monde de bonheur et de paix, en attendant que leur vue soit ton bonheur et ta paix éternelles… Alleluia ! Alleluia ! Notre Bien-Aimé est bienheureux, que nous manque-t-il ? Alleluia ! Alleluia !
A sa Sœur,
6 octobre 1903.
« Ma chérie, je ne me sens pas la force de te parler ni de mon ermitage, ni du jardin, ni du temps : tout cela passe…, nos installations croulent avant d’être achevées… C’est un mot si étrange, si ridicule « s’installer », pour les hommes qui n’ont qu’un jour à passer sur la terre… Tout nous tire vers les choses éternelles, et c’est d’elles qu’il est doux de parler, c’est là parler de la patrie, du revoir…, c’est vraiment le tout, le reste est si rien !… »
A sa Sœur,
Béni-Abbès, Lundi Saint 1903.
« Plus l’âme s’oublie elle-même et entre dans ce ravissement du bonheur de Jésus, plus elle entre dans cette paix dont il est dit : « Bienheureux les pacifiques… »
Au R. P. Guérin,
Préfet apostolique du Sahara,
Mercredi Saint 1903.
« Que Jésus convertisse tant d’âmes ! Qu’un jour vienne où tant de sépulcres s’ouvrent, où l’alleluia résonne dans tous les lieux infidèles que vous parcourez ! »
Au même,
27 février 1903.
« Je suis misérable sans fin, pourtant j’ai beau chercher en moi, je ne trouve pas d’autre désir que celui-ci : adveniat regnum tuum ! Sanctificetur nomen tuum ! Vous demandez si je suis prêt à aller ailleurs qu’à Béni-Abbès pour l’extension du Saint Évangile : je suis prêt, pour cela, à aller jusqu’au bout du monde, et à vivre jusqu’au jugement dernier…
Ne croyez pas que, dans mon genre de vie, l’espoir de jouir plus tôt de la vision du Bien-Aimé soit pour quelque chose : non, je ne veux qu’une chose, c’est faire ce qui Lui plaît le plus. Si j’aime le jeûne et la veille, c’est que Jésus les a tant aimés ; j’envie Ses nuits de prière au sommet des montagnes, je voudrais Lui tenir compagnie ; la nuit est l’heure du tête-à-tête, l’heure de la causerie amoureuse, l’heure de la veille sur le Cœur de l’Époux… Hélas ! je suis si froid que je n’ose pas dire que j’aime ; mais je voudrais aimer… je voudrais ces longs tête-à-tête nocturnes… voilà pourquoi j’aime la veille…
« Je vous répète que bien que j’aie conscience que je ne me tue pas, loin de là — je suis trop lâche ! — je vais encore améliorer mon pulmentum pour vous obéir filialement… Et soyez sûr que, pour Jésus, je suis prêt à tout, sans restriction…
« Et moi, je vous demanderai une chose : priez pour que j’aime ; priez pour que j’aime Jésus ! priez pour que j’aime sa Croix ; priez pour que j’aime la Croix, non pour elle-même, mais comme le seul moyen, la seule voie de glorifier Jésus : « le grain de de blé ne rapporte du fruit qu’en mourant… Quand je serai élevé, alors je tirerai tout à Moi. » Et, comme remarque saint Jean de la Croix, c’est à l’heure de Son anéantissement suprême, de Sa mort, que Jésus a fait le plus de bien, qu’Il a sauvé le monde… Obtenez donc de Jésus que j’aime vraiment la croix parce qu’elle est indispensable pour faire du bien aux âmes… Et je la porte très peu, je suis lâche, on me prête des vertus que je n’ai pas… et je suis le plus heureux des hommes…, priez donc pour ma conversion, pour que j’aime Jésus et fasse à tout moment ce qui Lui plaît le plus. Amen.
Au R. P. Guérin,
9 mars 1903.
« Que veut le Cœur de Jésus ?… Je suis l’esclave de ce divin Cœur. C’est là un esclavage que je ne veux point abolir, mais dont je supplie le divin Bien-Aimé de river à jamais et toujours plus les fers… Dites-moi la volonté du Cœur de Jésus, je la ferai… »
A l’une de ses nièces,
15 novembre 1903.
« Si un négrillon était aimé et comblé de biens par un grand roi, le négrillon ne devrait-il pas rendre amour pour amour à ce bon roi ? Ce Roi est Jésus, nous sommes le négrillon. »
A un ami,
3 juillet 1904.
« Si j’étais fidèle à mes petits devoirs de chaque instant, quel bien ne ferais-je pas ? Mais à cause de mes infidélités de tout moment, je suis stérile, et je reste seul… La conversion de ce peuple dans lequel je suis, et que, pour la première fois probablement, visite la Sainte-Hostie, l’arrivée chez ce peuple de nombreux et saints ouvriers évangéliques, voilà ce que j’obtiendrais du Cœur de Jésus si je faisais mon devoir, voilà ce que je vous supplie d’obtenir, ainsi que ma propre conversion.
A un ami,
18 février 1905.
« Les peines de la terre sont faites pour nous faire sentir l’exil, nous faire soupirer vers la Patrie… elles nous font porter la croix de Jésus, partager Sa vie, Lui ressembler… elles nous valent le pardon de nos fautes et de celles des autres, le ciel pour nous et pour les autres… elles nous arrachent aux créatures pour nous donner au Créateur. »
Au R. P. Guérin,
30 novembre 1905.
« Je viens de faire ma retraite annuelle, demandant à Jésus lumière… Le résumé, c’est ceci : je dois faire tout ce que je puis faire de meilleur pour les âmes de ces peuples infidèles, dans un oubli total de moi. Par quels moyens ? Par la présence du T.-S. Sacrement, le S.-Sacrifice, la prière, la pénitence, le bon exemple, la bonté, la sanctification personnelle ; en employant moi-même ces moyens et en faisant tout mon possible pour multiplier ceux qui les emploient…
« Puisque Jésus permet que la main des hommes mette bien des obstacles à Son œuvre en ce moment, tâchez d’obtenir des prières pour votre peuple ; prière et sacrifice obtiennent tout, et là nul obstacle : nul ne peut empêcher les âmes fidèles de prier et de souffrir pour votre troupeau si égaré… »
A un ami,
26 août 1905.
Je resterai seul… heureux, très heureux d’être seul avec Jésus, seul pour Jésus… Ne vous inquiétez pas, nous sommes, vous et moi, entre les mains du Bien-Aimé… Il vaut mieux, pour nous, L’avoir comme gardien que tous les soldats du monde… Si j’avais le sort de notre arrière-grand-oncle Armand[14], n’en seriez-vous pas heureux ? Jésus a dit que c’était la plus grande marque d’amour, ne seriez-vous pas heureux de me voir la donner ? Je ne crois pas cependant que cela arrive : non sum dignus…
[14] Armand de Foucauld de Pontbriand, grand vicaire de l’Archevêque d’Arles, fusillé en haine de la foi, par les révolutionnaires, aux Carmes, le 2 septembre 1792.
Priez pour que je sois fidèle à ce divin Jésus qui se fait si petit pour venir me tenir compagnie, dans cette maison plus petite que celle de Nazareth.
A un ami,
16 décembre 1905.
Je tâche de faire, au jour le jour, la volonté de Jésus et suis dans une grande paix intérieure.
Ne vous tourmentez pas de me voir seul, sans ami, sans secours spirituel, je ne souffre en rien de cette solitude, je la trouve très douce, j’ai le Saint-Sacrement, le meilleur des amis, à qui parler jour et nuit ; j’ai la Sainte Vierge et saint Joseph, j’ai tous les saints : je suis heureux, et rien ne me manque.
… Comme le Bon Dieu donne à chacun sa croix ! Je rougis d’en avoir si peu. Il faut que je sois, ce qui est bien vrai, un bien mauvais, bien lâche, bien faible serviteur !
A un ami,
15 janvier 1906.
Qu’il fera bon d’être au ciel, après cette vie pleine de tant de douceurs, d’une si divine paix, de tant de souffrances, de misères et de maux… La douceur et la paix sont si profondes, si divines, quand on s’enfonce dans le Cœur de Jésus, et dans Son pur amour… et la douleur et le mal sont si grands dès qu’on en sort un peu, et surtout qu’on s’en éloigne !…
Au R. P. Guérin,
2 avril 1906.
A la garde de Dieu ! je suis le plus heureux des hommes, la solitude avec Jésus est un tête-à-tête délicieux, mais je voudrais que le bien se fasse, s’étende, se propage : toutefois, non mea volontas sed tua fiat.
A un ami,
5 avril 1906.
Comme le Bon Dieu est bon de soulager ainsi les âmes, lorsqu’Il les voit près de ployer sous le faix ! Comme Il sait mêler notre vie de consolations et de douleurs ! assez de douleurs pour être unis à Sa Croix, autant de douleurs que chacun en peut porter pour pouvoir le récompenser le plus tôt possible ; et assez de consolations pour rendre des forces aux âmes épuisées et leur permettre, — après un repos, — de porter de nouveau la croix. Comme Il est tendre et doux, et comme Il arrange notre vie mieux que nous ne saurions le faire ! Comme nous sommes bas et grossiers, quelle pauvre poussière nous sommes ! et comme Il cherche notre vrai bien et sait nous donner, à toute heure, l’aliment nécessaire ! Que nous sommes heureux d’être entre les mains d’un tel Pasteur !
A un ami,
15 juillet 1906.
Maintenant que la vie est presque terminée pour nous…, la lumière où nous entrerons à notre mort commence à luire pour nous, et à nous faire voir ce qui est et ce qui n’est pas… Ce désert m’est profondément doux : il est si doux et si sain de se mettre dans la solitude, en face des choses éternelles ! On se sent envahir par la vérité. Aussi m’est-il dur de voyager, et de quitter cette solitude et ce silence. Mais la volonté du Bien-Aimé, quelle qu’elle soit, doit être, non seulement préférée, mais adorée, chérie et bénie sans mesure…
A un ami,
4 septembre 1907.
La terre n’a que des heures de consolations et de répit. Que Jésus vous en donne, si c’est Sa volonté ; de tout mon cœur, je Le supplie de vous combler de grâces, de vous sanctifier, de sanctifier vos enfants… Lui demander de vous consoler, je n’ose : Il vous aime plus qu’un pauvre cœur humain ne peut vous aimer, et sait tellement mieux que nous ce qui vous est le meilleur ! Ce n’est pas à une pauvre brebis comme moi de donner des conseils à un tel Pasteur ! Qu’Il accomplisse en vous Sa Volonté, Lui qui vous aime, c’est ce que mon cœur trouve de meilleur à demander pour vous.
Ma vie intérieure est simple. Je vois mon chemin clairement tracé. Tout le travail est de me corriger de mes innombrables fautes et de faire demain la même chose qu’hier, en le faisant mieux. C’est la paix, avec une certaine tristesse, venant de l’orgueil et de l’amour-propre et de la lâcheté, de me voir, au soir de la vie, si misérable et ayant produit si peu de fruit…
A un ami,
18 novembre 1907.
Ma présence fait-elle quelque bien ici ? Si elle n’en fait pas, la présence du Saint-Sacrement en fait certainement beaucoup : Jésus ne peut pas être en un lieu sans rayonner… De plus, le contact avec les indigènes les familiarise, les apprivoise, fait disparaître peu à peu leurs préventions et préjugés. C’est bien lent, bien peu de chose, priez pour que je fasse plus de bien, et que de meilleurs ouvriers que moi viennent défricher ce coin du champ du Père de famille. Pour ce Sahara, qui est huit ou dix fois grand comme la France, et qui, sans être très peuplé, est habité un peu partout, il n’y a que dix ou quinze prêtres, tous à El-Golea et Ouargla… Il y a des difficultés de tous genres et de tous côtés… On a de la peine à ne pas s’attrister en voyant l’excès du mal régnant partout, le peu de bien, les ennemis du Bon Dieu si entreprenants, ses amis si hésitants, et en se voyant soi-même si misérable après tant de grâces !… Et pourtant, il ne faut pas s’attrister, mais regarder plus haut que tout ce qui passe, vers notre Bien-Aimé.
A un ami,
8 mars 1908.
Noël et la fuite en Égypte sont de mes dévotions les plus chères ; j’ai grand besoin, dans mes allées et venues, de penser à ce voyage de Jésus et de Ses parents pour m’unir à Lui et tâcher de les imiter dans leur amour, leur contemplation, leur adoration et leur joie : nous aussi, nous avons toujours le Bien-aimé avec nous.
Au R. P. Guérin,
1er juin 1908.
Il y a un mot de la Sainte Écriture dont nous devons, je crois, toujours nous souvenir, c’est que Jérusalem a été reconstruite « in augustia temporum » (Daniel). Il faut travailler toute notre vie in augustia temporum. Les difficultés ne sont pas un état passager à laisser passer comme une bourrasque pour nous mettre au travail quand le temps sera calme ; non, elles sont l’état normal, il faut compter être toute notre vie, pour les choses bonnes que nous voulons faire, in augustia temporum.
A un ami,
4 juin 1908.
Il faudrait que tout le pays fût couvert de religieux, religieuses et de bons chrétiens restant dans le monde, pour prendre contact avec tous ces pauvres musulmans, pour les rapprocher doucement, pour les instruire, les civiliser, et enfin, quand ils seront des hommes, en faire des chrétiens. Avec les musulmans, on ne peut pas en faire d’abord des chrétiens, et civiliser ensuite ; la seule voie possible est l’autre, bien plus lente : instruire et civiliser d’abord, convertir ensuite… Mais il faudrait pour cela un effort : ce n’est pas sans effort qu’on peut amener lentement à Jésus les quatre millions de musulmans de l’Algérie. Dans cette partie du Sahara où je suis seul, entre ici et Béni-Abbès, il y a cent mille âmes… Tous ont droit qu’on travaille au salut de leurs âmes ; les Touaregs plus encore que les autres, si c’est possible… Les âmes ont toutes le même prix, celui du sang de Jésus, mais, ne pouvant s’occuper encore de toutes, il semble qu’il faut s’attacher d’abord à celles qui laissent espérer les plus prompts et meilleurs résultats ; les Touaregs sont de ceux-ci : c’est une race neuve, forte, intelligente…
A un ami,
9 avril 1909.
Ce serait trop doux de sentir que nous aimons Jésus, que nous sommes aimés de Lui, et que nous sommes heureux de Son bonheur : si nous sentions cela, la terre serait un ciel. Contentons-nous de vouloir et de savoir, avec plus de mérite et moins de douceur…
A M. l’Abbé Caron,
30 juin 1909.
Ne vous étonnez pas des tempêtes présentes. La barque de Pierre en a vu bien d’autres. Songez à cette soirée du jour où furent martyrisés saint Pierre et saint Paul. Comme tout devait paraître avoir sombré, pour la petite chrétienté de Rome ! Les premiers chrétiens ne se découragèrent pas. Nous qui avons, pour fortifier notre foi, les dix-huit siècles de vie de l’Église, combien petits doivent nous paraître ces efforts de l’enfer dont Jésus a dit qu’ils « ne prévaudront pas ». Ni les juifs ni les francs-maçons ne peuvent empêcher les disciples de Jésus de continuer l’œuvre des apôtres : qu’ils aient leurs vertus, ils auront leurs succès. A nous comme à eux, Jésus dit, en nous bénissant : « Allez, prêchez l’Évangile à toute créature ». Nous aussi, « nous pouvons tout en Celui qui nous fortifie » : « Il a vaincu le monde ». Comme Lui, nous aurons toujours la croix ; comme Lui nous serons toujours persécutés ; comme Lui nous serons toujours vaincus en apparence ; comme Lui nous serons toujours triomphants en réalité, et cela dans la mesure de notre fidélité à la grâce, dans la mesure où nous Le laisserons vivre en nous et agir en nous et par nous. Nous sommes avec le Tout-Puissant, et les ennemis n’ont de pouvoir que celui qu’il Lui plaît de leur donner pour nous exercer, nous sanctifier, faire remporter des victoires spirituelles — les seules vraies, les seules éternelles, — à son Église et à ses élus.
… Mais revenons à l’Évangile ; si nous ne vivons pas de l’Évangile, Jésus ne vit pas en nous. Revenons à la pauvreté, à la simplicité chrétienne… Après dix-neuf ans passés hors de France, ce qui m’a le plus frappé en ces quelques jours passés en France, c’est le progrès qu’a fait, dans toutes les classes de la société, surtout dans la classe moins riche, même dans les familles très chrétiennes, le goût et l’habitude des inutilités coûteuses ; avec une grande légèreté et des habitudes de distractions mondaines et frivoles bien déplacées en des temps aussi graves, en des temps de persécution, et nullement d’accord avec une vie chrétienne. Le danger est en nous et non dans nos ennemis. Nos ennemis ne peuvent que nous faire remporter des victoires. Le mal, nous ne pouvons le recevoir que de nous-mêmes. Revenir à l’Évangile, c’est le remède.
A un ami,
31 juillet 1909.
Combien je voudrais voir les chrétiens fidèles de France s’occuper un peu de cette population algérienne, pour laquelle ils ont les devoirs de parents envers leurs enfants, puisque c’est terre française et qui se meurt dans l’islamisme !
Au R. P. Guérin,
31 octobre 1909.
Que Jésus fasse de 1910 une année de grâces pour le Sahara ! Il y a dix-neuf cents ans que cette terre, ces âmes attendent l’Évangile !
4 février 1910.
Je ferai ce que je pourrai, et le Bon Dieu fera ce qu’Il voudra. Priez pour moi, pour que, par ma vie, je sois tel qu’Il puisse se servir de moi pour faire un peu de bien. Quoi qu’il arrive, si je suis bon, mon passage sur la terre sera utile aux âmes ; si je suis mauvais ou tiède, j’aurai beau faire, nul bien ne se fera par moi…
A M. l’Abbé Caron,
16 juillet 1910.
Oh ! oui, Jésus seul mérite d’être aimé de passion !… Heureuses ruines qui nous jettent plus tôt et plus complètement dans cette vérité…
Au R. P. Guérin,
1er novembre 1910.
Oui, Jésus suffit : là où Il est, rien ne manque. Si chers que soient ceux en qui brille un reflet de Lui, c’est Lui qui reste le Tout : Il est le Tout dans le temps et dans l’éternité. Que nous sommes heureux d’avoir un Tout que rien ne peut nous ôter, et qui sera toujours nôtre, à moins que nous ne Le quittions nous-mêmes !
A M. l’Abbé Caron,
15 décembre 1910.
Nous avons Jésus avec nous, et si faibles que nous soyons, nous sommes forts à Sa force invincible… Jamais Dieu n’a manqué aux hommes, c’est l’homme qui manque à Dieu. Il ne demande qu’à déverser Ses grâces…
A un ami,
21 septembre 1912.
Priez aussi pour tous les musulmans de notre empire nord-ouest africain, maintenant si vaste. L’heure présente est grave pour leurs âmes comme pour la France. Depuis quatre-vingts ans qu’Alger est à nous, on s’est si peu occupé du salut des âmes des musulmans, qu’on peut dire qu’on ne s’en est pas occupé. Si les chrétiens de France ne comprennent pas qu’il est de leur devoir d’évangéliser leurs colonies, c’est une faute dont ils rendront compte, et ce sera la cause de la perte d’une foule d’âmes qui auraient pu être sauvées. Si la France n’administre pas mieux les indigènes de sa colonie qu’elle ne l’a fait, elle la perdra, et ce sera un recul de ces peuples vers la barbarie, avec perte d’espoir de christianisation pour longtemps.
A un ami,
4 décembre 1912.
Le saint temps de l’Avent, toujours si doux, l’est particulièrement ici. Tamanrasset, avec ses quarante feux de pauvres cultivateurs, est bien ce que pouvaient être Nazareth et Bethléem au temps de Notre-Seigneur.
Lettre écrite par Charles de Foucauld, quelques heures avant sa mort, le matin du 1er décembre 1916, à un ami.
Ces souffrances, ces inquiétudes anciennes et récentes, acceptées avec résignation, offertes à Dieu en union et aux intentions des douleurs de Jésus, sont non pas la seule chose, mais la plus précieuse que le Bon Dieu vous offre pour que vous arriviez devant Lui les mains pleines… Notre anéantissement est le moyen le plus puissant que nous ayons de nous unir à Jésus et de faire du bien aux âmes ; c’est ce que saint Jean de la Croix répète presque à chaque ligne… Quand on peut souffrir et aimer, on peut beaucoup, on peut le plus qu’on puisse en ce monde : on sent qu’on souffre, on ne sent pas toujours qu’on aime, et c’est une grande souffrance de plus ; mais on sait qu’on voudrait aimer, et vouloir aimer, c’est aimer… On trouve qu’on n’aime pas assez ; — ceci c’est vrai, on n’aimera jamais assez, — mais le Bon Dieu, qui sait de quelle boue Il nous a pétri, et qui nous aime bien plus qu’une mère ne peut aimer son enfant, nous a dit, Lui qui ne meurt pas, qu’il ne repousserait pas celui qui vient à Lui… »
Charles de Foucauld a toujours désiré de retourner au Maroc ; non pas pour achever son voyage d’exploration, mais pour d’autres découvertes et travaux : le service des âmes, et, par conséquent, on peut le dire ici, le bien de la France. A la date du 9 janvier 1903, nous trouvons dans son Diaire les lignes suivantes : « Télégramme, reçois lettre, réponse suit, supplie humblement établir commission siégeant à Montmartre pour obtenir cette conversion. Jésus rayonne de Montmartre. Voici mon humble réponse. »
Nous ignorons, malgré les recherches que nous avons faites, de quelles circonstances naquit ce projet de mission au Maroc. Qui la formula ? Est-ce Charles de Foucauld ? Est-ce un autre ? Faut-il croire qu’il y a eu, parmi les amis de l’Afrique française, un homme capable d’une pareille initiative, et qui ait aperçu que nous n’aurions l’Afrique à nous, comme une sœur, comme une seconde France, que si nous lui changions le cœur, et si nous faisions renaître, conformément à notre mission séculaire, les temps de Saint Augustin ?
Nous ne le savons pas. Le projet n’eut pas de suite. Voici en tous cas le texte de la lettre de Charles de Foucauld :
PROJET DE MISSION AU MAROC
« C’est donc des âmes résolues à tous les sacrifices et n’ayant qu’une soif : glorifier parfaitement Jésus en L’imitant et Lui obéissant parfaitement, ce sont de telles âmes qui feront l’œuvre du Cœur de Jésus, qui convertiront le Maroc, et, de cette victoire, iront à d’autres victoires.
Si des prêtres-apôtres brûlant de cette soif, prêts à mourir avec et pour Jésus, à manquer de tout avec et pour Jésus, veulent s’unir au misérable qui vous écrit, pour tâcher d’imiter et glorifier Jésus, qu’ils viennent ici, où j’ai les moyens nécessaires pour former une petite avant-garde et la jeter sur le Maroc au premier jour.
Je demande humblement que les prêtres-apôtres prennent l’initiative de la conversion du Maroc, et nomment immédiatement une commission choisie parmi eux pour travailler à cette conversion…
Œuvre de la Commission : S’efforcer d’attirer au Maroc de nombreux établissements de prêtres, religieux et religieuses : d’abord des Pères du T.-S. Sacrement et des Sœurs de Charité, des Trappistes, des Chartreux, des Pères Blancs et des Sœurs Blanches.
Il y a lieu, dans les débuts, d’y porter plutôt les ordres purement voués à l’adoration du T.-S. Sacrement et à la bienfaisance ; à la contemplation, l’hospitalité et les travaux rustiques, que les ordres enseignants et prêchants. L’adoration de la divine Hostie prépare tout ; la bienfaisance et l’hospitalité, l’exemple des vertus évangéliques, surtout les prières et la sainteté des serviteurs et servantes, et plus encore le grand nombre de messes et de Tabernacles, commenceront l’œuvre de la conversion… Cette période écoulée (elle s’écoulera d’autant plus vite que les prêtres et religieux établis au Maroc seront plus nombreux), jetez dans ce sillon tous les ordres enseignants et prédicants : salésiens, jésuites, dominicains, carmes, sociétés enseignantes, etc…, etc…
Accueillir des secours pécuniaires : Ce que je crois pouvoir faire de meilleur pour la conversion du Maroc, c’est d’organiser une petite légion de religieux voués, à la fois, à la contemplation et à la bienfaisance, vivant très pauvrement du travail manuel, dont la règle simple se résumerait en trois mots : adoration perpétuelle du T.-S. Sacrement exposé, imitation de la vie cachée de Jésus à Nazareth, vie dans les pays de mission. Cette petite légion serait une troupe d’avant-garde, propre à se lancer sur le champ de ce Maroc et à y creuser, aux pieds de la Sainte-Hostie et au nom du Sacré-Cœur de Jésus, le premier sillon dans lequel se jetteront ensuite, au plus tôt, les missionnaires prêchants… Dans cette intention, j’ai, il y a un an et demi, avec l’encouragement de mon saint et bien-aimé évêque, Mgr Bonnet, évêque de Viviers, demandé et obtenu du T. R. P. Préfet apostolique du Sahara français, l’autorisation de me fixer sur un point de sa Préfecture voisin de la frontière marocaine…
Béni-Abbès, petite oasis du Sahara à la frontière du Maroc, est le lieu qui a paru le plus propice pour aborder le Maroc. Les populations voisines semblent moins mal disposées que les autres…
A Noël dernier, je me suis senti si pressé de faire un pas en avant, que j’ai cru obéir au Sacré-Cœur en appelant à la prière les âmes de qui je puis espérer le concours, pour ouvrir, par une croisade de prière, la guerre contre Satan. J’ai, dans la mesure du possible, humblement offert le Maroc au Sacré-Cœur. J’ai prié la Bienheureuse Marguerite-Marie de m’obtenir la grâce d’y célébrer, sous peu, le Saint Sacrifice.
Dès mon arrivée, j’ai noué des relations avec les indigènes et surtout avec les Marocains. Quotidiennement, beaucoup d’indigènes viennent à la Fraternité du Sacré-Cœur et, dans le nombre, il y a des Marocains. J’espère pouvoir, dans un avenir prochain, aller avec quelques Marocains dans leur pays… Je voudrais y aller, d’abord pour quelques jours, puis pour quelques semaines, puis pour quelques mois et y acheter une petite propriété, où se formerait une nouvelle Fraternité du Sacré-Cœur.
On irait ainsi de proche en proche. L’aumône, l’hospitalité, le rachat et la libération des esclaves et, bien plus, les offrandes de la divine Victime, concilieront les cœurs et ouvriront les voies à la prédication ouverte. L’heure de la prédication ouverte sonnera d’autant plus vite que cette avant-garde silencieuse sera plus fervente et plus nombreuse…
Je suis seul, et cela m’embarrasse pour la petite pointe que j’espère faire au Maroc dans quelques semaines, car il serait bien utile d’avoir un compagnon d’élite pour assister ma misère, afin d’éviter toute inconvenance ou profanation… Cela devrait tenter bien des âmes, car c’est presque la gloire qui leur est offerte, les dangers étant grands… Malgré mon désir d’avoir des compagnons, j’aime mieux rester seul que d’en avoir qui ne soient vraiment appelés de Jésus et vrais disciples de Son Cœur… J’ai demandé trois choses à ceux qui veulent venir : 1o Être prêts à donner leur sang sans résistance ; 2o Être prêts à mourir de faim ; 3o M’obéir, malgré mon indignité.
Au R. P. Guérin,
4 juillet 1904. Amri (environ 450 km. d’In-Salah).
« Bien-aimé et si vénéré Père,
« La petite tournée[15] se poursuit sans incident, sans changement dans les projets… Je vous l’ai dit, la présente promenade est toute d’apprivoisement : M. Roussel se porte, avec son détachement, dans tous les lieux où il sait qu’il y a de nombreux nomades, y installe son campement au milieu des leurs, y passe quelques jours, de manière à bien faire connaissance avec eux, à les apprivoiser, à les mettre en confiance, en amitié le plus possible… Je l’accompagne, voyant ceux qu’il voit, leur parlant avec lui, donnant des remèdes et de petites aumônes, tâchant de lier connaissance et de leur faire comprendre que je suis un serviteur du Bon Dieu et que je les aime… Je puis célébrer la Sainte Messe chaque jour sous la tente… Le temps qui n’est pas donné à la prière, au prochain, à la marche, au corps, est employé à l’étude du tamahacq et à la traduction des Saints Évangiles en cette langue : celle de saint Luc est à peu près finie…
[15] On va voir qu’il s’agit d’une de « ces tournées d’apprivoisement » qu’avait inventées et d’abord guidées le général Laperrine.
Les indigènes nous reçoivent bien. Ce n’est pas sincère : ils cèdent à la nécessité… Combien de temps leur faudra-t-il pour avoir les sentiments qu’ils simulent ? peut-être ne les auront-ils jamais. S’ils les ont un jour, ce sera le jour qu’ils deviendront chrétiens… Sauront-ils séparer entre les soldats et les prêtres, voir en nous des serviteurs de Dieu, ministres de paix et de charité, frères universels ? Je ne sais… Si je fais mon devoir, Jésus répandra d’abondantes grâces, et ils comprendront.
Au même,
13 décembre 1905.
« Une chose est à craindre : c’est que l’islamisme soit le premier à gagner à la soumission des Touareg à la France. Grâce à Dieu, Hoggar et Taitoq ne sont guère musulmans que de nom ; leur ignorance est aussi grande en religion qu’en tout, et leur indifférence est grande aussi. Mais voici que ce pays, autrefois peu sûr, d’accès difficile, est devenu plein de sécurité pour les voyageurs et commerçants ; aussi les commerçants de Tidikelt vont-ils affluer de plus en plus, y vendant des cotonnades et des dattes, y achetant chameaux, moutons, etc… Ces commerçants sont presque tous des marabouts, des hommes appartenant à une tribu maraboutique du Tidikelt, les Ahl Azzi ; avec eux, entrera nécessairement un renouveau de ferveur musulmane : tous ces gens à chapelets, faisant très ostensiblement prières et jeûnes et disant bien haut qu’ils sont marabouts pour se faire mieux recevoir, auront une mauvaise influence. Ils pillent d’ailleurs les Touareg et leur vendent les marchandises un prix exorbitant. Combien il serait désirable que de bons chrétiens, ou au moins de braves gens non musulmans, fissent ce commerce et prissent cette place ! ce serait bien facile. Mais où sont ces âmes ?… Vendre de la cretonne et de la cotonnade bleue, à des prix raisonnables, voilà un moyen bien simple de faire venir tout le monde à soi, de trouver toutes les portes ouvertes, de rompre toutes les glaces… Qu’avec cela, celui qui vend soit une bonne âme, la bonne impression sera faite, on aura des amis dans tout le pays, et ce sera le commencement…
« Si, à défaut de mieux, vous pouviez trouver quelques bonnes âmes prêtes à faire ce commerce, se dévouant obscurément pour l’amour de Dieu, quel grand bien !… D’honnêtes petits commerçants français seraient accueillis avec bonheur par les autorités qui rougissent de leurs compatriotes établis dans le Sud ; aucun Français ne vient s’établir aux oasis, si ce n’est pour être marchand d’alcool ; c’est une honte.
« Il faudrait des chrétiens comme Priscille et Aquila, faisant le bien en silence, en menant la vie de pauvres marchands ; en relations avec tous, ils se feraient estimer et aimer de tous, et feraient du bien à tous… Si vous pouviez nous envoyer quelques petits marchands de ce genre ! ils gagneraient leur vie sans peine…
« Je me recommande bien à vos prières : je pourrais faire beaucoup de bien si j’étais ce que je dois, mais je suis bien loin de l’être. Le peu de bien que je fais montre mon peu de fidélité…
A M. l’Abbé Caron,
Hoggar, 8 avril 1906.
« Mon œuvre n’est ici, hélas ! qu’une œuvre de préparation, de premier défrichement ; c’est d’abord de mettre au milieu d’eux Jésus, Jésus dans le T.-S. Sacrement, Jésus descendant chaque jour dans le Saint Sacrifice ; c’est de mettre aussi, au milieu d’eux, une prière, la prière de l’Église, si misérable que soit celui qui l’offre… C’est ensuite de montrer à ces ignorants que les chrétiens ne sont pas ce qu’ils supposent : que nous croyons, aimons, espérons : c’est enfin de mettre les âmes en confiance, en amitié, de les apprivoiser, de s’en faire si possible des amis… afin qu’après ce premier défrichement, d’autres puissent faire plus de bien à ces pauvres âmes.
A M. l’Abbé Caron,
Tamanrasset, 9 juin 1908.
« Le coin du Sahara que je suis seul à défricher a deux mille kilomètres du Nord au Sud, et mille de l’Est à l’Ouest, avec 100.000 musulmans dispersés dans cet espace, sans un chrétien, si ce n’est les militaires français de tous grades ; ces derniers sont peu nombreux : quatre-vingts ou cent disséminés dans cette étendue : car, dans les troupes sahariennes, les cadres seuls sont français, les soldats sont indigènes. Je n’ai pas fait une conversion sérieuse depuis sept ans que je suis là : deux baptêmes, mais Dieu sait ce que sont et seront les âmes baptisées : un tout petit enfant, que les Pères Blancs élèvent, — Dieu sait comment il tournera, — et une pauvre vieille aveugle : qu’y a-t-il dans sa pauvre tête, et dans quelle mesure sa conversion est-elle réelle ? Comme conversion sérieuse, c’est zéro ; et je dirai quelque chose de plus triste : c’est que, plus je vais, plus je crois qu’il n’y a pas lieu de chercher à faire des conversions isolées (sauf les cas particuliers) pour le moment, la masse étant de niveau trop bas, l’attachement à la foi musulmane étant trop fort, l’état intellectuel des indigènes leur rendant bien difficile, présentement, de reconnaître la fausseté de leur religion et la vérité de la nôtre… Sauf cas exceptionnel, on n’aurait, en cherchant maintenant des conversions isolées, que des conversions intéressées et seulement apparentes, ce qui est la pire des choses. Vis-à-vis des musulmans qui sont des demi-barbares, la voie n’est pas la même qu’avec des idolâtres, des fétichistes, des gens tout à fait sauvages, des barbares ayant une religion tout à fait inférieure, ni qu’avec des civilisés. Aux civilisés, on peut proposer directement la foi catholique, ils sont aptes à comprendre les motifs de crédibilité, et à en reconnaître la vérité ; aux tout à fait barbares de même, parce que leurs superstitions sont si inférieures qu’on leur fait assez facilement comprendre la supériorité de la religion d’un seul Dieu… Il semble qu’avec les musulmans, la voie soit de les civiliser d’abord, de les instruire d’abord, d’en faire des gens semblables à nous ; ceci fait, leur conversion sera chose presque faite elle aussi, car l’islamisme ne tient pas devant l’instruction ; l’histoire et la philosophie en font justice sans discussion : il tombe comme la nuit devant le jour. L’œuvre à faire ici, comme avec tous les musulmans, est donc une œuvre d’élévation morale : les élever moralement et intellectuellement par tous les moyens ; se rapprocher d’eux, prendre contact avec eux, lier amitié avec eux ; faire tomber, par les relations journalières et amicales, leurs préventions contre nous, par la conversation et l’exemple de notre vie, modifier leurs idées ; procurer l’instruction proprement dite ; faire enfin l’éducation entière de ces âmes : leur enseigner, au moyen d’écoles et de collèges, ce qui s’apprend dans les écoles et collèges ; leur enseigner, par un contact journalier, étroit, ce qu’on apprend dans la famille ; se faire leur famille… Ce résultat obtenu, leurs idées seront infiniment modifiées, leurs mœurs améliorées par là même, et le passage à l’Évangile se fera facilement. Sans doute, Dieu peut tout ; Il peut, par Sa grâce, convertir les musulmans, et qui Il veut, en un instant ; mais jusqu’ici Il n’a pas voulu le faire ; il semble même que ce ne soit pas dans Ses desseins d’accorder cette conversion à la seule sainteté, car, s’Il la réserve à la sainteté, comment saint François d’Assise ne l’a-t-il pas obtenue ? Reste à employer les moyens qui semblent les plus raisonnables, tout en se sanctifiant le plus possible, et en se souvenant qu’on fait du bien dans la mesure où on est bon. Ces moyens, lents et ingrats, avec des peuples qui nous repoussent, nous méprisent, ne nous appellent que « les sauvages », et les « payens », sont si éloignés de nous de mœurs, de langue, de tant de manières ; ces moyens lents et ingrats sont l’éducation par le contact et l’instruction. Surtout, il ne faut pas se décourager devant la difficulté mais se dire que plus l’œuvre est difficile, lente et ingrate, plus il faut se mettre en grande hâte à l’ouvrage, et faire de grands efforts ; le mot de saint Jean de la Croix « il ne faut pas mesurer les travaux sur notre faiblesse, mais nos efforts sur nos travaux », doit être sans cesse devant nos yeux.
Que faire, seul devant cette tâche ? Par vocation, je dois avoir une vie cachée, solitaire, et non une vie de parole et de voyages. D’autre part, les âmes de ces contrées pour lesquelles je suis seul, demandent, tant qu’il n’y aura pas d’autres ouvriers, certains voyages. Je tâche de concilier les deux choses : j’ai deux ermitages, à 1.500 kilomètres l’un de l’autre. Je passe trois mois dans celui du Nord, six mois dans celui du sud, trois mois à aller et venir chaque année. Quand je suis dans un des ermitages, j’y vis cloîtré, tâchant de m’y faire une vie de travail et de prière, une vie de Nazareth. En route, je pense à la fuite en Égypte et aux voyages annuels de la Sainte Famille à Jérusalem… Dans mes ermitages comme en route, je tâche de prendre contact, autant que possible, avec les indigènes, leur rendant de petits services, causant avec eux, les amusant même comme des enfants, par des images ou des contes, tâchant de commencer un peu cette partie de l’éducation qui se fait dans la famille. Dans l’ermitage, c’est la vie cloîtrée, mais comme elle l’est pour le frère portier, chargé de recevoir les personnes et de leur faire du bien, si possible… Mais en somme, cela n’est rien, à côté de ce qu’il faudrait faire : il faudrait non un ouvrier, mais une centaine, avec des ouvrières, et non seulement des ermites, mais aussi et surtout des apôtres, allant et venant, prenant le contact, et aussi instruisant.
Ce peuple touareg est très particulièrement intéressant, parce que, musulman de nom seulement, peu fervent, il est très près de nous par ses mœurs, sa vivacité d’intelligence, et sa facilité à s’ouvrir. Malheureusement, il est loin de nous par son extrême ignorance, ses préventions et son peu de goût pour l’instruction… Il faut travailler et prier le Père de famille d’envoyer des ouvriers dans son champ.
Au même,
9 février 1908.
« Vos prières me sont trop précieuses pour que je ne vienne pas, de temps en temps, vous les demander pour moi et pour les pauvres infidèles qui m’entourent. Cette partie du royaume de Jésus reste douloureusement abandonnée, délaissée. Le vénéré et saint Préfet Apostolique du Sahara ne dispose que de quelques prêtres pour des populations dispersées sur d’immenses espaces, et vous sentez que les difficultés ne manquent pas, venant de toutes parts… En ce moment, je suis au sud d’Insalah ; à la fin de l’été, je retournerai à Béni-Abbès, sur la frontière du Maroc, et là, la misère spirituelle est plus grande encore, car des populations bien plus nombreuses sont dans un délaissement plus total encore… Priez pour tant d’âmes qui, après 1900 ans n’ont pas reçu la Bonne Nouvelle, ou en ont perdu la connaissance et le souvenir depuis bien des siècles. Recommandez ces peuples aux prières des âmes pieuses. Il y a là des parties du champ du Père de famille si délaissées ! des contrées où les âmes, dépourvues de nos moyens de salut, esclaves de l’erreur et du vice, tombent en enfer en foule… Le Christ est mort pour chacune d’elles… que ne devons-nous pas à des âmes dont le prix est le sang de Jésus ? Priez pour que le Père de famille envoie des ouvriers, de bons ouvriers dans son champ ; et priez pour le pauvre et misérable ouvrier que je suis, afin que je sois ce que veut Jésus !
Au même,
11 mars 1909.
« Depuis longtemps poursuivi par la pensée du délaissement spirituel de tant d’infidèles, et en particulier de celui des musulmans et des infidèles de nos colonies, voyant en même temps l’amour des biens matériels et la vanité envahir de plus en plus le peuple chrétien, j’ai jeté sur le papier, à la suite de ma dernière retraite, il y a un an, un projet d’association catholique, ayant le triple but de ramener les chrétiens à une vie conforme à l’Évangile en leur présentant comme modèle Celui qui est le modèle unique, de développer parmi eux l’amour de la Sainte Eucharistie, qui est le bien infini et notre tout, et de provoquer chez eux un mouvement efficace pour la conversion des infidèles et spécialement pour l’accomplissement du devoir strict qu’a tout peuple chrétien de donner l’éducation chrétienne aux infidèles de ses colonies[16].
[16] Cette « Association pour le développement de l’esprit missionnaire, surtout en faveur des colonies françaises », est maintenant organisée et recueille, depuis quelques mois, de nombreuses adhésions. Elle a pour président provisoire S. G. Mgr Le Roy, archevêque de Carie, supérieur général des Pères du Saint-Esprit. Pour les demandes de renseignements, s’adresser au secrétaire de l’Association Foucauld, 30, rue Lhomond, Paris (5e).
Ce n’est pas seulement par des dons matériels qu’on doit travailler à la conversion des infidèles, c’est plus encore en provoquant l’établissement chez eux, à titre de cultivateurs, de colons, de commerçants, d’artisans, de propriétaires fonciers, etc…, d’excellents chrétiens de toutes conditions, destinés à être de précieux appuis pour les missionnaires, à attirer, par l’exemple, la bonté, le contact, les infidèles à la foi, et à être les noyaux auxquels peuvent s’agréger, un à un, les infidèles à mesure qu’ils se convertissent. La confrérie, avec l’intensité de vie chrétienne qu’elle doit développer, et le devoir de convertir les infidèles, qu’elle doit sans cesse mettre sous les yeux, est propre aussi à multiplier les vocations de prêtres, de religieux et religieuses missionnaires. De bons chrétiens vivant dans le monde, la confrérie fera des sortes de missionnaires laïcs ; elle en portera à s’expatrier pour être missionnaires laïcs parmi les brebis les plus perdues, en leur montrant combien la conversion de celles-ci est un devoir pour les peuples catholiques, et combien il est beau et chrétien d’y consacrer sa vie.
Les devoirs des frères et sœurs qui ne sont ni prêtres ni religieux, envers les infidèles, sont d’autant plus graves qu’ils peuvent souvent pour eux plus que les prêtres, religieux et religieuses. Plus qu’eux, ils peuvent entrer en relations, se lier avec eux d’amitié, se mêler à eux, prendre contact avec eux. Lorsque les infidèles ont de la répulsion pour les chrétiens, quand ils ont une religion leur inspirant une foi profonde, les prêtres, religieux et religieuses leur causent de la défiance ; souvent les prêtres et religieux manquent de point de contact, d’occasion de se mettre en rapport avec les infidèles ; de plus la prudence et les règles de leurs instituts les empêchent quelquefois de dépasser certaines limites d’intimité, de pénétrer au foyer des familles, d’entrer en relations étroites. Ceux qui vivent dans le monde ont souvent, au contraire, de grandes facilités pour entrer en rapports étroits avec les infidèles. Leurs occupations : administration, agriculture, commerce, travaux quelconques, les mettent, s’ils le veulent, en relations de toute heure avec eux. De ces relations, à l’aide de la charité, de la bonne douceur qu’ils y apportent eux-mêmes, ils peuvent à volonté faire naître de véritables amitiés, leur donnant accès au foyer de famille les plus fermés. Le rôle des frères et sœurs qui ne sont ni prêtres ni religieux n’est point d’instruire les infidèles de la religion chrétienne, d’achever leur conversion ; mais de la préparer en se faisant estimer d’eux, en faisant tomber leurs préjugés par la vue de leur vie, en leur faisant connaître, par leurs actes plus encore que par leurs paroles, la morale chrétienne ; de les y disposer en gagnant leur confiance, leur affection, leur familière amitié ; de manière que les missionnaires trouvent un terrain préparé, des âmes bien disposées, allant d’elles-mêmes à eux, ou auxquelles ils puissent aller sans obstacles…
« C’est aux fidèles des pays chrétiens qu’incombe le devoir de l’évangélisation des infidèles… Tout retard, toute froideur de leur part dans l’accomplissement d’un devoir si grave, puisqu’il s’agit du salut de tant d’âmes, et si pressant, puisque chaque jour la mort en emporte beaucoup devant le tribunal suprême, est une responsabilité grave pour l’ensemble des fidèles, responsabilité dont chacun a sa part proportionnelle. Le temps nous est donné pour nous sanctifier et sanctifier les autres, et non pour être inutiles et mauvais ; grave est l’avertissement de Jésus : « Il sera demandé compte au dernier jour de toute parole inutile ». Si Dieu permet que certains conservent des richesses, au lieu de se rendre pauvre matériellement comme le fut Jésus, c’est pour qu’ils se servent de ce dépôt qu’Il leur confie en serviteurs fidèles, selon la volonté du Maître, pour faire aux autres du bien spirituel et temporel, donner des ressources matérielles là où elles sont nécessaires pour l’accomplissement du bien spirituel. Ils auront à rendre compte du bien qu’ils auraient dû faire et qu’ils n’ont pas fait. Combien, dans le saint Évangile, Jésus nous a dit et redit : « Aimez-vous les uns les autres…, faites à autrui ce que vous voudriez qu’on vous fît…, aimez votre prochain comme vous-mêmes… » Si, après des paroles si souvent lues, si souvent entendues et méditées, les fidèles et surtout les prêtres, les religieux, les religieuses, tout aux âmes qui sont près d’eux, négligent et délaissent ces âmes éloignées dont les besoins sont si grands et le péril si extrême, quels reproches n’ont-ils pas à craindre, pour une omission si grave, de la part de Celui qui a dit : « Chaque fois que vous ne l’avez pas fait à un de ces petits, c’est à Moi que vous ne l’avez pas fait. » Plus que jamais, au XXe siècle, l’évangélisation des peuples infidèles est devenue un devoir strict pour les peuples chrétiens. Autrefois, l’ignorance des contrées habitées par eux, l’extrême longueur des voyages et la difficulté très grande des communications, l’impossibilité d’entrer en relations avec des populations fanatiques ou sauvages, chassant ou martyrisant tout missionnaire, souvent même tout Européen, étaient autant de motifs excusant le retard de l’évangélisation. Aujourd’hui, ces causes d’excuses n’existent plus. Les voyages les plus lointains sont devenus courts et faciles. Les peuples infidèles sont la plupart soumis aux Européens, et les autres forcés à les respecter. Sur tous les points du globe où il y a des infidèles, le contact existe entre eux et les Européens, et là où un missionnaire veut aller, il le peut ; il ne le peut pas toujours en se disant ouvertement missionnaire, il le peut toujours en dissimulant ce qu’il est sous des apparences de commerce, d’agriculture ou d’autres…
La patrie est l’extension de la famille. Dieu, en mettant les personnes de notre famille plus près de nous que les autres dans la vie, nous a donné des devoirs particuliers envers elles ; d’une manière plus large, il en est de même des compatriotes, et par conséquent des colonies de la patrie, qui font partie de la grande famille nationale. Ce motif, incontestable et très fort, est le premier pour lequel nous devons travailler particulièrement à la conversion des infidèles des colonies de notre patrie. Un autre s’y ajoute, c’est que, si nous les négligeons, il est à craindre qu’ils ne soient totalement délaissés. Par là même qu’ils appartiennent à notre patrie, les chrétiens des autres pays ne s’en occuperont pas, nous en laissant la charge… La conversion des infidèles est souvent très difficile. Elle l’est surtout lorsque le gouvernement local y met des obstacles et est contraire à la religion catholique. Cela ne doit en rien décourager…, au contraire, cela doit faire travailler avec plus d’ardeur, les obstacles montrant que le succès demande plus d’effort… Quels que soient les infidèles des colonies de leur patrie, ils ne sont pas plus difficiles à convertir que les Romains et les barbares des premiers siècles du christianisme ; si opposé que puisse être à l’Église le gouvernement de leur pays, il ne l’est pas plus que Néron et ses successeurs. Que les frères et sœurs aient le même zèle des âmes, les mêmes vertus que les chrétiens des premiers siècles, ils accompliront les mêmes œuvres. Ils feront, comme eux, cachés dissimulés, à la dérobée, le bien qu’ils ne peuvent faire ouvertement. L’amour leur fera trouver les moyens, et Jésus rendra efficaces des efforts qu’Il inspire. Redisons : « Il ne faut pas mesurer nos travaux sur notre faiblesse mais nos efforts sur nos travaux ». Si les difficultés sont grandes, hâtons-nous d’autant plus de nous mettre à l’œuvre et multiplions d’autant plus nos efforts. »
Vivre comme si tu devais mourir martyr aujourd’hui.
Plus tout nous manque sur terre, plus nous trouvons ce que la terre peut nous donner de meilleur : la Croix.
Plus nous embrassons la Croix, plus nous étreignons étroitement notre Époux Jésus qui y est attaché.
Préface | |
PREMIÈRE PARTIE : Le Trappiste | |
Méditations sur l’Évangile | |
DEUXIÈME PARTIE : Le Serviteur des Clarisses | |
Retraite à Nazareth | |
Huit jours à Ephrem | |
Notes spirituelles détachées | |
Quelques lettres de 1897 à 1900 | |
TROISIÈME PARTIE : Le Prêtre. — L’Ermite au Sahara | |
Résolutions de la retraite de 1902 | |
Retraite de 1904 | |
Notes spirituelles détachées | |
Correspondance de 1901 à 1916 | |
QUATRIÈME PARTIE : L’Apotre des Musulmans | |
Memento |
Paris. — Soc. Gle d’Imp. et d’Édit., 17, rue Cassette.